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Au Sichuan, les vieux veulent rester près du ciel


Le Figaro

Chine

19 Mai 2008

Des dizaines de milliers de Chinois se ruent pour sauver père et mère, isolés en altitude par le séisme. «Les vieux sont têtus, ils ne descendent que si leur fils vient les chercher.» Pour sauver sa mère, restée accrochée tout en haut de terrasses chahutées par le tremblement de terre, Mu Guanshan a fait trente-six heures de train, puis 150 kilomètres de bus et d'auto-stop, avant de s'attaquer toute une journée à des montagnes défigurées par les glissements de terrain.
«J'ai grandi ici, mais c'est à ¬peine si j'ai reconnu le chemin», dit ce maçon de Pékin en serrant contre lui sa mère grise de pous¬sière. Avec son grand bonnet de laine, la vieille dame ne lui arrive même pas à l'épaule. Elle ne souffle pas un mot. Cinq jours de ¬survie, l'estomac vide, à côté de sa maison pulvérisée comme une boîte d'allumettes l'ont laissée sans force. La descente, à travers un massif qui culmine à plus de 5 000 mètres, a fini de l'épuiser. Son fils retrouvé, elle peut enfin s'abandonner.

À la tombée de la nuit, d'autres anciens se profilent en frêles silhouettes entre la rivière et les ruines du village de Chenjiabao. Les plus chanceux en couple, comme Cheng Dingde, 82 ans, et sa femme Chao, 66 ans. Ils ont perdu deux jours à chercher leur chemin entre les éboulis. D'autres viennent seuls, en pantoufles, avec un sac de biscuits à la main. Les blessés arrivent sur le dos d'un secouriste ou couchés sur un palanquin de fortune. Les enfants, accourus de toute la Chine, sont venus les chercher eux-mêmes.

Dans la vallée, la ville de ¬Bei¬chuan, cité martyre de 160 000 ha¬bitants, a été évacuée en 72 heures comme toutes les bourgades environnantes. Une bonne moitié des maisons sont détruites. Le reste est disloqué, à la merci de la prochaine secousse. Il n'y a plus d'eau, plus d'électricité. L'air humide et chaud accélère la décomposition des cadavres, ajoutant une menace sanitaire. Seuls les pillards hantent encore les boutiques éventrées.

Il est plus difficile d'évacuer une montagne peuplée de vieil¬lards, même si l'armée chinoise a comme mission n° 1 de «sauver des vies à tout prix». Résultat du boom économique et d'un exode rural accéléré, les monts du Sichuan se sont vidés de leurs jeunes en une génération. En altitude, «c'est à peine s'il en reste un sur dix», dit Wang Xingjun, en¬goncé dans un costume Mao d'un autre âge. Ils sont partis comme mineurs dans le Shaanxi, ma¬nœu¬vres dans la province de Canton, ou encore ma¬çons pour les ¬stades olympiques à Pékin. Les vieux, eux, s'accrochent à leur maison de bois et à leurs terrasses de blé et de pomme de terre. Parfois, ils élèvent aussi l'unique petit-enfant.

«La vie reste belle» 

Depuis le séisme du 12 mai, c'est par dizaines de milliers que les migrants du Sichuan abandonnent tout et retournent au pays pour sauver père et mère. La mo¬dernité a donné des rides aux ¬campagnes, mais elle n'a pas entamé des millénaires de piété filiale. Un fils doit le respect à ses parents, les anciens comptent sur les jeunes pour assurer les vieux jours. La politique de restriction des naissances n'a fait que resserrer l'obligation. À l'été 2003, la canicule française et ses milliers de victimes du troisième âge livrées à elles-mêmes avaient tout simplement horrifié l'opinion chinoise. 

Sur les seules hauteurs de la ville de Beichuan, l'Armée populaire de libération a mobilisé mille hommes pour le sauvetage des anciens. «Ils n'ont presque rien à manger, ils dorment à la belle ¬étoile, dit un officier qui préfère ¬taire son nom. Mais si le fils ne nous accompagne pas, ils refusent souvent de partir. Ils ont passé toute leur existence là-haut. Ils n'ont aucune envie de descendre.»
En altitude, dans un paysage à couper le souffle, Wang Xingjun dit «vouloir se sauver lui-même». Sa maison est dangereusement lézardée et il n'a pas les moyens de la réparer. Le gouvernement lui a demandé de partir, il répond que «la vie reste belle» dans son ha¬meau démoli. L'électricité ? Elle n'est arrivée que dans les années 1980 et, sans elle, «il suffira de dîner et d'aller se coucher plus tôt».

Passé soixante ou soixante-dix ans, les Chinois portent dans leur chair la mémoire d'une histoire tourmentée. Les vieux de Beichuan sont les enfants ou les adolescents de la famine qui a suivi, notamment au Sichuan, le Grand Bond en avant voulu par Mao (au moins 15 millions de morts). «Ils ont connu ¬toutes sortes de privations, ils espèrent pouvoir s'adapter une fois de plus, explique Fen Shitai, médecin de campagne à Chenjiabao. À vrai dire, ils ne descendaient ici que pour acheter du sel et de l'huile.»

Peut-être les vieux Chinois se méfient-ils aussi de tout ce qui vient de la ville. Plutôt que d'aller rejoindre un camp de sans-abri dans la plaine, ils préfèrent rester près du ciel.


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