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Reportage. Prix S’unir pour agir (3/10); Un café à l’écoute des vieux migrants.


La Croix


9 Septembre 2009


France 

Cette année encore, « La Croix » s’est associée à la Fondation de France pour récompenser une dizaine d’associations à l’origine d’initiatives innovantes. À Paris, deux cafés sociaux accueillent les migrants âgés et isolés pour les aider dans leurs démarches quotidiennes.

Le marché bat son plein à Belleville dans le 20e arrondissement de Paris. Des jeunes discutent assis sur un banc. De vieux messieurs aux traits mats et ridés observent l’agitation ambiante. Bon nombre d’entre eux vont passer faire un tour au 7 rue de Pali-Kao pour saluer les amis du café social Ayyem Zamen. Ce lieu original a pour mission d’accueillir les personnes âgées, notamment les vieux migrants, souvent isolés et dans des situations précaires.

Les jours de marché, les mardis et vendredis matin, ils sont une dizaine, parfois une vingtaine, à venir prendre le petit déjeuner. Derrière les vitres aux rideaux blanc et jaune, une grande pièce dans des couleurs chaudes. Des murs orangés, avec une inscription en arabe, « Ayyen Zamen » – « le temps jadis » en français. Des tables et chaises en bois, un comptoir, un coin salon avec un grand canapé en cuir blanc. Ils sont déjà tous attablés : des hommes, des femmes, des Blancs et des beurs. On se passe les thermos de thé et de café, la confiture, le beurre, on commente l’actualité du jour en se taquinant. « L’ambiance est toujours très conviviale. L’idée est de faire de ces petits déjeuners des rendez-vous hebdomadaires pour éviter que les papis se retrouvent seuls chez eux, explique Moncef Labidi, le cinquantenaire d’origine marocaine responsable du café social. Trop de migrants négligent ce moment pour faire des économies. Lorsqu’ils viennent ici, nous sommes sûrs qu’ils font au moins un bon repas dans la journée. »

Ancien instituteur en Tunisie venu faire des études de sociologie, Moncef Labidi raconte l’histoire de ces hommes et femmes d’origine maghrébine, les « chibanis » – « anciens » en arabe –, qui ont émigré en France dans les années 1950 et 1960. À l’époque, traverser la Méditerranée signifiait trouver un emploi, gagner de l’argent et nourrir la famille restée au pays. Des boulots dans le bâtiment, en usine ou dans la restauration, souvent physiques, toujours difficiles. Et où on ne prenait de pause que pour rentrer au Maghreb, une fois par an dans les meilleures années. « Arrivés à l’âge de la retraite, ces personnes venues uniquement pour travailler perdent leurs repères, explique Moncef Labidi. Ils se sentent inutiles. Au pays, ils sont devenus encombrants et n’ont plus leur place dans leur famille. Même si leur vie est en France, ils sont souvent seuls, démunis et incapables de faire les démarches administratives nécessaires, comme demander leur retraite. »

Chargé de mission dans une association de quartier, Moncef Labidi a conscience du malaise des migrants depuis longtemps. L’idée d’un lieu de vie germe dans sa tête. En 2003, le café social de Belleville ouvre ses portes. « La grande majorité d’entre eux est analphabète. Alors la moindre publicité dans la boîte aux lettres les affole. Ils ont l’impression qu’il faut faire la queue partout, pour se présenter à un guichet où on expédie leur demande en deux minutes. Ici, on commence par prendre un café et ensuite on peut parler », rapporte le responsable, en regardant deux messieurs qui patientent assis à une table, une chemise pleine de papiers. « Je les aide à constituer leur dossier de demande de retraite, je signe des chèques de loyer et, quand tout est lancé, je surveille que les choses suivent leurs cours », raconte André Lefebvre, animateur et confident des migrants. Le café social propose aussi des permanences, assurées par une assistante sociale – « nous, on l’appelle madame la France, pour rire », précise l’animateur – et d’un écrivain public.

Le petit déjeuner tire à sa fin. Certains ne se sont assis que dix minutes, d’autres s’attardent et discutent. Berthe, une habitante du quartier, essuie la table et aide à ranger. Même si son parcours n’a rien à voir avec celui des migrants, elle aime venir ici pour voir des gens et se changer les idées. Avec le temps, elle est devenue une habituée. « Nous sommes très fiers d’avoir fait du café un lieu vivant et mixte, qui accueille des vieux migrants mais aussi des “Français” et des femmes », affirme Moncef Labidi. En mars, l’association a consacré une semaine à ces dernières : tables rondes sur le bien-être des migrantes âgées, ateliers santé sur le thème de l’équilibre alimentaire ou encore des spectacles et repas pour mieux les intégrer au café.

À l’autre bout de la table, un vieux monsieur en costume bleu marine et chemise blanche lui lance une invitation en arabe à boire un café. Tout autour, les tables se sont remplies de groupes réunis autour du petit noir et d’un pichet d’eau. La fin de matinée passe ainsi, entre discussions feutrées, rares éclats de voix et regards fatigués mais brillants. Les après-midi, le café social organise des activités : information collective sur le sommeil ou le diabète, jardinage dans le potager du café, 700 m2 prêtés par la mairie de Montreuil, repas des anciens une fois par mois. Sans oublier les interminables parties de domino, un incontournable au café.

Au mois de mai, un groupe de migrants est parti dix jours en vacances à Hyères (Var). « Tout était organisé, les balades, les repas, les loisirs et même les temps de sieste », plaisante Moncef Labidi. Un temps de repos et pour soi, qui tranche avec le quotidien et les voyages au pays, fatigants et délicats émotionnellement. « Pour certains, c’étaient leurs premières vacances depuis longtemps et un monsieur m’a carrément dit que c’était le plus beau jour de sa vie, se réjouit le directeur du café, en montrant les photos de la virée, rangées dans un album. Ces jours-là, les migrants sont sur leur 31, fiers de bien présenter malgré leurs difficultés financières. »

Car le point commun entre ces vieux émigrés, outre leur parcours, c’est leur précarité. Hébergés à droite et à gauche, naviguant d’hôtels meublés en chambres de bonne, parfois partagées avec un cousin, ils n’ont pour vivre que leur pension de retraite, la plupart du temps autour de 700 € « dont, systématiquement, de 150 à 200 € vont à la famille », précise André Lefebvre. Abdelaziz, 60 ans et tout frais retraité, a connu cette galère. Arrivé en France « le 22 avril 1971 » – la date reste gravée dans sa mémoire –, il a travaillé successivement dans les chemins de fer, la restauration, la préparation de marchandises et comme réceptionniste, habitant dans un petit studio, à l’hôtel ou dans des foyers. Aujourd’hui, il vit dans un appartement HLM du 19e arrondissement et vient juste d’envoyer son dossier pour recevoir sa pension de retraite. Le tout « grâce au café qui a m’a aidé à remplir tous les papiers », explique cet homme aux cheveux poivre, originaire de Kabylie. « Avant, je ne restais qu’avec des Maghrébins et je ne pensais qu’au travail. Maintenant, j’essaye de parler avec d’autres gens. J’ai l’impression d’avoir tourné la page du passé et j’ai envie de profiter davantage de la vie », lâche-t-il tout bas en s’enfonçant dans le canapé. À l’autre bout de la pièce, tout près de l’entrée, Saïd, 78 ans, est seul devant son nectar de poire. Il porte un polo jaune sous une veste bleue et une casquette, et sourit quand on le regarde, mais ne parle pas. Il a quitté Tizi Ouzou le 22 mars 1951 pour la France. Aux autres questions, il ne donne que de vagues réponses, d’un air gêné. Puis se lève, salue l’assemblée rapidement et s’éclipse sans un mot. « Ces personnes, marquées par la vie, sont toujours à distance et très discrètes, rassure Moncef Labidi. Ce n’est pas toujours facile d’engager la discussion. Nous, nous avons mis du temps à les apprivoiser. »




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