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Les Seniors ne sont pas des Petits Vieux

Libération

March 24, 2004

Dimanche, Marie-Jo André-Gouriou ira voter. «Parce que ça veut dire être citoyenne», explique cette énergique retraitée brestoise, ancienne directrice de maison de retraite. Elle rejoint en cela une des convictions les mieux partagées par sa génération. Les quinquagénaires et les sexagénaires sont les plus assidus aux élections. Selon une étude de l'Insee (1), la participation des électeurs de 50 à 70 ans était de 80 % lors des élections présidentielle et législatives du printemps 2002. Dans un contexte périodiquement marqué par l'abstention malgré le petit sursaut civique du premier tour des élections régionales , le poids électoral des seniors reste déterminant. Pourtant, qui se soucie du vote de Marie-Jo ? Elle-même le dit : «J'ai une constante dans ma vie : je ne fous la paix à personne. Ça veut dire se remuer pour faire comprendre aux politiques qu'ils doivent retrouver la base. Serrer les mains, c'est facile. Ce que l'on veut, c'est que l'on vienne nous donner un coup de main quand on a un souci. Les politiques nous enferment dans leur baratin.»
«Les partis ont des préjugés»

Voter donc, même si c'est en rongeant son frein à l'automne de sa vie, cela ne surprend pas vraiment Jean-Claude Martineau, chef du service actualité de Notre temps, mensuel (un million d'exemplaires) qui s'adresse aux seniors. «Les seniors votent davantage que les jeunes, mais ils ne sont pas non plus épargnés par les notions de ras-le-bol ou de désintérêt», explique Jean-Claude Martineau. Au passage, il étrille encore l'idée reçue qui fonderait un «vote vieux» acquis à l'extrême droite : «Les seniors sont plutôt enclins à reconduire l'équipe en place mais, en 2002, ils n'ont pas plus voté Front national que les autres classes d'âge.»

Les chiffres sont là : un Français sur trois a aujourd'hui plus de 50 ans. Ils seront 50 % en 2040. Un mouvement qui va de pair avec la hausse de l'espérance de vie. Chez les sondeurs, Pierre Giacometti (Ipsos) parle d'«éléments lourds qui ne sont pas encore anticipés dans le discours et la sensibilité politiques». Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche du CNRS au Cevipof (centre de recherches politiques de Sciences-Po), n'est pas tendre avec ces partis où les caciques indéboulonnables ignorent superbement qu'ils ont l'âge de leurs plus vieux électeurs : «Les partis ne vont pas chercher les seniors, ils ont des préjugés. Il n'y a que le FN qui y va. Si les partis politiques étaient intelligents, ça se saurait. Ils en sont encore à la parité pour inscrire leur maîtresse ou leur petite cousine sur leur liste.» 

L'ancienne secrétaire d'Etat aux Personnes âgées et actuelle députée du Doubs, Paulette Guinchard-Kunstler, raconte comment elle a fait entrer le troisième âge sur la pointe des pieds dans les débats du PS : «En 2001, j'ai senti que cette question pouvait être abordée au bureau national, elle commençait à n'être plus complètement farfelue. Je ne suis pas sûre qu'elle soit reconnue comme essentielle.» A l'UMP, on déniche l'anecdote pour évoquer «un couple de 67 ans qui a adhéré la semaine dernière». Pour le reste, Olivier Ubeda, responsable des relations publiques et de l'animation des bénévoles, affirme qu'«à l'UMP, on ne construit pas de stratégie sur les catégories d'âge. Nos convictions sont valables de 7 à 77 ans». Le slogan est aussi inusable que le label «vétérans» du Parti communiste français. «Il faut avoir vingt-cinq ans de carte, indique-t-on place du Colonel-Fabien. Dire que l'on a une approche nationale à l'égard des seniors serait faux. Il y a plutôt des démarches empiriques et locales.» Il n'y a guère qu'à l'UDF qu'on se félicite ouvertement de cette main-d'oeuvre militante corvéable à merci que sont les retraités : «C'est une population très présente dans nos activités, explique un cadre du parti. Leur résonance passe beaucoup par la contribution militante. Ils veulent être socialement utiles mais ne prétendent pas jouer les premiers rôles. Ils sont présents mais ne demandent rien. Leur proportion chez les maires adjoints et les conseillers est importante. C'est un personnel politique précieux. Quand on veut terminer une liste, on met des jeunes ou des retraités.»

Un «ghetto de l'âge» révélé par la canicule

Hormis la frange militante, les 7 millions d'électeurs de plus de 65 ans (sur un total de 40 millions) ont des contacts aussi rares que ritualisés avec le personnel politique : «Les vieux sont victimes du clientélisme électoral», se désole Olivier Pagès, conseiller de Paris et président de la commission nationale des Verts «vieillesse et solidarité entre les générations». «Allez demander à un maire de supprimer les colis ou les repas de fin d'année et de les remplacer par autre chose. C'est la croix et la bannière. A Paris, il y a toujours la boîte de chocolats et le spectacle avec le chanteur clé en main.» Il aura fallu la canicule d'août 2003 pour dévoiler toute l'ampleur de ce qu'Olivier Pagès appelle le «ghetto de l'âge». «Tout à coup, on a redécouvert les vrais vieux, ceux du 4e âge et ils sont un peu devenus un enjeu politique, analyse Jean-Claude Martineau à Notre temps. Il va peut-être y avoir un glissement électoral, le type de 60 ans va peut-être demander aux candidats : "Que faites-vous pour ma mère de 85 ans ?"» Pour Jean-Pierre Bultez, directeur chargé du développement aux Petits Frères des pauvres, «le champ politique s'est surtout interrogé sur la question des moyens financiers et matériels pour faire face aux besoins sanitaires plutôt que de formuler une réponse sociale. Les élus ont bien du mal à identifier leur positionnement par rapport aux personnes âgées».

Sept mois ont passé depuis les décès de l'été. «La canicule nous a ébranlés mais on a remis tout de suite un drap dessus car on a peur de la mort», dit Olivier Pagès. Jean-Philippe Viriot Durandal, auteur de Pouvoir gris, sociologie des groupes de pression de retraités, prône la transformation de la politique de la vieillesse en politique du vieillissement pour éviter la coupure avec les retraités. «Cela impliquerait de casser les constructions mentales et institutionnelles qui paralysent ce pays et le fige dans un patchwork incohérent de mesures d'âge. La politique de la vieillesse est souvent basée sur une approche misérabiliste et condescendante de l'avancée en âge focalisée sur la perte et le handicap. Or le vieillissement intervient bien avant l'âge de la retraite ou de la perte d'autonomie. C'est un processus et non un état et, lorsqu'il devient un facteur d'exclusion économique et sociale, il se pose logiquement en question politique.» Pour le sociologue, «la canicule n'a rien changé à cette approche, au contraire. Le gouvernement a agi sous la contrainte de l'opinion mais sans définir une doctrine du vieillissement propre à impulser l'action publique et les initiatives privées pour relever les défis du secteur gérontologique».

«On a cassé quelque chose dans notre rythme»

Pourtant la canicule et ses conséquences peuvent encore être au coeur des débats. Comme à la mairie de quartier de Saint-Marc à Brest. «Comment constituer un réseau face aux solitudes ?», s'interroge Anne-Marie Cibaud, maire adjointe (PS) qui préside la réunion du groupe de réflexion «personnes âgées». L'assistance, qui n'a plus 20 ans, est constituée notamment de représentants de clubs de retraités, de l'association France Alzheimer et de l'Office des retraités de Brest. Marie-Jo André-Gouriou en est, en tant que responsable de l'antenne brestoise d'Allô maltraitance personnes âgées. Elle décrit «la solitude des personnes âgées comme la solitude de la retraite. On a cassé quelque chose dans notre rythme. On est dans un ailleurs». Daniel Juif, directeur de l'Office des retraités de Brest, explore depuis plus de vingt-cinq ans cet «ailleurs» sans jamais perdre de vue son contexte social et politique : «Quand on est dans l'économie, on est obligé de vivre avec les autres. Quand on est à la retraite, il n'y a plus cet effet d'entraînement. Comment se replacer par rapport aux autres quand on vous dit que vous ne valez plus rien ? Ça, le pouvoir politique s'en fout. Il segmente les âges. Il n'a pas de vision globale de la vie. Il faudrait pourtant faire une éducation au vieillissement. Quand on construit un quartier, on amène des jeunes, on édifie des écoles. Mais les gens vieillissent, et un jour on découvre qu'on n'a pas réfléchi à la maison de retraite ni au cimetière.» 

Sébastien est depuis treize ans à la retraite. Deux fois par semaine, il anime des ateliers d'aide à la lecture et aux devoirs à l'école Saint-Jean-Baptiste, située dans le quartier de Pontanezen. Depuis vingt ans, l'Office des retraités de Brest développe cette activité de solidarité qui concerne aujourd'hui 120 intervenants dans une trentaine d'écoles. Un atelier d'insertion baptisé «Roul'âge» implique également dix-sept retraités, une chargée d'insertion et quinze volontaires qui restaurent des fauteuils roulants pour des associations caritatives. «C'est un mélange d'humanitaire et d'insertion, expliquent Michel et Armand, deux retraités bénévoles. Le cheminement, c'est d'occuper des retraités et des gens en grande difficulté. A l'atelier, chacun apporte du lien social à l'autre.»

Retrouver un «projet de vie»

«Il y a eu l'après-guerre et les remerciements à ceux qui avaient souffert, résisté à l'occupant, participé à la reconstruction. Puis la valorisation des pensions dans les années 1970. Longtemps, les politiques ont considéré que donner des sous aux vieux, ça suffisait, analyse Daniel Juif. Aujourd'hui, la question de l'utilité sociale est posée aux candidats.»
L'enjeu est également majeur pour Paulette Guinchard-Kunstler : «Pour les seniors comme pour les très grands vieillards, la question de la place, de l'utilité humaine, est essentielle. Je pense que les politiques commencent tout doucement à l'envisager. Les retraités se disent que les élus réfléchissent à eux uniquement en termes de coup financier, de retraite, mais n'ont jamais planché sur leur projet de vie.» Parfois, raconte Daniel Juif, ce sont les retraités eux-mêmes qui ont du mal à se convaincre : «Aujourd'hui, un retraité a vingt-cinq ans d'existence devant lui. Ils tombent des nues quand on leur dit que ça vaut le coup d'avoir un projet de vie à la retraite comme un jeune a un projet de fonder une famille. L'activité est un prétexte pour découvrir qu'ils ont des capacités physiques et intellectuelles. On va à l'encontre des politiques qui disent "Vous avez bien mérité le repos."» 


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