Les grands patrons français réfléchissent déjà à l'après-Seillière

Par: Laurent Mauduit et Martine Orange
Le Monde, 27 avril 2001

Le président du Medef, en difficulté dans la gestion de ses propres affaires, fait l'objet de nombreuses critiques sur sa tactique face au gouvernement et aux syndicats. Bertrand Collomb, PDG de Lafarge, est pressenti par ses pairs pour être le porte-parole d'un nouveau patronat. 

Le patron Ernest-Antoine Seillière est en difficulté ; le président du Medef, Ernest-Antoine Seillière, ne l'est pas : c'est l'impression que peut donner la chronique sociale française depuis quelques semaines. Si le président des holdings Marine Wendel et CGIP connaît depuis peu une cascade de déboires financiers avec ses participations dans AOM ou Valeo, le patron des patrons, en revanche, semble disposer d'un prestige inentamé auprès de ses pairs, en raison du combat qu'il a engagé sur la refondation sociale. N'a-t-il pas encore reçu, lundi 23 avril, un soutien unanime du bureau du Medef ?

L'unanimité, pourtant, pourrait n'être que de façade. En coulisses, l'action de M. Seillière comme président du Medef commence aussi à être contestée. L'affaire, pour l'instant, n'a guère été ébruitée, mais elle pourrait s'avérer de la première importance : un débat est en train de s'instaurer parmi les dirigeants de grands groupes français sur le rôle du patronat et, au-delà, sur le modèle social auquel il convient de se référer dans cette période de profonde mutation du capitalisme.

La question s'est brutalement posée lors d'une réunion de l'Association française des entreprises privées (AFEP), le 7 février, au moment où le Medef semblait prêt à engager l'épreuve de force avec les syndicats sur le financement des retraites complémentaires. Désavoué par ses pairs, M. Seillière a dû battre en retraite. Mais la soirée a laissé des traces. Depuis, le petit microcosme parisien des grands patrons est en ébullition et les rendez-vous de l'AFEP se succèdent, toujours aussi animés. Les actions musclées du Medef, que les dirigeants présentaient auparavant comme un signe de dynamisme, leur paraissent désormais exagérées. Certains n'hésitent plus à parler d'une "personnalisation excessive" du mouvement patronal par M.Seillière.

L'attitude du président de Marine Wendel, notamment dans le dossier AOM, a accentué les critiques. 

Entre un discours libéral parfois jusqu'à la caricature et un comportement d'actionnaire "digne de l'époque de Louis-Philippe", M. Seillière renvoie à ses pairs une image de patron dans laquelle beaucoup ne se reconnaissent pas.

Le sujet est d'autant plus sensible chez les patrons qu'il fait irruption à un moment charnière pour le capitalisme français, à en croire un observateur : "Les grands groupes français commencent à prendre conscience qu'ils n'ont pas à rougir de leurs performances. En quelques années, ils sont parvenus à se hisser, dans la plupart des secteurs, parmi les tout premiers mondiaux. Beaucoup de dirigeants éprouvent, désormais, le besoin de se référer à un capitalisme qui ne soit pas un simple copier-coller des pratiques américaines." Ce besoin de gagner une autonomie de pensée, selon un autre grand patron, est avivé avec l'arrivée imminente de l'euro et d'un espace financier et économique unique. "Mais nous n'arrivons pas à lui donner une expression", concède-t-il.

Ce débat compliqué entre chefs d'entreprise tourne autour d'une question simple : quel doit être le rôle du patronat et de l'entreprise ? La réunion houleuse de l'AFEP de février pourrait donner une esquisse de la façon dont sont en train de s'organiser les discussions. "Deux lignes se sont affrontées", se souvient un grand patron. "D'un côté, il y avait celle de Seillière, qui défend une conception où ne comptent que l'entreprise et le marché. De l'autre, il y avait celle des chefs d'entreprise qui partagent une vision d'un capitalisme commun à l'Europe continentale, où les entreprises sont partie prenante de leur environnement social et sociétal." Cette présentation est jugée un peu "caricaturale" par un de ses pairs. "Je ne suis pas prêt, comme de nombreux autres dirigeants, je crois, à renoncer à de nombreux aspects que nous a apportés le capitalisme anglo-saxon. Mais c'est vrai qu'il existe une dimension sociale qui fait partie de notre culture européenne et qui n'est pas prise en compte chez les Anglo-Saxons", nuance ce dirigeant.

DE NOMBREUX SOUS-COURANTS

Au travers de ce débat, on devine un patronat beaucoup plus composite que ne le suggèrent les déclarations publiques du Medef – un patronat tiraillé entre de nombreuses aspirations, avec de nombreux sous-courants, des plus anglo-saxons aux plus traditionnels, en passant par les sociaux. "La refondation sociale est une bonne idée. Mais elle a été mal engagée, d'une façon trop brutale", dit un autre patron. Plaidant pour une clarification des rôles entre l'Etat et les partenaires sociaux, il trace les grandes lignes du partage: "Il est clair que nous n'avons pas à nous mêler de la politique de la santé ou de la politique familiale, qui relèvent de la responsabilité de l'Etat. Mais nous ne devons pas sortir des vrais lieux du paritarisme que sont la retraite ou l'assurance-chômage."

La contestation engagée contre les méthodes actuelles du Medef est-elle ou non passagère ? Même si de nombreux patrons n'y voient qu'une coïncidence, d'autres secousses se profilent. Didier Pineau-Valencienne (First Boston Crédit suisse) quittera la présidence de l'AFEP d'ici à la fin 2001. M. Seillière, de son côté, a indiqué, lors de la fameuse réunion du 7 février, qu'il ne solliciterait pas à la fin 2002 un renouvellement de son mandat à la tête du Medef (Le Monde du 15 mars). Certains patrons ne cachent pas qu'ils aimeraient beaucoup voir Bertrand Collomb, PDG de Lafarge, prendre la présidence de l'AFEP, voire celle du Medef.
Un patron des patrons pris en défaut dans la gestion de ses affaires, critiqué par ses pairs et avouant qu'il n'est pas candidat à sa propre succession ; un nouvel industriel qui émerge et qui pourrait prétendre à sa succession… tout cela fait beaucoup d'indices concordants : "l'ère Seillière", au patronat, semble toucher à sa fin.


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