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Pollution, le poison français

Par Vincent Olivier, L'Express

France

16 octobre 2005

Solvants, pesticides, hydrocarbures. Dans Les Empoisonneurs, le journaliste Vincent Nouzille affirme que les produits polluants mettent aujourd'hui des milliers de vies en danger. Un risque sanitaire majeur que la France, cancre européen en matière de prévention, préfère pourtant ignorer


L'attaque est rude, effrayante même: «Au moins 800 000 personnes devraient mourir en France des effets de la pollution dans les vingt prochaines années.» Elle constitue la première phrase d'un livre choc, Les Empoisonneurs. Enquête sur ces polluants et produits qui nous tuent à petit feu (Fayard), écrit par Vincent Nouzille, journaliste indépendant, et paru le 5 octobre. Remarquablement documenté, sérieux et complet, cet ouvrage est consacré à toutes ces substances dont on commence à peine à mesurer les effets néfastes sur l'organisme: dioxine, benzène, radon, amiante, phtalates, plomb ou hydrocarbures en tous genres. La liste est longue. Nous en publions une partie, en précisant les risques, envisagés ou avérés, pour la santé ainsi que les endroits où l'on peut trouver de telles substances.

Cette estimation - 40 000 morts par an jusqu'en 2025 - peut sembler extravagante. Celui qui l'avance assure pourtant qu'elle n'a rien d'exagéré: «J'ai travaillé un an sur le sujet, épluché des dizaines de rapports, rencontré plus de 300 personnes et je peux vous assurer que c'est une estimation minimale. A bien des égards, nous avons de dix à quinze ans de retard sur la plupart des pays développés», explique Vincent Nouzille, qui ajoute sans complaisance: «La France n'en a peut-être pas conscience, mais elle fait figure de très mauvais élève de la classe européenne. Interrogez donc ses voisins et ils vous répondront que Paris se conduit comme un multirécidiviste, peu soucieux de ses engagements officiels.»

Un seul exemple: pour l'année 2003, la Suédoise Margot Wallström, commissaire européenne de l'Environnement, a dressé la liste des directives votées mais toujours pas adoptées par les pays signataires. Bilan: quelque 300 cas de non-respect flagrant de ces dispositions. La plus mauvaise place revenait à l'Hexagone, avec 38 citations à lui tout seul. Rappels à l'ordre, avertissements, menaces de sanctions même, rien n'y fait. Ainsi, il y a trente ans (!), notre pays avait approuvé une directive spécifiant que le taux de nitrates dans une eau potable ne devait pas dépasser 50 milligrammes par litre. Dans certains coins de Bretagne, ce taux n'a jamais été respecté. Conséquences: une condamnation en 2001 par la Cour de justice européenne pour une plainte déposée par une association en. 1992. Une nouvelle admonestation de Bruxelles cet été. Et depuis, rien.

Mais pourquoi la France conserve-t-elle cette place de cancre en matière de santé environnementale? Il existe, d'abord, des raisons politiques. La durée de vie d'un ministre chargé du dossier n'excédant guère deux ans, en moyenne, aucun homme politique ne veut prendre le risque d'instaurer des mesures impopulaires dont le bénéfice sera attribué à ses successeurs. Des causes historiques aussi: traditionnellement, les études médicales ont été conçues de telle sorte que l'Hexagone forme virologues et cliniciens de haut niveau (comme dans le domaine du sida), mais peu de toxicologues ou d'épidémiologistes à l'instar des pays anglo-saxons. Ainsi, il n'existe pas, à ce jour, de registre national du cancer digne de ce nom (lire aussi les pages Débats page 106).

Il y a, enfin, des motifs culturels. Jamais notre pays n'a accordé la moindre importance aux notions de prévention et de précaution - au point que 97% des dépenses de santé sont consacrées aux soins, contre 3% à la prévention! «Au premier pic de pollution de l'été, on s'agite, on débat longuement sur les mesures à prendre. On croit régler le problème, on annonce quelques mesures spectaculaires et l'on oublie au passage que 95% des dégâts sanitaires se passent en dehors de ce pic. Tout cela est typiquement franco-français», déplore Vincent Nouzille.

De considérables enjeux économiques 
A toutes ces raisons viennent s'ajouter un certain nombre de facteurs aggravants, remarque l'auteur de l'ouvrage. Les syndicats, censés défendre les salariés? «Ils préfèrent souvent l'emploi à la santé des travailleurs.» De fait, 60% des ouvriers retraités ont été, à un moment ou un autre de leur vie, exposés à l'amiante, contre 25% de la population générale au même âge. Les agences gouvernementales? Elles sont nombreuses (14 instances différentes pour aborder les questions alimentaires!) et sans réelle autonomie financière. L'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (Afsse), par exemple, créée en 2002, n'a obtenu aucun poste stable cette année et son budget de fonctionnement est dérisoire - 4 millions d'euros, deux fois moins que celui du Conseil supérieur de la pêche. Les médecins du travail? Ils sont 7 000 en France pour des millions de salariés, dépendent de leurs employeurs et n'ont à leur disposition que des moyens dérisoires. Pis: ils doivent désormais délivrer des attestations d' «absence de contre-indication médicale» en cas d'exposition à des agents potentiellement cancérigènes. En d'autres termes, leur fonction consiste à autoriser des salariés à prendre des risques. De la prévention à l'envers en quelque sorte.

Au moins pourrait-on attendre de certains responsables politiques, les Verts notamment, qu'ils fassent preuve de vigilance sur des sujets aussi sensibles. On en est loin: «Beaucoup se focalisent sur les dangers éventuels, liés aux OGM et au nucléaire, et pas assez sur d'autres substances nocives, comme les pesticides de type DDT, qui ont, pourtant, été autorisés jusqu'au début des années 1990», lance Vincent Nouzille.

Les experts officiels ne sont pas plus épargnés, notamment ceux de la Comtox, la Commission d'étude sur les toxiques agricoles, qui émet des avis pour la mise sur le marché des pesticides. Placé sous la tutelle du ministère de l'Agriculture, cet organisme ne fait en tout cas guère d'ombre aux industriels. Son ancien président, le Pr André Rico, ne lançait-il pas au cours d'une table ronde, en juin 2001, que «tous les êtres vivants sont protégés contre les effets des produits chimiques qui nous entourent et [que] nous sommes bien protégés contre les faibles doses»? Ces propos, rapportés par Vincent Nouzille, sonnent étrangement dans la bouche d'un professeur de médecine.

Et puis, comme si cela ne suffisait pas, notre pays se distingue des autres pour au moins deux substances particulières: l'amiante et le gazole contenu dans l'essence des moteurs Diesel. Est-ce un hasard? Dans les deux cas, on découvre des enjeux économiques considérables. De puissants lobbys à la manouvre. Des pouvoirs publics inconséquents, voire complètement sourds aux avertissements de certains spécialistes. Mais on trouve aussi une parfaite connaissance des risques pour la santé dès la fin des années 1970. Et des calculs cyniques des industriels jouant même la montre comme dans le scandale de l'amiante. «Formol, radon, solvants et autres: nous savons que de nouvelles bombes sanitaires vont exploser prochainement. Les leçons des crises précédentes seront-elles retenues?» A lire Vincent Nouzille, on peut malheureusement en douter.
 


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