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Hôpitaux : "On laisse les personnes âgées crever comme des chiens" 

Interview realisee par Philippe Duffay, Madame Figaro.

France

17 octobre 2005

Apres son brûlot sur les prisons en 2000, Véronique Vasseur, médecin à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, publie son journal de bord, "L'hôpital en danger". Etat des lieux et solutions.

 

"Madame Figaro". - Effrayant ! Votre livre est la chronique de vos quelque quatre années passées au service de médecine interne de l'hôpital Saint-Antoine. Une plongée en enfer ! 

Véronique Vasseur. - Moi, je ne trouve pas. C'est plutôt une plongée dans la misère. Pas dans l'enfer. J'ai commencé à tenir ce journal huit mois après mon arrivée à Saint-Antoine, en avril 2000, alors que je m'étais bien promis de rester tranquille après la publication de mon livre sur la prison de la Santé, qui m'avait valu beaucoup d'ennuis, y compris des menaces de mort.

- Aujourd'hui, vous travaillez toujours à Saint-Antoine ?

- Oui, et toujours en médecine interne. Mais depuis une semaine, j'ai demandé un mi-temps. Pour souffler et faire le point. Je fais surtout de la consultation.

- Qu'est-ce que c'est exactement un service interne d'un grand hôpital ?

- On y prend le malade dans sa globalité. Toutes les maladies de système qui affectent tous les organes. C'est une spécialité car il n'y a pas à l'hôpital de médecine générale.

- Votre livre, comme le précédent **, est un cri d'alarme : " Au secours, écrivez-vous, l'hôpital se meurt et personne ne se révolte ! "

- L'hôpital est victime de son succès. Tout le monde y va pour un oui ou pour un non. Les problèmes les plus importants sont le manque d'infirmières et d'aides-soignantes. D'internes aussi, il n'y a quasiment plus de Français. Les problèmes, c'est l'attente phénoménale des malades pour être soignés : six mois quelquefois pour un simple examen ! Je ne suis pas naïve, la misère, je connais, après neuf ans passés à la prison, mais je suis atterrée. J'étais là au début de la canicule de l'été 2003 et je n'ai pas été étonnée par la catastrophe sanitaire qu'elle provoqua. Les personnes âgées sont dans une situation de grande précarité et de grande solitude. Un autre gros problème de l'hôpital, c'est l'arnaque à la Sécurité sociale en gardant des gens qui encombrent les services.

- Vous vous attendez à ce que votre livre fasse autant de bruit que celui sur la Santé ?

- Mon précédent livre m'a attiré beaucoup d'ennuis. Mais il fallait à nouveau que j'écrive. D'abord, pour ne pas oublier. Écrire me permet de réfléchir, par exemple sur le problème de la fin de vie. Alors, après, en faire un livre ? Pourquoi pas ? Mais avec plein de doutes et aussi de la crainte. Je suis sincère. Mon patron a le bouquin depuis deux jours. Je n'ai pas encore de nouvelles...

- Ne craignez-vous pas que votre livre ne blesse ou ne fâche les personnes directement évoquées, ou même l'ensemble du milieu hospitalier ?

- J'ai des trucs à dire et je les dis. Je n'ai pas peur de les dire. Nous sommes dans une société frappée d'immobilisme, où l'on n'a pas le droit de parler. Moi, je le fais. Je décris ce qui ce passe à Saint-Antoine, mais c'est partout pareil ! Je dis aussi qu'il y a des gens formidables à l'hôpital. Je dis qu'il y a de tout, mais que ça pourrait être mieux.

- Ce que vous avez découvert en arrivant à Saint-Antoine a-t-il été vraiment une surprise pour vous ?

- La misère, en prison, je connaissais. La grande précarité ? Non. Ce qui m'a surtout frappée, c'est la situation des personnes âgées en fin de vie. On les laisse crever comme des chiens. C'est très différent quand on vous en parle et quand vous le voyez vous-même. Le scorbut, je ne connaissais pas à la prison. Il n'y avait pas beaucoup de vieux.

- Tout au long de votre journal, vous avouez votre grand stress. L'hôpital Saint-Antoine est-il pire à vivre que la Santé ?

- Non. Mais il y a des jours où j'ai chialé. Je ne peux pas me blinder. Je ne le veux d'ailleurs pas. Il y a des moments difficiles. Il y a une hypocrisie énorme et un manque de réflexion en commun qui pourrait être mise en place sans que cela coûte un fifrelin. Vous êtes très seule dans vos décisions et vous les prenez avec votre cour. Elles sont souvent douloureuses. Alors, quand en plus elles sont remises en cause, cela devient extrêmement déstabilisant !

- Vous notez : " Juillet 2002. C'est l'été... les locaux se transforment en mouroir. " Une vision de cauchemar !

- C'est comme ça. Je ne peux rien ajouter d'autre. La plus grande chaleur et le plus grand froid, ce n'est pas bon. Quinze mille morts, l'été 2003.

- Reprenons ensemble toutes les failles que vous dénoncez, et d'abord, ce que vous découvrez à votre arrivée : la vétusté des locaux, la saleté, les mégots dans l'escalier, les pannes récurrentes d'ascenseur, d'IRM, de scanner, sans parler des vols. Le tiers-monde au cour de Paris !

- Depuis, le service a été à moitié repeint. Mais c'est sale. Les gens fument et, comme c'est interdit, il n'y a pas de cendriers. C'est crasseux. Oui, plus sale qu'à la Santé, où nous bénéficions d'un service médical impeccable, entièrement rénové. À Saint-Antoine, on repeint, mais on ne nettoie pas le sol. C'est pas propre !

- Outre la défectuosité du matériel, vous dénoncez aussi le comportement des gens et d'abord du personnel médical.

- Il y a aussi des gens vachement bien. Mais il n'y a pas beaucoup d'entraide. Il est arrivé qu'on ne me dise même pas qu'un patient dont je m'occupais depuis des semaines était décédé. Des internes, j'en ai eu de très bien, mais aussi des gratinés ! Ils ont l'impression de tout savoir. La théorie, moi, je l'ai apprise il y a trente ans, mais j'apprends tout le temps des choses. Je crois que l'on doit être très humble. Quand on ne sait pas, on demande. Eux ont l'impression qu'ils passeraient pour des ignares s'ils demandaient de l'aide. Or, la médecine est très spécialisée et on ne peut pas tout savoir. Mais à côté de ça, j'ai eu des internes merveilleux.

- Vous dites que vous vous êtes fait des ennemis dans votre service : certains vous accusant d'être trop " pète-sec ", de vouloir " trier " les malades, de vouloir les " jeter dehors ", oubliant la vocation première du service public.

- On a chacun à tour de rôle un bip et on accepte des patients envoyés par les urgences. Quand on vous dit que c'est quelqu'un qui n'a pas de Sécu, pas de famille et dont le cerveau est bousillé par l'alcool, si je peux en prendre un " plus frais ", je le prends ! Il arrive des moments où tout le monde craque. Les infirmières, les assistantes sociales. C'est humain. Chaque service essaye de caser son " boulet ".

- Beaucoup plus grave, certains à demi-mot vous ont accusée de pratiquer l'euthanasie passive !

- Ça n'a jamais été prononcé. Et je n'ai jamais fait ça, comme ça, seule. Mais avec l'équipe des soins palliatifs, les internes, les infirmières, la famille. Je n'accepte pas que les gens continuent à souffrir alors que cela ne sert plus à rien. Mais je n'ai jamais tué personne !

- Vous dites que l'acharnement thérapeutique s'apparente à une " torture légale ", c'est très fort ! 

- Je suis tout à fait contre l'acharnement. Il permet au médecin d'éviter de se poser des questions. La personne est fichue, on le sait. Elle gémit. Elle pousse des cris. C'est insupportable ! Les choses ne se font jamais sans l'avis de la famille. On ne fait jamais rien d'autre que de donner de la morphine. Pour moi, oui, c'est de la torture. Quelqu'un qui va mourir, au lieu de lui prendre la main, d'essayer de l'apaiser, on lui prend encore sa température. On l'entube. On l'astreint à de douloureux examens désormais inutiles. Quand on ne le gave pas de force. C'est inhumain ! 

- À vous lire, l'hôpital accueillerait essentiellement des alcooliques, des vieillards grabataires abandonnés par leur famille, des SDF et des étrangers " réfugiés économiques ", abusant de l'aubaine du " nourri-logé gratuit " ?

- Non. Tout est plus mélangé. Une jeune fille, par exemple, âgée de vingt ans et atteinte de leucémie. Un gamin de treize ans, roumain, atteint de tuberculose. Oui, de tuberculose, aujourd'hui, en France, en 2005 ! Il faut soigner tout le monde. Ce n'est pas le propos. Le propos, c'est que beaucoup de patients restent ici, chez nous, à 507 euros par jour - le prix d'une chambre dans un palace parisien ! - et qu'on ne puisse pas les mettre dehors parce qu'il n'y pas de structures beaucoup moins coûteuses pour la collectivité pour les accueillir.

- Vous écrivez : " L'hôpital sert à tout et les gens s'y laissent totalement assister... "

- C'est vrai. Ils exigent qu'on les nourrisse, qu'on leur trouve un logement, qu'on les héberge, qu'on place leur vieille mère, qu'on s'occupe des pompes funèbres, et puis aussi du chien, du chat, restés dans l'appartement !

- Vous évoquez aussi la tragédie de la canicule de l'été 2003 et les carences mises en lumière ?

- Peu avant la catastrophe, je pensais écrire quelque chose sur la situation des personnes âgées. Parce que j'avais été particulièrement frappée par leur mauvais état. C'est comme ça dans notre pays, on attend qu'il y ait un drame pour agir. 

- Vous écrivez : " Le navire prend l'eau et je suis triste, parce qu'il suffirait de pas grand-chose pour qu'on vogue mieux. " Quel serait, selon vous, ce " pas grand-chose " ?

- Une confraternité plus importante. Une amélioration de la communication entre les services et à l'intérieur de ceux-ci. Surtout, il faudrait créer des structures pour les gens qui ne sont pas autonomes. Développer les établissements de moyens et de longs séjours. Les gens n'ont pas à passer leur convalescence, leurs vacances et souvent même l'année à l'hôpital. C'est détourner l'établissement de sa mission initiale qui est de soigner. L'hôpital n'est pas un hospice, ni un hôtel, ni une maison de retraite ! Autre mesure urgente : il faudrait revoir les études de médecine, la formation des internes. Un médecin n'est pas un scientifique. La sélection ne doit pas se faire sur les maths. Trop de médecins considèrent encore qu'un malade intéressant est quelqu'un qui a une maladie intéressante. Moi, ce qui m'intéresse, c'est la personne. La connaissance théorique n'est pas suffisante, car on a un être humain devant soi. Mais on n'apprend pas aux étudiants à lire le code de déontologie !

- Vous avez bon espoir d'être écoutée ?

- Je devrais être découragée car, à la prison, il ne s'est rien passé. Maintenant, ils savent que c'est merdique, mais c'est tout. 


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