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Le Kenya est frappé par la sécheresse la plus grave depuis dix ans

Jean-Philippe Rémy, Le Monde 

Kenya

24 fevrier 2006 

Kilomètre de brousse après kilomètre de brousse, il n'y a plus âme de vache qui vive dans la plaine masaï. Dans la vaste étendue qui s'étend au sud du Kenya, une sécheresse d'anthologie a vidé les "manyattas" (villages masaïs) de leur bien le plus précieux, les troupeaux. Après trois années consécutives d'aridité, les puits se tarissent peu à peu. L'herbe n'est plus qu'un souvenir. Les vaches sont condamnées à mourir sur place ou à fuir, poussées par leurs bergers. Certaines tentent d'entrer dans les parcs nationaux, où les rangers les repoussent. La majorité des bovins tentent leur chance à Nairobi pour y brouter l'herbe des bas-côtés des routes au milieu des klaxons et s'y abreuver à l'eau fétide de la rivière polluée de la capitale kényane qui fut, de tout temps, l'ultime solution d'urgence des Masaïs pour échapper à la soif. 

Dans sa ferme des environs de Kajiado, Moses Yiare, éleveur masaï, a regardé ses vaches mourir. Tendant sa canne vers un groupe de squelettes nettoyés par les charognards, il soupire : "Voilà tout ce que j'ai. Voilà ma maison, voilà mes carcasses." Georges Otieno, responsable local de l'organisme gouvernemental chargé de l'aide à la population, estime que, depuis décembre 2005, 40 % des vaches du district sont mortes. Le prix des animaux en vie s'est effondré, divisé parfois par huit. Les services de l'Etat ont été obligés de lancer à travers toutes les régions d'élevage des camions d'équarrisseurs pour ramasser les charognes dont les hyènes se régalaient, mais qui risquaient de contaminer les points d'eau.
Lors de la dernière sécheresse, en 2000, Moses Yiare avait poussé ses vaches vers Nairobi : 500 têtes au départ, 80 seulement au retour.

"Cette fois, je préfère rester", assure-t-il, avant de laisser éclater sa colère : "La première sécheresse dont je me souvienne date de 1960, quand ce pays n'était pas encore indépendant. Quarante ans plus tard, les sécheresses continuent, mais les gouvernements n'ont rien fait pour s'y préparer. Si on continue, les gens vont mourir comme sont mortes les vaches. Pourtant, si tout était bien géré, on pourrait faire face. Par exemple en préparant à l'avance des réserves de nourriture pour le bétail."

La remarque est d'autant plus pertinente que tout le Kenya ne sèche pas sur pied. Au contraire, dans les régions productrices de maïs de l'Ouest, bien arrosées par les pluies, la récolte a été exceptionnelle. Mais l'organisme paraétatique chargé des achats et des distributions souffre de mille maux, à commencer par la corruption. Quant au marché des céréales, contrôlé en sous-main par deux compagnies à l'échelle du pays, il est soumis à une inflation entretenue artificiellement.

Pendant que la spéculation va bon train, la troisième année consécutive de pluies insuffisantes a créé une large tache de sécheresse qui court depuis la province aride du Nord jusqu'aux rivages de l'océan Indien, non loin des hôtels où les touristes continuent d'affluer.

Ce n'est pas encore la catastrophe redoutée. Zuleykha Abass, de la Croix-Rouge kényane, parle de "morts discrètes", des bébés qui s'éteignent sur le dos de leur mère partie chercher de l'eau. Mais la situation pourrait rapidement s'aggraver si les prochaines pluies dans la région, qui doivent s'étaler entre mars et avril, devaient faire défaut à nouveau, comme le redoute l'Organisation météorologique mondiale. Dans ce cas, la sécheresse serait amplifiée par les facteurs locaux, politiques ou climatiques.

De leur côté, l'Ethiopie et la Somalie entrent dans une seconde année sans pluie ou presque. A cheval sur les trois pays, des éleveurs se sont mis en mouvement depuis novembre 2005, parcourant parfois des centaines de kilomètres à la recherche d'eau et de pâturages.

EVITER "LA GRANDE CATASTROPHE"

Les chiffres donnent le vertige. A côté des quatre millions de personnes touchées par la sécheresse au Kenya début février, la Somalie pourrait compter près de deux millions de personnes menacées, tout comme l'Ethiopie, et pourrait connaître ses premières victimes "dès le mois d'avril", selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). "Les nappes phréatiques sont asséchées, les stocks de nourriture ont été consommés. S'il ne pleut pas en avril, on risque la catastrophe", confirme Xavier Duboc, chef de mission d'Action contre la faim (ACF) pour la Somalie.

La pire sécheresse depuis dix ans touche également d'autres pays de la région, notamment le Burundi, où deux millions de personnes sont menacées par la combinaison de l'aridité, de graves maladies des cultures et des séquelles de la guerre civile à peine terminée, ou encore l'Erythrée, le nord de la Tanzanie ou Djibouti, menaçant au total près de douze millions de personnes.
Alors que la crainte de voir la grande sécheresse se muer en famine dans quelques semaines ou quelques mois s'accentue, Kjell Magne Bondevik, envoyé spécial de Kofi Annan pour les questions humanitaires dans la Corne de l'Afrique, a visité, jeudi 23 février, la région massaï.

A un point d'eau, devant des femmes massaï qui patientaient depuis plus de sept heures, après avoir marché plusieurs dizaines de kilomètres pour obtenir 20 litres pour leur famille, il a insisté sur la nécessité de parer au plus pressé, estimant que "si la communauté internationale ne se réveille pas", la crise actuelle risque de "se transformer en grande catastrophe", tout en rappelant que des solutions devraient être trouvées pour mettre fin à l'extrême vulnérabilité de la région aux variations climatiques.

De son côté, Nicholas Haan, conseiller technique en chef de l'Unité d'analyse pour la sécurité alimentaire en Somalie (FSAU), qui dépend de la FAO, s'est penché sur les données des dernières décennies, et son diagnostic est clair : "La sécheresse est un phénomène cyclique, normal dans cette région et on ne note pas, en ce moment, de forte diminution des précipitations, même si les variations sont désormais plus brutales, avec des périodes de sécheresse succédant à des inondations. Le nombre des animaux a beaucoup augmenté, et diminue dès que la situation se dégrade momentanément."
En conclusion, il estime qu'"il appartient aux gouvernements et aux organismes impliqués dans ces régions, ensuite, de trouver des solutions pour développer ces régions". 


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