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Japon : les seniors ont peur d'être abandonnés


Par Isabelle Konuma, Alternatives Internationales


1 décembre 2009 

Japon

En septembre 2009, le Parti démocrate du Japon (PDJ) a remporté une victoire historique aux élections législatives, mettant fin à plus d'un demi-siècle de domination du Parti libéral-démocrate (PLD). Il doit en partie cette victoire à la défense des intérêts des retraités et des personnes âgées face à un PLD accusé de vouloir " s'attaquer aux plus faibles " et réduire la générosité de la protection sociale. Pendant la campagne, les leaders du PDJ se sont engagés à financer sur le budget national la hausse des charges sociales due au vieillissement de la population et à garantir l'accès aux soins médicaux dans les régions rurales. La hausse des dépenses liée à cette politique sera financée par d'autres arbitrages budgétaires, notamment la réduction du budget des travaux publics.

L'enjeu est de taille, car la pyramide d'âge japonaise est en train de s'inverser, en raison d'une longévité exceptionnelle et d'une chute de natalité profonde. Après un xxe siècle marqué par une croissance démographique soutenue - sa population a doublé en l'espace de soixante-quinze ans, pour atteindre en 2004 le pic d'environ 127 millions -, le Japon est entré dans une phase de dépeuplement, de sorte qu'en 2050, le pays ne devrait plus compter que 80 millions d'habitants. En baisse constante depuis 1974, le taux de fécondité ne s'élevait plus en 2005 qu'à 1,26 enfant par femme en moyenne. Cette baisse démographique ne vient pas comme une surprise ; le problème a été reconnu dès le début des années 1990, mais les gouvernements consécutifs avaient longtemps compté sur la génération du " deuxième baby-boom " - 1971-1974 - pour faire remonter le taux de natalité. Ce n'est qu'à partir du tournant 2000, devant l'évidence d'une " ultra-dénatalité " - selon l'expression du démographe Makoto Atô -, que le thème commence à s'imposer de façon cruciale dans le débat public.

Au milieu du xxe siècle, le pays semblait pourtant suivre la courbe normale de la transition démographique : l'indice de fécondité baissait progressivement pour se stabiliser aux alentours de deux enfants par femme, en résultat d'une politique visant à limiter la croissance démographique - par exemple, la loi dite " eugénique " de 1948 réformée en 1949 avait légalisé le recours à l'IVG en cas de difficultés financières, une possibilité dont se serviraient de très nombreuses Japonaises. En 1974, cependant, commença une seconde baisse, plus lente mais durable, qui ne s'est arrêtée qu'en 2005, et qui est plus difficile à expliquer. De nombreuses causes ont été avancées : l'augmentation du travail féminin, la persistance d'une division sexuelle des tâches devenue inadaptée à la société moderne, l'absence de véritable politique sociale, etc. Le sociologue Masahiro Yamada souligne aussi la précarité de la jeune génération qui, à cause des difficultés financières, se marie de plus en plus tard et vit de plus en plus longtemps chez ses parents.

A la chute de la fécondité s'ajoute l'allongement de l'espé¬rance de vie : entre 1947 et 2008, elle est passée de 50 à 79 ans pour les hommes, de 54 à 86 ans pour les femmes, établissant un nouveau record mondial. Selon les critères de l'ONU, une société est considérée comme " vieillissante " lorsque les personnes âgées de 65 ans et plus dépassent 7 % de l'ensemble de la population, et comme " âgée " si ce pourcentage dépasse 14 %. Le Japon a atteint le premier groupe en 1970 et le second en 1994 : le passage de l'un à l'autre lui a pris vingt-quatre ans seulement, alors que la même mutation a duré 115 ans en France, 85 en Suède et 40 en Allemagne.

La proportion des Japonais de 65 ans et plus devrait ainsi atteindre 35,7 % en 2050 et 40,5 % en 2055, selon les estimations du Centre national de recherches sur l'assurance sociale et la démographie. Cette tendance est trop lourde pour que ses conséquences puissent être évitées, même si l'on arrivait à relever le taux de fécondité ; comme le souligne le sociologue Masahiro Yamada, c'est toute la société japonaise qui doit désormais se préparer à la nouvelle pyramide d'âge. A commencer par le marché du travail : lorsque la génération issue du premier baby-boom d'après-guerre (1947-49) aura atteint l'âge de 65 ans en 2012-2014, son départ de la vie active mettra à l'épreuve l'économie du pays : en 2005 on comptait 3,3 actifs pour un retraité ; ils ne seront plus que 2,3 en 2015 et 1,8 en 2030. Une évolution qui ranime le débat sur le système d'assurances sociales lequel finance en grande partie les soins médicaux, les retraites (celles du régime de base financé par répartition, c'est-à-dire où les cotisations des actifs financent les prestations versées aux retraités), et l'assistance socio-médicale des personnes âgées (prise en charge par une assurance spécifique instaurée en 2000). Abondées par la population active (via les charges sociales et l'impôt), les caisses d'assurance risquent de vite devenir déficitaires et posent la question des limites de la solidarité intergénérationnelle.

Face à la crise annoncée des recettes, de nombreuses propositions veulent repousser l'ouverture des droits à la retraite de 65 à 67 ans et promouvoir l'emploi des seniors. A la veille des élections de septembre, l'ancien premier ministre Taro Aso a créé une polémique en se demandant comment " mettre à contribution les personnes âgées qui sont en pleine forme ? Il est tout à fait pensable que cette population n'excelle qu'à travers le travail. Le travail est sa compétence absolue. Elle ne peut pas apprendre à s'amuser à 80 ans passés ! " Cette déclaration, visant à faire sortir les seniors de la population " dépendante des finances publiques ", a été vivement critiquée, et Aso a été obligé de s'en expliquer. Le travail des seniors reste néanmoins la réponse préférée des hommes politiques, du PLD comme du PDJ, au problème du vieillissement.
D'ores et déjà, 49,5 % des hommes et 28,5 % des femmes âgés de 65 à 69 ans cumulent la retraite avec des revenus d'activité (contre 3 % en France).

Mais cette stratégie se heurte aux pratiques des entreprises : d'après les chiffres du ministère de la santé et du travail, 93 % de celles-ci fixent elles-mêmes un âge de départ à la retraite pour leurs salariés - 60 ans dans la très grande majorité des cas (87 %), soit cinq années avant que les salariés puissent bénéficier de leurs droits à la retraite accumulés dans le régime général. Le taux d'emploi élevé dans la tranche d'âge 60-64 ans (68,8 % chez les hommes, 42,3 % chez les femmes en 2004) s'expliquerait en partie par le besoin de combler cette lacune - 71,8 % des travailleurs dans cette tranche d'âge reconnaissent travailler pour des raisons financières. Depuis une dizaine d'années, les pouvoirs publics incitent les entreprises à retarder l'âge de la retraite de 60 ans à 65 ans en contrepartie d'aides financières. Sans grand succès : selon une enquête de 2006, seules 37 % des entreprises japonaises acceptent de garder leurs salariés seniors, et seules 7,8 % seraient dotées d'un service de reclassement pour orienter les retraités vers d'autres secteurs.

Le deuxième type de réponse au changement démographique concerne la protection sociale. Depuis 1996, les gouvernements n'ont cessé de mettre les personnes âgées à contribution, relevant la part des frais médicaux à la charge du patient. Ces arbitrages ne se font pas sans débat, ni sans protestations de mouvements comme l'Association japonaise pour le développement du bien-être des personnes âgées : fondée en 2002, elle aspire à défendre les intérêts des personnes âgées et à " créer une société âgée par des personnes âgées pour les personnes âgées ". Elle lance des pétitions, s'exprime sur les projets de réforme, fait pression sur les partis politiques. Elle a critiqué la politique du PLD, fustigeant l'ouverture du secteur des soins aux prestataires privés, mais aussi les nouvelles inégalités territoriales : les métropoles comme Tokyo, Osaka absorbent les populations actives et vieillissent plus lentement que la moyenne nationale. Or le dépeuplement menace les finances publiques des zones rurales, car les lois sur la décentralisation ont transféré aux collectivités territoriales une partie des coûts liés aux soins des personnes âgées. Ainsi, l'assistance aux seniors est financée à 25 % par l'Etat, 50 % par les cotisations et 25 % par les départements et les communes.

Autre exemple d'opposition à la politique menée récemment : le Rassemblement national annuel des personnes âgées, organisé depuis plus de vingt ans. Ses leaders ont critiqué récemment le PLD pour la réforme du régime des " seniors avancés ", comparant le Japon à une " montagne moderne où l'on abandonne les seniors " (allusion aux anciennes pratiques consistant à abandonner les vieilles femmes dans la montagne). Votée en 2008, cette réforme de l'assurance maladie a supprimé les exceptions prévues pour les retraités de plus de 75 ans et dont les revenus sont bas (exemptés jusqu'alors de cotisation pour l'assurance médicale). Le Rassemblement a su rallier à sa cause les syndicats et les organisations professionnelles des médecins et des infirmiers ; en octobre 2009, l'Association médicale du Japon retirait son soutien au PLD pour se rapprocher du PDJ, qui s'était engagé à abroger cette loi dans les deux années à venir.

Il ne faut pas exagérer cependant l'importance de cet activisme. Les associations semblent davantage s'investir sur le terrain de l'aide que dans le lobbying. Ainsi, l'objectif premier de l'Association pour le développement du bien-être des personnes âgées est de former un réseau d'aide mutuelle et un " réseau transgénérationnel " dans les collectivités locales. L'association encourage aussi la formation à l'informatique qui peut garantir une certaine autonomie (commander par internet, organiser des voyages, participer à des réseaux sociaux, effectuer des virements bancaires, etc.). Sur ce point, elle semble en phase avec les professionnels du secteur de l'information, qui voient émerger un nouveau segment sur le marché.

Car de plus en plus, le senior japonais devient aussi un consommateur convoité par les annonceurs. Avec un revenu annuel estimé à près de 15 000 euros par senior et une épargne atteignant 200 000 euros par foyer, cette population, qui n'a souvent plus de crédit immobilier à rembourser ni d'enfants à charge, est le moteur de la demande intérieure dans nombre de secteurs : la santé, le tourisme, l'habitat, mais aussi l'alimentation et la mode. Les annonceurs misent sur la " qualité ", la " simplicité " et la " sécurité " des biens (plats cuisinés, emballages, etc.) ainsi que la " commodité " des services (services de livraison par exemple) pour attirer la clientèle âgée. Les géants automobiles comme Toyota proposent des véhicules faciles d'accès aux fauteuils roulants, des robots de secours et d'assistance pour se déplacer. Dans le tourisme, le gouvernement annonce pour 2010 une réduction d'impôt pour des seniors ayant participé à des voyages organisés sur le territoire national (actuellement, 40 % des seniors font au moins un voyage par an).

Le changement démographique affecte à la fois les mécanismes de solidarité, les modes de production et les styles de vie. Les risques côtoient de nouvelles possibilités. Ces profondes mutations ne font que commencer : les décennies à venir diront si la société japonaise peut s'y adapter.


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