Pays riche et vieux cherche immigrés
Le Monde
France
28 avril 2007
Comment les pays riches et vieillissants
peuvent-ils éviter l'anémie dans les quarante prochaines années ? Les
experts des Nations unies, qui ne sont connus ni pour leur goût de la
provocation ni pour leurs talents de fantaisistes, ont pris leurs
calculettes et la réponse tient en un mot : immigration. A l'horizon
2050, il faudra à la France, comme à la plupart des pays d'Europe, "deux
fois plus d'immigrés" que dans les années 1990. Telle est l'une des
principales conclusions de leur rapport, "Migration de remplacement :
est-ce une solution pour les populations en déclin et vieillissantes ?"
publié mi-mars par la division de la population du département des
affaires économiques et sociales de l'institution internationale. Ce
"besoin d'immigration", insistent ces experts, devra impérativement être
satisfait. Faute de quoi, le "déclin" de la population sera
"inévitable".
S'appuyant sur l'étude détaillée de huit pays à basse fécondité
(Allemagne, Etats-Unis, Fédération de Russie, France, Italie, Japon,
République de Corée et Royaume-Uni) et deux régions (Europe et Union
européenne), ce document présente les différents scénarios possibles, en
fonction des tendances démographiques à l'oeuvre - baisse du taux de
fécondité et accroissement de la longévité notamment - et des choix
politiques qui seront faits... ou pas. Exemple : la France veut avoir,
en 2050, le même nombre d'habitants qu'aujourd'hui ? Pour ce faire, il
lui faudrait accueillir "1,5 million d'immigrants entre 2025 et 2050",
chiffre relativement bas. Si, mieux encore, elle veut maintenir stable
le nombre des personnes en âge de travailler, alors, il lui faudrait
"doubler le niveau du début des années 1990". En clair, accepter la
venue de 5,5 millions d'immigrés supplémentaires entre 2010 et 2050 -
soit, en moyenne, 136 000 étrangers de plus chaque année. Un chiffre, là
encore, relativement faible : dans cette hypothèse, la proportion des
immigrés et de leurs descendants au sein de la population française
serait à peu près identique à celle d'aujourd'hui : 11,6 % en 2050
contre 10,4 % en 1990.
Mais si, d'aventure, les gouvernants français souhaitent garder le
"rapport de support potentiel" (c'est-à-dire le nombre des personnes en
âge de travailler pour une personne de plus de 65 ans) identique à celui
de 1995 (soit un rapport de 4,4), alors les choses risquent d'être plus
délicates : il faudrait que la France accepte d'accueillir "vingt à
quarante fois" plus d'immigrés qu'elle ne l'a fait durant ces dix
dernières années. Dans ce cas, précise l'ONU, les "immigrés post-1995 et
leurs descendants" représenteraient, en 2050, "plus des deux tiers" des
habitants de la France. Une gageure ? Pas forcément. Comparés à d'autres
pays d'Europe, comme l'Estonie, la Bulgarie et l'Italie, "qui vont
perdre", du fait du vieillissement, "entre un quart et un tiers de leur
population", les défis que la France doit relever sont bien moins
périlleux.
Au Royaume-Uni, où les projections de l'ONU n'ont rien, là non plus, de
particulièrement affolant, une partie de la presse a cru bon d'agiter
l'épouvantail de l'invasion barbare. Le chapitre du rapport de l'ONU
concernant les migrations internationales indique pourtant que "le flux
migratoire net vers les régions les plus développées devrait demeurer au
niveau de 2,3 millions par an, dont 1,3 million à destination de
l'Amérique du Nord". Soit un flux légèrement inférieur à celui de la
décennie 1990-2000, qui était de 2,5 millions de migrants. D'ici à 2050,
précise le rapport, "plus de la moitié du total des migrants quittant
les régions les moins développées devraient venir d'Asie ; entre 25 % et
30 % de l'Amérique latine et des Caraïbes ; le restant d'Afrique".
Pour le géographe Gildas Simon, fondateur et ancien responsable du
laboratoire de recherche Migrinter (CNRS, Poitiers), "on est très en
dessous des niveaux atteints historiquement par les migrations". Ainsi,
en 1910, les migrants internationaux (non compris les touristes)
représentaient "entre 5 % à 10 % de la population mondiale".
Aujourd'hui, ce pourcentage est nettement moindre : "Le nombre des
migrants internationaux est estimé à 200 millions de personnes - soit
3,1 % de la population mondiale", souligne le chercheur.
M. Simon nuance également les conclusions des experts de New York, qui
"tendent à démontrer que, si un pays riche veut se maintenir à niveau,
il lui faut, théoriquement, un nombre extrêmement élevé d'immigrés".
"Les dynamiques migratoires ne fonctionnent pas de manière mécanique,
explique-t-il. Par ailleurs, il faudra tenir compte, pour l'avenir, des
recompositions en cours dans le cadre de la mondialisation, notamment
celles de l'économie du travail aux différentes échelles, du global au
local."
Pour autant, reconnaît-il, les grandes tendances que dessine le rapport
de l'ONU sont "de l'ordre du vraisemblable". Pour les experts onusiens,
les pays riches ont bénéficié, pendant la seconde moitié du XXe siècle,
de circonstances démographiques exceptionnelles, parenthèse enchantée
qui leur a permis de distribuer "des revenus relativement généreux à
leurs retraités sans que le coût soit trop fort pour la population
active". Désormais, conclut le rapport, les démocraties vieillissantes
doivent avant tout se préoccuper du long terme : fixer un nouvel "âge de
la retraite", déterminer "le niveau de couverture de soins souhaité pour
les personnes âgées" ; choisir comment financer cette politique sociale
; identifier le poids financier maximal qui pourra peser sur les
salariés, etc. Autant de choix qui détermineront directement la
politique d'immigration des prochaines décennies.
PROPORTION D'ACTIFS EN BAISSE
La proportion de personnes en âge de travailler dans les pays riches va
s'effondrer d'ici à 2050 selon les Nations unies.
FRANCE : en 1950, il y avait 5,49 personnes de 15 à 64 ans pour 1 de 65
ans et plus. Cette proportion était de 4,1 en 2000 et sera de 2,26 en
2050.
ITALIE : 6,9 ( 1950) ; 4,15 ( 2000) ; 1,52
( 2050).
UNION EUROPÉENNE : 6,97 ( 1950); 4,06 ( 2000) ; 1,89 ( 2050).
FÉDÉRATION DE RUSSIE : 10,49 (1950); 5,51 ( 2000) ; 2,41 ( 2050).
ETATS-UNIS : 7,83 ( 1950); 5,21 (2000); 2,57 ( 2050).
JAPON : 12,06 ( 1950); 3,99 (2000); 1,71 ( 2050).
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