Du modèle "bismarckien" au modèle "béveridgien"

Par: Lucas Delattre
Le Monde, 22 mars 2000

TOUS LES PAYS du monde sont confrontés au problème des retraites. Partout la même question se pose : comment permettre aux générations âgées, de plus en plus nombreuses, de préserver un niveau de vie décent ? Dans les pays développés, la durée de vie après la retraite est toujours plus longue, en partie à cause de la multiplication des retraites anticipées depuis vingt ans. En outre, les « baby-boomers » sont proches de l'âge de la retraite et le recul de la fécondité entraîne un vieillissement durable de la société. Ces évolutions représentent un coût très important pour la collectivité. Dans les pays en développement, l'allongement de l'espérance de vie pose le même type de problèmes à plus ou moins brève échéance. La Chine, pour ne citer qu'un exemple, ne sait pas comment aider financièrement ses personnes âgées ( Le Monde du 14 septembre 1999).

Le ton du débat est souvent passionné. En Allemagne, un quotidien de Berlin écrivait récemment, à propos des retraites : « En nous disant qu'il n'y avait pas de problème de financement, nos gouvernants nous ont menti comme les généraux de 1914 qui promettaient une guerre éclair. » Il est vrai que le dossier des retraites n'est pas purement macro-économique : avec lui, on est au coeur du contrat social, avec son poids de traditions historiques.
Certains pays considèrent que l'Etat doit assurer la solidarité entre les générations et permettre une répartition équitable des richesses entre elles. C'est le modèle « bismarckien », fondé sur les cotisations sociales des employeurs et des salariés, qui domine en France, en Allemagne et en Italie. Ailleurs, comme aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas, on pense que « l'Etat doit se contenter d'assurer le pain, tandis que les gens se procurent eux-mêmes le beurre », selon la formule d'Arnauld d'Yvoire, secrétaire général de l'Observatoire des retraites à Paris. C'est le modèle « béveridgien », qui offre une retraite minimale financée par l'impôt et proche d'une aumône d'assistance. Chacun complète ensuite comme il l'entend selon une formule privée, par capitalisation. 

Cette culture individualiste encourage la prise de risque mais accepte que les personnes âgées qui n'ont pas bien préparé leur retraite puissent vivre dans la pauvreté.

Partout, des réformes sont en cours. Dans presque tous les pays, on augmente l'âge de la retraite, on relève les cotisations et on diminue les prestations. L'Allemagne a élargi le nombre des cotisants obligatoires au régime de base et décidé d'affecter à ce dernier les revenus du nouvel impôt sur l'énergie.

En dépit de ces changements, les régimes de base par répartition fournissent encore la majeure partie des prestations de retraite, y compris aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. La répartition, ou premier pilier de la retraite (qualifié de « pay as you go » dans les pays anglo-saxons), est encore appelée à jouer un grand rôle, même si les Etats-Unis, par exemple, se demandent si le fonds de réserve constitué dans le cadre de la répartition ne doit pas être placé en Bourse pour améliorer les rendements futurs. Seuls quelques pays comme le Chili, le Mexique ou le Kazakhstan ont adopté comme pilier de base un système de retraite individuelle géré par capitalisation.

Le deuxième pilier de la retraite est partout constitué par des régimes complémentaires financés dans le cadre de l'entreprise. C'est l'introduction d'un troisième pilier, par recours à la capitalisation individuelle, qui se renforce partout. La Banque mondiale, qui favorise ce modèle depuis quelques années, a aidé à l'introduire dans de nombreux pays, surtout en Amérique latine et dans les pays d'Europe centrale et orientale comme la Hongrie ou la Pologne.

La capitalisation individuelle permet de faire porter l'essentiel du risque à l'épargnant, pour le meilleur ou pour le pire. Elle permet aussi d'adapter les systèmes de retraite aux nouvelles exigences de mobilité des salariés. Dans cet esprit, la Commission européenne prépare depuis quelques années une directive, observée avec méfiance par la France, permettant aux fonds de pension de gérer les retraites privées à l'échelle du continent.

La France est l'un des rares pays développés à ne pas avoir mis en place des fonds de retraite pour compléter le régime par répartition. Aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Suisse, les ressources gérées par les fonds de pension privés représentent respectivement 58 %, 75 %, 87 % et 117 % du produit intérieur brut (PIB). Ailleurs, ces quantités sont négligeables : 3 % du PIB en Italie, 6 % en France et en Allemagne.
La capitalisation entraîne des débats de société d'un type nouveau. On assiste, au Royaume-Uni, à des discussions permanentes sur le thème de la gestion éthique des fonds. Les retraités deviennent actionnaires et consommateurs de produits de retraite. Chacun s'interroge sur le niveau de sa contribution et son mode d'investissement.

La capitalisation est-elle plus adaptée que la répartition aux évolutions démographiques futures ? Le marché des actions garantit le rendement le plus important à long terme, mais la retraite par capitalisation a montré ses limites avec la ruine de nombreux cotisants pendant la seconde guerre mondiale (c'est l'une des raisons qui ont fait que la France du général de Gaulle a choisi la répartition). Dans un pays comme le Chili, on observe que les fonds de pension ne s'intéressent qu'aux clients les plus « profitables » au détriment des autres.

La capitalisation n'est pas à l'abri du risque : mauvaise gestion, inflation, faillite de l'établissement gestionnaire des fonds. « En Angleterre, il y a des fonds qui disparaissent et des gens qui restent sur le tapis, mais on n'en parle pas », constate M. d'Yvoire. « La retraite par répartition fait subir un risque politique, lié à la baisse des retraites en cas de baisse de la masse salariale ; la retraite par capitalisation fait subir un risque financier, lié à l'incertitude sur le rendement réel des actifs financiers », écrivent les économistes de la Caisse des dépôts et consignations.

Les provisions légales obligatoires atténuent les risques. Il n'empêche : au Chili ou en Pologne, les rendements des fonds de pension sont inférieurs à ce qui était espéré. Joseph Stiglitz, l'ancien économiste de la Banque mondiale, a récemment montré que les taux de rendement de la capitalisation ne sont pas forcément supérieurs à ceux de la répartition.


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