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La Retraite Anticipée, un Défi pour les Enterprises

By Francine Aizicovici, Le Monde

February 23, 2004

En vigueur depuis le 1er janvier, le nouveau dispositif Fillon, visant les salariés ayant travaillé plus de quarante années, séduit. Cependant, les employeurs tardent à se saisir du problème.

Prénom : Marcel ; âge : 58 ans ; situation professionnelle : retraité depuis le 1er février, après quarante-trois ans de travail. Le 17 février, à Caen, le ministre des affaires sociales, François Fillon, a décoré de la médaille du travail Marcel, "15 000e" salarié (en réalité le 14 522e) âgé de moins de 60 ans bénéficiant du nouveau dispositif de retraite anticipée à taux plein, destiné à ceux qui ont effectué de longues carrières. Applicable depuis le 1er janvier et jusqu'en 2008, cette mesure est inscrite dans la loi sur la réforme des retraites du 21 août 2003.

Elle concerne, sous certaines conditions, les salariés du privé âgés de 56 à 59 ans, qui ont débuté leur vie active entre 14 et 16 ans et cotisé durant 160 à 168 trimestres. Pour 2004, la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (CNAV) recense 159 000 bénéficiaires potentiels, sans compter les non-salariés, eux aussi visés.

Selon la CNAV, au 31 janvier, 90 000 demandes de situation ont été enregistrées, auxquelles 60 000 réponses ont été délivrées, dont 90 % (54 000) sont positives, signifiant que le dossier correspond aux critères requis. Et sur les 14 522 personnes parties en retraite, 85,2 % sont des hommes.

Pour l'heure, on ne peut pas parler de boom. Le premier mois bénéficie de l'effet d'ouverture du dispositif. Et l'on ignore combien de personnes, parmi les 54 000 éligibles, vont choisir le départ anticipé. Néanmoins, le ministère estime que le bilan est "très bon". Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral CGT est plus réservé. "Il y a beaucoup de déçus, qui, à cause de certains critères inscrits notamment dans le décret, sont exclus de la mesure ou doivent reporter leur départ d'un an." Certaines périodes (chômage, invalidité, congé parental) ne sont, en effet, pas prises en compte, d'autres le sont, mais dans la limite de quatre trimestres (service militaire, maladie, maternité, accident du travail). Le fait d'avoir un - ou des - enfant ne donne pas lieu à une bonification. "Le dispositif a pour vocation de récompenser les très longues carrières, justifie-t-on au ministère. Les personnes qui ont arrêté de travailler pour X raisons sont moins concernées. Ces critères ont fait l'objet de concertation avec les partenaires sociaux du conseil d'administration de la CNAV."

Autre "motif d'exclusion, les modalités d'entrée dans la vie active, relève Jean-Christophe Le Duigou. Il faut avoir au moins cinq trimestres consécutifs" cotisés à la fin de l'année civile où l'on a eu 16 ans (17 ans pour les départs à 59 ans). Or, "cela est rare à cet âge. S'il manque un trimestre, le départ est reporté d'un an. C'est injuste. Le gouvernement a cherché des moyens pour réduire le coût de la mesure."

Les entreprises ne semblent pas avoir engagé de réflexion approfondie pour se préparer à ces départs qu'elles ne pourront pas légalement refuser et qui pourraient être massifs dans certains secteurs. "Elles communiquent peu sur un dispositif qui pourrait les mettre dans des situations difficiles à gérer, remarque Frédéric Watine, responsable du département performance humaine du cabinet conseil Accenture. Même si les directeurs de ressources humaines (DRH) y voient une opportunité, ils ne se sont pas dotés d'outils de pilotage (sondages internes, prévisions, déclinaisons en termes de recrutement-formation...)."

Chez Arcelor, on tente d'anticiper. Le sidérurgiste, qui doit supprimer quelque 3 500 emplois en France d'ici à 2010, a, en collaboration avec les caisses régionales d'assurance-vieillesse, chiffré à 2 300 le potentiel de salariés concernés. "En théorie, l'impact devrait être assez fort car nous avons renoncé, depuis 1990, à toute formule de préretraite", indique Jacques Lauvergne, responsable de la coordination des ressources humaines d'Arcelor France. En 1995, des formules de fin de carrière aménagée ont été mises en place, si bien que "le potentiel de départs en retraite classique a été reconstitué".

La réforme Fillon, qui supprime, fin 2004, les préretraites progressives, a contraint le groupe à inventer des instruments, concrétisés par un accord signé le 19 février, permettant aux salariés âgés de 55 à 60 ans de réduire leur temps de travail à 80 %, ou bien progressivement, de 80 % à 20 %. Ces formules, qui nécessitent l'accord du salarié et celui de l'employeur, vont se combiner aux nouvelles retraites anticipées, qui, elles, ne dépendent que de la volonté du salarié. "L'idée est d'utiliser tous ces outils de façon à ne pas aboutir à un déficit de compétences dans certains secteurs", précise Jacques Lauvergne. Une panoplie, assortie d'une aide à la mobilité, qui, espère Arcelor, permettra d'éviter les licenciements.


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