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Le Cameroun oublie ses vieux

par Jean Robert Mbané, président de l'association « Ensemble, Protégeons les Vieux », Afrik.com

France

17 octobre 2005 

Le sort des vieux s'occidentalise au Cameroun où les personnes âgées sont de plus en plus seules et isolées. La mutation du statut des personnes âgées s'explique essentiellement par l'exode rural et le virus du sida, qui décime toute une génération d'enfants normalement censée s'occuper des vieux jours de leurs parents. Précisions de Jean Robert Mbané, président de l'association « Ensemble, Protégeons les Vieux ».


Abandonnés, ignorés, exclus, le statut des anciens est en pleine mutation au Cameroun. Les personnes âgées, en milieu rural, sont de plus en plus abandonnées par les jeunes, qui préfèrent la ville. A l'heure où elles devraient se reposer, un nouveau rôle leur est imposé : celui de s'occuper de leurs petits-enfants orphelins du sida, ce qui les fragilise d'autant plus. Jean Robert Mbané, président de l'association camerounaise « Ensemble, Protégeons les Vieux », créée en 1997, explique les actuels changements de mours et de mentalité et revient sur son action pionnière en matière d'aide et de solidarité.

Afrik.com : Qu'est-ce qui a contribué à l'isolement des personnes âgées ? 

Jean Robert Mbané : La société camerounaise a changé. Elle a évolué et a malheureusement oublié de prendre en compte les personnes âgées. Plusieurs facteurs entrent en compte dans le processus de l'oubli du vieux, tels que l'exode rural : de plus en plus de jeunes quittent les campagnes pour la ville. Et même si ils ne réussissent pas en ville, ils ne reviennent pas car ils ont trop honte de l'échec. Ensuite, le virus du sida a quasiment décimé toute une génération et, finalement, les petits enfants se retrouvent à la charge des anciens. Les nouvelles mours, telles que le langage, la façon de s'habiller, de se comporter renforcent encore plus le sentiment d'exclusion des vieux. Par exemple, avant les jeunes se devaient de retirer leur chapeau, quand ils voyaient une personne âgée, pour la saluer. Aujourd'hui tout cela n'est plus observé. Avant, on accordait plus d'importance aux anciens, ils inspiraient la sagesse, le respect, le dévouement... Les jeunes se mettaient à leur disposition, ils étaient à leur écoute.

Afrik.com : Comment les personnes âgées vivent-elles ce manque de considération ? 

Jean Robert Mbané : C'est un bouleversement total de la tradition que les vieux ont du mal à accepter. Ils ont l'impression de ne plus être respectés, voire même d'être exclus. Les anciens sont psychologiquement très marqués par le virus du sida, qui a rétréci la famille telle une peau de chagrin. Et bien sûr, la souffrance mentale affaiblit leur santé. Donc ils sont plus vulnérables face aux maladies comme le diabète, les rhumatismes, l'hypertension... Leur situation est d'autant plus fragilisée que le VIH inverse les rôles familiaux traditionnels. En effet, au lieu de se reposer, elles se fatiguent encore plus car elles doivent s'occuper de leurs petits-enfants orphelins du sida.

Afrik.com : Pensez-vous que la situation économique renforce cet isolement ? 

Jean Robert Mbané : Elle renforce effectivement leur isolement. Avant, les personnes âgées vivaient du cacao et du café. Mais aujourd'hui ce marché est mort. Avec la libéralisation, l'économie a mis complètement les vieux de côté. Nous avons adressé un courrier au Premier ministre en lui demandant de considérer la situation des anciens qui n'ont pas de pensions de retraite. Tous n'ont pas eu la chance de travailler pour l'Etat, donc la majorité n'a absolument rien pour vivre. C'est grave vu l'évolution économique d'un pays qui affiche une croissance annuelle de 5% depuis deux ans. Au Mozambique, en Afrique du Sud et au Brésil tous les vieux ont le droit, et ce à partir de 60 ans, à une pension de retraite. Nous avons donc demandé à l'Etat de faire de même.

Afrik.com : Quelles sont les actions que mène votre association ? 

Jean Robert Mbané : Grâce à notre clinique mobile, nous nous déplaçons dans les campagnes. Nous évitons ainsi à nos anciens de se déplacer. En plus de leur apporter des soins, nous les informons sur leurs droits, les conseillons sur leur alimentation. Nous avons aussi mis en place un Programme paludisme, obésité, diabète. Nous disposons aussi d'une cellule de soutien psychologique. Occasionnellement, nous recevons l'intervention de médecins bénévoles. Nos intervenants sont des volontaires, tous issus au minimum du secondaire. Ils reçoivent une formation pour être rapidement opérationnels sur le terrain. Cela fait cinq ans que nous sommes sur le terrain. Au début, les anciens étaient très méfiants vis-à-vis de notre aide car chez nous toute aide gratuite est suspecte. Mais aujourd'hui, ils nous font confiance, nous réclament et sont très enthousiastes.

Afrik.com : Comment fonctionne votre association ? Percevez vous des aides financières de l'Etat ? 

Jean Robert Mbané : Nous ne recevons aucun financement. Nous sommes membres de la Fédération Internationale de Vieillesse et nous devons leur régler 150 dollars par an pour nos droits d'inscription, ce qui représente une perte considérable pour le fonctionnement de l'association. Quant à l'Etat, il s'est complètement désengagé. Il ne nous a jamais versé aucune aide. Malheureusement, au Cameroun la question des personnes âgées n'est pas considérée comme un problème social. Nous finançons nos actions tant bien que mal grâce aux droits d'inscription que chaque volontaire verse à son arrivée. Nous travaillons avec les Comités de Développement du village, qui financent certains de nos programmes, comme la clinique mobile. Un député de l'Assemblée Nationale de notre circonscription intervient quelquefois en nous offrant une aide matérielle et financière. Nous voulons intensifier nos actions et sensibiliser un maximum de personnes pour venir renforcer nos équipes de volontaires.


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