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France:

Maisons de Retraite : le Scandale Continue


By Delphine Chayet, Le Figaro

February 10, 2004  

 


Plus de 4 600 des 15 000 victimes de l'été dernier ont trouvé la mort dans ces établissements censés les protéger. Aucune leçon n'en a, pour l'heure, été tirée. 

Chambres doubles trop exiguës, portes trop étroites pour la circulation des fauteuils, absence de douches individuelles, ascenseurs trop petits... Dans bien des cas, l'architecture des maisons de retraite et la configuration interne des bâtiments ont joué un rôle funeste pendant le pic de chaleur estival. Or, rappelle l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), 30% des établissements hébergeant des personnes âgées seraient à rénover partiellement et 15% totalement, selon des estimations nationales peu étayées – aucun état des lieux des maisons de retraite n'a jamais été réalisé. Pour Pascal Champvert, président de l'association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées, ce sont 5% des maisons qui, indignes, doivent être fermées. «L'absence de statistiques fiables est une particularité du secteur, un symptôme supplémentaire de l'indifférence des pouvoirs publics et de la société sur la manière dont on traite, en France, le troisième âge», fustige Jean-François Lacan.  

Car l'inadaptation des maisons de retraite françaises, dont les effets tragiques sont apparus à l'occasion de la canicule, fait aussi du quotidien des personnes âgées et du personnel un enfer. Un tiers des pensionnaires déclarent ainsi ne pas disposer d'une chambre individuelle. «Ma mère, qui vit dans une chambre de neuf mètres carrés, ne quitte jamais son étage, témoigne encore la fille d'une femme âgée de 92 ans. Elle n'a pas mis un pied dehors depuis des mois parce que l'ascenseur est trop petit pour son fauteuil roulant».  

Construits dans les années 70 et 80, à la faveur du mouvement de transformation des anciens hospices, de nombreux établissements ne sont pas aujourd'hui en mesure de garantir la sécurité d'une clientèle plus vulnérable qu'autrefois. «Les maisons de retraite étaient alors conçues comme des résidences, censées accueillir des pensionnaires mobiles et autonomes», indique Jean-François Lacan. Mais c'est à une tout autre réalité que sont confrontés aujourd'hui les dix mille établissements français. «On y entre désormais à 85 ans en moyenne et à reculons parce que le maintien à domicile est devenu impossible en raisons de déficiences trop lourdes à supporter pour la famille. Puis, on attend la mort», souligne Thérèse Palla, présidente de l'Union française des aides-soignantes.  

De plus en plus dépendantes, les personnes âgées souffrent aussi de troubles psychiques plus fréquents – Alzheimer, démences ou maladies mentales chroniques – qui, selon l'Igas, «rendent nécessaire une prise en charge par du personnel qualifié, formé, soutenu», valorisé et en nombre suffisant. Tel ne semble pas être le cas, à en juger par l'encadrement mouen de 0,43 agent par lit dans le public. Ce taux, jusqu'à deux fois inférieur à ceux de certains pays européens, est encore plus bas dans les structures privées.  

Conséquences : au mieux, des soins dispensés à la hâte, sans écoute ni disponibilité, des gestes parfois brutaux ou un ton infantilisant. «On rencontre une violence institutionnelle, liée au manque de moyens, à l'épuisement ou à l'incompétence des personnels qui sont sous-payés», indique un médecin inspecteur de la Ddass. Au pire, ce sont des actes médicaux réalisés par des agents de ménage, des personnes désorientées enfermées à clé dans leur chambre parce qu'on ne peut les surveiller, des résidents livrés à eux-mêmes en l'absence de toute animation. «Ma mère vit dans un établissement privé qui fonctionne à l'économie systématique, raconte une femme de soixante ans. Elle paie 1 6OO euros par mois, mais aucune activité ne lui est proposée, elle n'a pas été douchée depuis un mois et elle mange peu. Il y a autour d'elle des gens très malheureux.»  

La création en 2001 de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la signature des conventions tripartites – Etat, département et établissement – ont alloué aux maisons de retraite des moyens supplémentaires, en échange de la mise en oeuvre d'une charte qualité. Le nouveau personnel médical est financé par l'assurance-maladie, tandis que la prise en charge de la dépendance relève du département. En juillet dernier, 1 800 contrats seulement avaient été signés, sur un objectif de 8 000. Le plan présenté en novembre par le gouvernement a débloqué 210 millions d'euros par an pour permettre la signature de 6 5OO conventions en cinq ans.  

«En l'absence de tout contrôle, nul ne peut cependant dire comment ces sommes ont été dépensées dans le secteur privé», déplore Christophe Fernandez, président de l'Association française de protection et d'assistance aux personnes âgées. Les résultats de la seule enquête menée pour vérifier les conditions d'application de la réforme sont «confidentiels», répond la direction générale de la concurrence, de la consommation et des fraudes. «Une chose est sûre, les prix supportés par les familles n'ont pas baissé, assure un cadre de la direction générale de l'action sociale. L'argent a servi à financer les 35 heures dans le public et à améliorer les prestations dans le privé. Un petit effet évaporation est également possible».  

Pour l'Igas, l'effort de conventionnement des établissements doit cependant être poursuivi à tout prix. «C'est une réforme indispensable qui tire le niveau d'exigence vers le haut et améliore la situation, confirme Isabelle Persec, présidente de l'association des inspecteurs de l'action sanitaire et sociale. Pour autant, l'argent ne fait pas tout. La motivation de la direction, la professionnalisation des équipes ou la vigilance sur le recrutement font, à moyens égaux, la différence entre établissements».

«Il faut maintenant que les familles témoignent», souligne de son côté un inspecteur de la Ddass qui, après avoir visité une cinquantaine d'établissements en trois ans, a tenté d'obtenir la fermeture de trois maisons. En vain. «Ce n'est pas encore dans la culture de certains départements qui jugent cette procédure trop lourde», dit-elle. Une décision toujours difficile à prendre, alors que les places sont rares. Le secrétariat d'Etat aux Personnes âgées a annoncé la création de dix mille lits supplémentaires dans les années à venir. Suffiront-ils pour inverser le rapport de force, alors que le pays comptera quatre millions de personnes de plus 80 ans à l'horizon 2020 ?

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