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Le « probleme » de la vieillesse

par Yves Gineste et Jérôme Pélissier, Extrait du livre Humanitude (p59)

France

11 octobre 2005


 Mais est-ce bien encore le " problème de la vieillesse ", puisqu'une part non négligeable de ces personnes de plus de 60 ans ne seront... pas vieilles? (En 2050, si la dynamique actuelle continue sur le même rythme, l'âge évolutif de la vieillesse se situera probablement autour de 80 ans.) ...

 Ne serait-ce pas plutôt un problème pour les retraites ou pour la sécurité sociale... À mieux regarder les discours alarmistes, on s'aperçoit en effet que la crainte de ce " vieillissement de la population " est d'ordre essentiellement économique. Peu importe finalement que les 60 ans et plus soient vieux ou non, ils seront retraités et leur " charge ", nous dit-on, pèsera sur les actifs. Peu importe finalement que nous ayons la chance de vivre plus nombreux plus vieux et de connaître nos grands-parents et nos petits-enfants, nous risquons d'être plus nombreux à être confrontés à des maladies et handicaps et notre " charge ", nous dit-on, pèsera sur les actifs. 

 Ces visions, encore et toujours alarmistes - et qui oublient que l'argent des retraites, que l'argent de la santé, est un argent qui circule en permanence, qui est sans cesse réinvesti dans l'économie, qui fait travailler des millions de personnes, etc. - correspondent-elles à la réalité? 

Retraite et financement:
Rappelons que la retraite pour tous a été instituée à un moment où l'âge fixé (65 ans) était supérieur de quelques années à l'espérance de vie moyenne. C'est actuellement l'inverse : l'espérance de vie moyenne oscille plutôt entre 15 et 25 ans après le moment où s'arrête l'activité rémunérée. 

Pour autant, ce changement implique-t-il de retarder l'âge légal de la retraite - et donc de rompre avec ce phénomène qui, tout au long du dernier demi-siècle, a vu chaque génération produire plus de richesse et en utiliser une partie pour travailler moins longtemps? 

 À l'heure actuelle, comme le souligne d'ailleurs le rapport Plancade, aucune étude ne permet d'affirmer que l'accroissement du nombre des retraités provoque, en soi, un problème de financement des retraites. 
En revanche, ce qui posera certainement un problème, c'est l'augmentation du nombre de chômeurs, en particulier parmi les personnes de moins de 30 ans et celles de plus de 50 ans. 

Si le taux d'activité des jeunes et des plus de 50 ans n'augmente pas, si le nombre de chômeurs ne décroît pas, si perdure la tendance actuelle à concentrer le travail sur les personnes âgées de 30 à 50 ans, des risques majeurs se poseront en effet pour le financement, par les actifs, des systèmes de retraite... mais aussi des systèmes éducatifs, sanitaires et sociaux. 
La situation actuelle et celle du futur proche n'imposent pas des décisions hâtives, prises dans l'urgence et sans concertations. Mais elles appellent une réflexion globale qui, comme le préconisait déjà Pierre Laroque en 1962, doit dépasser le cadre de la " politique vieillesse " pour se situer dans le cadre d'une sérieuse politique de l'emploi et d'une réelle politique des âges de la vie. 
Cette réflexion implique d'éviter deux attitudes néfastes : celle qui considère que rien ne devra jamais changer dans un système mis en place il y a quelques décennies, alors que la situation n'a cessé depuis de se modifier; celle, malheureusement de plus en plus répandue, qui manipule la question des retraites à des fins idéo logiques pour promouvoir un autre système de financement. 

Quoi qu'il en soit, replacer la question des retraites dans celle, générale, de la solidarité entre les générations et du partage de la richesse nationale entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas (enfants, étudiants, retraités, femmes en congé de maternité, actifs empêchés de travailler lors d'une maladie, chômeurs, etc.), permet de considérer l'avenir avec moins de défaitisme et plus d'activisme. D'y voir surtout un défi: celui de maintenir cette chance que représente l'allongement de l'espérance de vie dans une société comme la notre, grâce à un système social qui permet à chacun de ne pas travailler jusqu'à la mort pour survivre. 

Aujourd'hui, ce n'est pas le " nombre des retraités ", mais l'abandon de ce système, qui risque de déterminer un avenir où l'on retrouverait pour nous et nos enfants une situation de précarité et d'insécurité dont nos parents et grands parents nous avaient sortis. 

Individus autonomes et système rigide 
Au-delà de la question du financement des retraites, c'est l'adaptation des systèmes qui organisent nos modes de travail à l'évolution de nos moeurs et de nos mentalités, à la diversité de nos modes de vie, qui représente l'un des défis majeurs des décennies à venir. 

Le cycle rigide et ternaire (formation puis activité puis retraite) ne correspond plus à ce que désirent beaucoup d'entre nous. Entre les retraités forcés qui souhaiteraient continuer à travailler, les actifs occupés qui, au cours de leur carrière, souhaiteraient reprendre des études ou disposer de congés sabbatiques, les jeunes et les chômeurs qui aimeraient travailler, les travailleurs qui, du fait de la pénibilité de leur travail, devraient pouvoir partir plus tôt, etc., nous sommes nombreux à souffrir de la rigidité d'un système qui, en ne s'adaptant pas du tout à la manière dont nous souhaitons gérer nos vies, augmente les inégalités plus qu'il ne les réduit. 

Un accès égal et continu aux formations (d'autant plus nécessaires que les savoirs évoluent rapidement), des possibilités de congés ou de temps partiels choisis permettant d'autres activités, en fonction de nos investissements familiaux ou associatifs, des départs à la retraite progressifs, etc. : tous ces aménagements, qui existent déjà pour certains, sont à développer, à faire connaître et à favoriser. 

Pour rester dans le domaine de la santé, indiquons par exemple qu'en Suède, un salarié peut quitter son travail durant 2 mois pour accompagner un proche en fin de vie en touchant 80 % de son salaire 50; en Australie, une personne qui quitte son travail pour aider un parent " dépendant " a droit à une indemnité d'un montant proche de celui de sa retraite. 

Dans une époque où le temps passé au travail est deux fois, voire trois fois, inférieur à celui qu'on y passait il y a un siècle, où le temps dévolu aux autres activités, familiales, sociales, etc., s'est accru d'autant, il est indispensable que le travail puisse être organisé comme il est considéré: un élément, parmi d'autres, de nos parcours de vie, sur lequel nous devons pouvoir exercer notre autonomie. 

Ignorer cette exigence constitue un risque de démotivation d'autant plus important que se creuserait alors l'écart entre ces activités hors travail très diverses, vivantes, que nous adoptons en fonction de nos choix et de nos désirs, et une activité rémunérée où notre parole, notre pouvoir de décision, notre autonomie, resteraient ignorées et inactives. Or nous savons aujourd'hui que c'est justement la possibilité d'exercer notre autonomie et notre ingéniosité qui permet à nombre d'entre nous de faire aussi de leur travail un facteur d'accomplissement de soi et de plaisir, un espace de réalisation de projets et de liens sociaux, etc. 

Rater ce défi serait dangereux: la préoccupation majeure de beaucoup d'entre nous deviendrait alors, simplement, celle d'une augmentation et d'un investissement du temps libre réalisés aux dépens du travail... Un tel phénomène menacerait l'équilibre de tout le système: le dégoût du travail mène vite à une perte de son efficacité puis de sa valeur et de sa quantité - autrement dit à une augmentation très importante du taux de chômage. On finirait ainsi, triste ironie de l'Histoire, par en revenir, contraints et forcés, à de longs temps libres essentiellement occupés à produire nous-mêmes de quoi nous nourrir, nous vêtir et nous soigner. 

Retraité = bénévole ou assisté ? 
La reconnaissance, nécessaire, de notre autonomie et de la diversité de nos activités peut-elle continuer à se faire en maintenant cette frontière très rigide qui sépare actuellement les activités salariées des activités bénévoles ? 
En même temps que certains hommes politiques évoquent avec nostalgie les relations familles d'autrefois, ils ignorent les nouvelles formes de coexistence et de solidarité entre générations pratiquées par les retraités d'aujourd'hui. En même temps que d'autres s'inquiètent du maintien de la citoyenneté au grand âge, ils ne soutiennent pas les pratiques citoyennes et ne favorisent pas l'élaboration de lieux et de structures propres à les favoriser. En même temps que tous incitent les retraités à continuer à s'investir socialement, presque rien n'est proposé pour que leurs nombreuses activités bénéficient de reconnaissances politique, sociale et économique. 

À ne considérer que les échanges marchands classiques, notre pays qui pourtant en profite -, est en train de passer royalement à côté des nouveaux rôles, des nouvelles formes de pratiques, d'études, de transferts, de transmissions de savoirs et de savoir-faire, que les actuelles générations de retraités élaborent et enrichissent. 

Il existe pourtant, dans de nombreux pays, des expériences qui visent à valoriser, faciliter et renforcer ces activités, par exemple dans des formes d'échanges et d'entraides reconnues, qui permettent d'espérer sortir, à terme, de ce modèle binaire et exclusif du " actif " ou " passif ", du " je suis bénévole et je donne " ou " J'ai besoin d'aide et je reçois ". Comme si, passé un certain âge, il ne devait plus y avoir, dans nos relations, que des sens uniques.

Accompagnant souvent le discours sur le " poids des retraites ", un autre discours déplore le " coût des vieux " et le " coût de la dépendance ", qui augmenteraient considérablement les dépenses de santé et menaceraient le niveau de vie des futurs actifs. 

Que les dépenses de santé augmentent est pourtant un facteur qui devrait nous réjouir: il est en effet l'un des meilleurs témoins du progrès d'un pays! La demande de soins médicaux augmente, tous les âges, avec l'augmentation du niveau de vie. Les principaux facteurs de l'augmentation des dépenses de santé sont l'amélioration des techniques médicales, le développement des offres de soins 52, un meilleur accès aux soins et une meilleure couverture sociale. 
Plus les dépenses de santé augmentent dans un pays, plus ses habitants sont bien-portants et bien soignés. Situation qui, comme le souligne l'Organisation mondiale de la santé (OMS), accroît notre qualité de vie, mais également notre efficacité professionnelle, notre participation sociale, etc. Faudrait-il le regretter? 

Le pourcentage des personnes âgées de 60 à 69 ans qui estiment leur état de santé satisfaisant par rapport aux personnes de leur âge, est du reste en constante augmentation: 75 % d'entre eux en 1979-1980, 89 % en 1998-1999. 

Quant au vieillissement de la population et à la " dépendance ", ils n'occupent, d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qu'une place mineure dans les augmentations des dépenses qui ont eu lieu entre 1960 et 1995. 

Restons néanmoins prudents sur les leçons à tirer de ces différents constats. Car les sommes actuellement dépensées pour la " dépendance " sont inférieures à ce qu'elles devraient être et, espérons-le, à ce qu'elles seront dans les années à venir, dans des systèmes sanitaire, social et médico-social mieux conçus et mieux dotés. 

Prudence également, parce que le " coût du vieillissement et de la dépendance ", relativement modeste, ne doit pas masquer le coût, humain et économique, très important, de certaines caractéristiques de notre système de santé: 
La surconsommation de soins techniques coûteux, souvent pratiqués pour pallier l'absence d'une approche globale et individualisée de la personne malade (combien d'examens et de radios faute d'une consultation faite dans les règles de l'art, d'une durée adéquate, avec une écoute attentive ?). 

Les carences d'un système hospitalier, avec un sous-développement grave des services de réadaptation, qui conduit à sur-utiliser des services, onéreux, de court séjour, dont l'inadaptation aux caractéristiques des hommes vieux malades conduit à des absences de rééducation des apparitions ou aggravations de handicaps, des grabatisations 56. Comment tolérer que tant d'hommes vieux physiquement et psychiquement autonomes ressortent si souvent de l'hôpital, à la suite d'une opération, en situation de handicap ou de perte d'autonomie 57 ? 
Les faiblesses des systèmes d'aides qui ne soutiennent les personnes que quand elles sont déjà " dépendantes " et ne permettent pas à celles, vulnérables, qui pourraient éviter de le devenir, d'avoir accès aux services nécessaires. Cette situation est souvent, également, responsable d'institutionnalisations ou d'hospitalisations inutiles 58. 

 Le sous-développement de la prévention (le coût du soin d'une escarre évitable par des mesures simples de prévention est estimé à 12 000 euros; le coût de la prise en charge d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer double quand elle est diagnostiquée tardivement). 
L'important retard dans la formation des professionnels de santé aux caractéristiques des hommes vieux. Il y a cinq ans, 3 % seulement des généralistes possédaient une capacité de gériatrie ; discipline qui reste le parent pauvre des études médicales. Les plus de 65 ans forment pourtant la majeure partie de la clientèle des généralistes 59. Les conséquences de ce retard sont coûteuses et, souvent, dramatiques 60. 

Si nous avons la chance, au fur et à mesure que nous vivons plus vieux, de vivre en meilleure santé plus longtemps, cela ne suffit pas: la " dépendance " des " personnes âgées " augmentera tant que les réponses sociales seront insuffisantes et inadaptées, tant qu'une médecine spécialisée et préventive ne sera pas opératoire et répandue. Le coût humain et financier de ces inadaptations est infiniment supérieur au coût économique de la " dépendance ".
 


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