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Les Retraités Migrateurs

By Catherine Simon, Le Monde

April 24, 2004

Sable, plage, soleil et prix doux, la Tunisie attire de plus en plus les Européens du troisième âge, qui y passent les mois d'hiver, avec, souvent, l'appui financier de leurs caisses de retraite.

Ce sont de drôles d'oiseaux, avec des cheveux blancs et des sourires de gosses. Des oiseaux migrateurs. Chaque hiver, Pierre, Vincent, Jeanne et les autres quittent la France et sa grisaille pour se poser sur la côte tunisienne, les pieds dans le sable, dans la lumière des plages de Monastir, au bord de la Méditerranée.

Ils ne viennent pas pour seulement quinze jours - ça, c'est bon pour les "actifs". Eux, ils jettent l'ancre pour deux mois, parfois trois. Pas plus : la durée du visa touristique n'excède pas quatre-vingt-dix jours. Hélas ! " S'il n'y avait pas la question des papiers, on resterait de novembre à avril", assure Pierre Deschepper, 70 ans, qui fréquente le village de vacances d'El Shems, en compagnie de son épouse, depuis maintenant dix ans. "S'il n'y avait pas les enfants, je passerais ma retraite ici", renchérit Vincent, 70 ans lui aussi, mais veuf depuis cinq ans. "C'est mon second pays", sourit cet apprenti nomade d'ascendance italienne et qui vit en Vendée.

Jeanne Pelé, 82 ans, approuve : "Ici, on est comme en famille. Même avec le personnel, on se tutoie." Venue en Tunisie pour la première fois avec son mari, en 1981, Jeanne a continué seule ensuite, après le décès de son époux. " Tant que je pourrai, je reviendrai !", promet l'alerte retraitée, qui passe "deux à trois mois", chaque hiver, sous les palmiers de Monastir.

Malgré la brise frisquette et le ciel menaçant, Pierre, Vincent et Jeanne sont en polo, chemisette et T-shirt. Le fond de l'air est doux. Sur la terrasse, juste à l'entrée du bar, de jeunes animatrices, le micro à la main, organisent des jeux de société pour les vacanciers de tous âges. Pierre et Jeanne adorent. La femme de Pierre, elle, préfère jouer aux boules. Dans les allées fleuries qui quadrillent le village, il y a peu de monde encore.

Les fêtes de Pâques marquent la fin de l'hiver et le début d'un nouveau flux. A l'approche des beaux jours, les arrivants vont être de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes : majoritairement des "actifs", accompagnés de leurs enfants. Les tarifs aussi augmentent - chassant les pensionnaires les plus modestes (ou les plus malins), qui ont su profiter de la basse saison. D'ici la fin avril, Pierre, Vincent, Jeanne et les autres auront regagné leurs pénates français. Plus tard, l'été venu, le village de vacances d'El Shems ressemblera à toutes les fourmilières touristiques de la côte tunisienne : grouillant de monde, vibrant de chaleur, résonnant des cris des gamins et des musiques jetées à fond la caisse par les haut-parleurs.

El Shems a pourtant une histoire singulière. Financé par la Caisse de retraite et de prévoyance des professions du bâtiment et des travaux publics, aujourd'hui baptisée PRO-BTP, le village d'El Shems, inauguré en 1973, est d'abord destiné aux salariés et aux retraités du bâtiment.

Avec sa piscine, son mini-golf, ses boutiques et ses multiples restaurants, ce village de "Gaulois" à la sauce maghrébine a des allures d'immense cité balnéaire. On y dénombre presque autant de bungalows (six cents) que de palmiers (huit cents), répartis sur 25 hectares en bord de mer. Fait rare : quinze logements ont été spécialement équipés pour recevoir les "personnes à mobilité réduite" - ce qui n'est pas le cas des six autres villages de vacances PRO-BTP installés à l'étranger, dont la fréquentation est même formellement "déconseillée" aux gens qui ont du mal à se déplacer.

Jeunes ou moins jeunes, les pensionnaires du village d'El Shems ont, en tout cas, un point commun : ils bénéficient de tarifs "calculés au prorata des revenus de chacun", rappelle son directeur, Jean Dombrowski. Les prix les plus bas, ce sont ceux de l'hiver et des longs séjours. Une aubaine pour les petits retraités qui, à l'instar de Pierre, ancien électricien, ou de Vincent, ancien menuisier, n'ont "pas une rente de millionnaire". L'hiver, le village est à eux. "Il y a toujours eu des vieux à El Shems, glisse un employé tunisien, mais ils sont de plus en plus nombreux chaque année. D'ailleurs, ce ne sont plus des vieux. Il faut dire jeunes retraités."

Après avoir travaillé toute sa vie comme employée à la manutention dans un grand magasin de La Roche-sur-Yon, Jeanne, dont le mari était ouvrier maçon, ne roule pas sur l'or elle non plus. Comme Pierre et Vincent, elle a fait ses calculs. "Financièrement, on s'y retrouve", assure-t-elle. Un des rares extras qu'elle s'accorde, c'est le salon de coiffure. "Il est en dehors du village, j'y vais à pied", explique la vieille dame, qui, par souci d'économie, ne prend jamais le taxi. "La coiffeuse est gentille et elle ne prend pas cher : 5 dinars. Je trouve que ce n'est pas assez, alors je lui en donne 6", commente-t-elle, magnanime.

Selon la direction, un séjour de deux semaines en hiver, "avec pension complète, animation de 9 heures à 23 heures, voile et pédalo gratuits", coûte, pour les bas revenus, "117 euros par personne, auxquels il faut ajouter 250 euros d'avion charter". Soit, au total, 25 euros par jour. Et moins, bien sûr, si le séjour s'allonge. "C'est tellement moins cher qu'une maison de retraite en France ! On ne peut même pas comparer. Ici, en plus, on n'est pas enfermé et il y a plus d'animation", souligne Jeanne.

Bien qu'elle ait "quitté l'école à 12 ans", l'ancienne manutentionnaire aime bien participer aux "jeux de réflexion", dérivés du Scrabble et du "Mot le plus long", pour lesquels, "finalement", elle avoue se "débrouiller pas mal". Elle ne crache pas, non plus, sur une partie de pétanque ou de tir aux fléchettes. "En France, l'été, j'ai mon jardin, ça va. L'hiver, par contre... Il fait nuit à 5 heures. Et il fait froid !", plaide l'octogénaire. Mais, avant la douceur du climat et la modicité des tarifs, c'est d'abord le besoin de "rompre la solitude" qui a poussé Jeanne à rallier les rangs des retraités migrateurs. Vincent partage le même sentiment : "Depuis que ma femme est morte, plutôt que de rester seul en Vendée, je viens ici tous les deux mois. On est de plus en plus nombreux à faire pareil, on se retrouve chaque hiver - comme les gens d'un même village, vraiment."

A Tunis, au ministère de la santé publique, le docteur Noureddine Cherni, directeur des activités sanitaires privées, est convaincu que ce "créneau" des longs séjours pour Européens du troisième âge a " toutes les chances de se développer". Mais, pas plus qu'au Maroc, où des projets semblables existent, aucune étude sérieuse n'a été faite en Tunisie qui permettrait de mesurer l'ampleur du phénomène et de prévoir son évolution. L'an dernier, une délégation norvégienne est venue à Tunis "afin de voir quelles sont les possibilités d'accueillir les personnes âgées en vue de séjours longs",indique le docteur Cherni.

Les Européens ne sont pas seuls en piste. "Nous avons eu également la visite d'une délégation japonaise, soucieuse de savoir si la Tunisie pouvait constituer un "point de chute" pour les retraités nippons. Ils ont évoqué des séjours de trois à six mois", ajoute le responsable tunisien. "Mais nous n'en sommes qu'au stade de la prospection, insiste-t-il. Les cures thermales et la thalassothérapie démarrent à peine. Si l'on veut développer l'accueil des personnes âgées, il faut que le tourisme "de santé" soit à la hauteur. La Tunisie n'y est pas encore prête."

Sans doute n'est-ce pas la seule raison qui explique cette relative frilosité. L'attentat de Djerba, en avril 2002, survenu quelques mois après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, n'a pas été sans refroidir les enthousiasmes, de part et d'autre. Les bombes islamistes de Casablanca, en mai 2003, et celles de Madrid, le 11 mars dernier, ont encore fait chuter les chiffres du tourisme. Les Européens y regardent désormais à deux fois avant de partir en vacances sur les rives musulmanes de la Méditerranée.

Inconscience ou sagesse ? En cette fin avril, sur la plage de Nabeul, à une soixantaine de kilomètres au sud de Tunis, les premiers baigneurs s'enhardissent et s'étendent sur le sable. Peaux blanches et cheveux clairs. L'Hôtel Lido, l'un des plus vieux établissements du coin, est un fief du tourisme allemand et italien. L'été, bien sûr, mais aussi l'hiver : "Depuis une dizaine d'années, nous avons des clients qui séjournent chez nous un mois et parfois plus, de novembre à fin mars. Ce sont des gens âgés, des Allemands", précise le gérant du Lido, Mokhtar Ben Hassine. Pour passer le temps, ils marchent sur la plage ou chassent le sanglier. A la morte saison, cette clientèle de "fidèles" ne remplit l'hôtel qu'à 25 % ou à 30 % de sa capacité. Mais, en ces temps de crise, ce peu n'est pas si mal.

Dans la ville voisine d'Hammamet, le vieil et élégant Hôtel Fourati a, lui aussi, ses résidants d'hiver. Des Allemands, là encore, quinquagénaires pour la plupart. Certains restent six mois : "Ici, c'est leur seconde maison",sourit le barman. Il y a parmi eux des sans-emploi ou des salariés en congé maladie longue durée. "Le prix de l'hôtel est moins élevé que celui d'un loyer à Francfort. Sans parler du chauffage, qu'ils s'évitent de payer", ajoute un employé. Lui-même a établi, la veille, la facture d'une Allemande de Düsseldorf restée six mois au Fourati. "Elle en a eu pour 2 500 euros, demi-pension et avion compris. Faites le calcul : cela lui fait du 13 euros par jour", conclut-il. Il sourit, fair-play : "Ce sont des personnes très gentilles, on les connaît. D'ailleurs, on leur a donné un surnom. On les appelle les "Hadj Maoued", ça veut dire : les pèlerins qui reviennent tout le temps."

Quand on lui rapporte ces faits, le docteur Cherni a un sourire amer. "A ces prix-là, tout est possible pour un Européen ! Même pour un chômeur... La Tunisie se vend trop peu cher, ajoute-t-il. Ce n'est pas une bonne politique : cela se répercute forcément sur la qualité des services."

Mireille et Lucien, Niçois d'origine, pensionnaires à l'Hôtel Bel Azur d'Hammamet, où ils séjournent fidèlement de novembre à janvier, puis de mars à mai, ne sont pas d'accord sur ce point. "Les Tunisiens sont d'une telle gentillesse !", s'exclame Mireille, élégante septuagénaire qui se rappelle encore avec émotion du bouquet de fleurs que le personnel de l'hôtel lui avait envoyé après qu'elle avait été admise dans la clinique privée voisine, à la suite d'un malaise.

"Pour les femmes, surtout les femmes seules, c'est l'idéal", insiste Lucien. "Non seulement elles s'y retrouvent financièrement, mais, en plus, elles n'ont pas à s'occuper de la popote, du linge ou du ménage. Elles n'ont même pas le lit à faire !", s'enthousiasme le vieil homme.

C'est aussi l'avis de Catherine et de Nicole, professeurs de collège, qui sont venues, avec trois autres amies, enseignantes elles aussi, au centre de thalassothérapie Bio Azur d'Hammamet, pour s'offrir, une fois n'est pas coutume, "une semaine entre copines, sans les enfants et sans les maris".

Catherine, 55 ans, est catégorique : "L'un dans l'autre, c'est moins cher qu'en France - surtout la note d'hôtel."Ce que confirme la responsable de l'agence de voyages suisse Destination Santé, dont "50 % de la clientèle vient en Tunisie pour les cures thalasso". Avec dix-sept centres agréés par le ministère de la santé et une quinzaine d'autres en projet, la Tunisie est en passe de devenir "la deuxième destination pour la thalassothérapie, après la France", estime l'ancien ministre du tourisme, Ahmed Smaoui, chargé du projet de centre de tourisme de santé d'Aïn-Oktor, près de Korbous.

Au village de vacances d'El Shems, la thalassothérapie a aussi fait son entrée.
Depuis cette année, on peut, moyennant finances, soigner son stress ou ses rhumatismes, entre une partie de belote et un tirage de tombola. Le tourisme médical, en revanche, n'en est qu'à ses balbutiements. Tant que les organismes de sécurité sociale, en France comme en Grande-Bretagne, continueront à rembourser convenablement les soins médicaux, on ne voit guère pourquoi les choses changeraient.

Hormis quelques Européennes attirées par les prix modiques de la chirurgie esthétique, les patientes étrangères qui fréquentent les (excellentes) cliniques privées tunisiennes sont, à ce jour, majoritairement des Libyennes, des Algériennes ou des Mauritaniennes.

Seule brèche, à demi ouverte : les soins dentaires, à la fois coûteux et souvent peu ou mal remboursés, en France notamment. Le docteur Slaheddine Anane, qui dirige le cabinet dentaire du complexe thermal de Djerba-les-Bains, ouvert il y a trois ans, assure recevoir "une centaine de patients européens par an".
Mireille la Niçoise a déjà "son" médecin et "sa" coiffeuse à Hammamet. C'est sur les conseils de cette dernière qu'elle a, pour la première fois, consulté un dentiste local. Aussitôt adopté. "Il m'a très bien soignée, et c'est moins cher qu'en France", résume la vieille dame. D'ailleurs, c'est promis : "L'an prochain, on va dire à nos amis niçois de venir. On fera un charter !"
La Tunisie, paradis des vacances à tout faire ?...


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