Un dossier délicat pour le futur gouvernement italien

Par: Salvatore Aloïse
Le Monde Economie, 19 mars 2001

ROME correspondance

C'était en 1995, l'époque du gouvernement Dini, celui dit des " techniciens ", arrivé après la brève direction de l'exécutif pendant sept mois par Silvio Berlusconi, dont la chute fut provoquée, entre autres, par la tentative de s'attaquer aux retraites. La réforme Berlusconi, contenue dans le projet de loi de finances, avait entraîné un bras de fer avec les syndicats. Une grève générale, avec un million de personnes dans les rues, poussait le Cavaliere à faire marche arrière et à se contenter d'une moindre austérité budgétaire.Quelques mois plus tard, le nouveau chef du gouvernement, Lamberto Dini, parvint enfin à faire passer la réforme, mais au prix d'une mise au régime extrêmement prudente. 

Les deux systèmes de calcul de la retraite doivent cohabiter jusqu'à 2040, à savoir l'ancien système qui se base sur la moyenne des dernières années de salaires et celui qui a été introduit par la réforme, lié aux contributions effectivement versées au cours de la vie professionnelle. Quant à l'augmentation progressive de l'âge de départ à la retraite, elle aura été complétée graduellement pour atteindre, à terme, le seuil des 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes.

Jugée indispensable depuis plus de vingt ans, on venait enfin à bout de cette réforme des retraites considérée comme un véritable tabou. Déjà le gouvernement de Giuliano Amato, en 1992, s'y était frotté en obtenant quelques petits avancements, sur fond de violentes manifestations. En fait, la réforme des retraites, complétée en 1997 par le gouvernement de Romano Prodi, a fini par représenter l'amorce d'un assainissement des finances de l'Etat, qui devait porter, en 1998, à l'entrée dans le groupe de tête des pays de l'euro. 

On revenait de loin. Au début des années 1990, le coût des retraites atteignait 13 % du PIB. Si le gouvernement n'avait rien fait, selon les prévisions de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on risquait d'atteindre 20 % en l'an 2000, 36 % en 2040... Aujourd'hui, alors que l'on s'approche du moment fatidique de la verifica, la fameuse révision inscrite dans la réforme et prévue pour cette année, le débat autour des retraites a repris de plus belle. 

Ces jours-ci, à Bruxelles, on va encore plus loin : dans le rapport de la Commission sur les grandes orientations de politique économique, on affirme que " se rendent fortement nécessaires d'ultérieures réformes " du système des retraites en Italie et dans cinq autres pays de l'Union européenne. A Rome, au contraire, les dernières embellies économiques semblent pousser à l'optimisme. Le ministre du travail, Cesare Salvi, s'est dit ainsi " absolument tranquille " au sujet des retraites et ne voit " aucun besoin d'interventions restrictives ". 

Un point de vue partagé par Raffaele Minelli, secrétaire général du syndicat des retraités de la CGIL, la confédération de gauche. " L'efficacité de la réforme est indubitable. Le bilan pour l'année 2000 de l'Institut national pour la prévoyance sociale (INPS) a dégagé des comptes meilleurs que ceux qui étaient prévus ", déclare-t-il au Monde. 

Les bonnes performances de l'INPS, qui gère les retraites des travailleurs du secteur privé et les autonomes, permettent d'envisager avec plus de confiance l'avenir. " Il a suffi que les comptes de l'Etat affichent pour l'an 2000 une croissance de l'ordre de 2,9 % pour que l'on voit retarder ce que les oiseaux de mauvais augure ne cessent d'évoquer : le début de cette courbe qui pèse sur les comptes, la montée en flèche des dépenses de la prévoyance entraînées par le départ à la retraite de la génération des baby-boomers, qui aura son moment culminant autour de 2020-2025 ", ajoute Rafaele Minelli. En Italie, l'augmentation des dépenses pour les retraites, ces dernières années, n'aura été que de 1 %, atteignant actuellement 14 % du PIB. 

DEUX GROUPES

La réforme de 1995 a en tout cas mis fin aux inégalités flagrantes dans le pays où existaient pas moins de 53 régimes de retraites différents. Elle a introduit des règles égales pour tous, en divisant les travailleurs en deux grands groupes : ceux qui disposaient de moins de dix-huit ans de contributions lors de l'entrée en vigueur de la réforme et ceux qui avaient déjà dépassé cette limite. 

Pour les premiers, le calcul de la retraite a été changé. Avant, il était basé sur la moyenne des dix dernières années de salaire, et, pour certains, on arrivait même à cinq, ou voire à la seule dernière année. Désormais, il sera lié aux versements effectivement effectués en activité. Pour l'autre catégorie, avec plus de dix-huit ans, ce sont les règles anciennes qui sont appliquées jusqu'au départ du monde du travail. La réforme prévoyait également le lancement des retraites complémentaires, qui tardent à être mises en place. 

L'autre grand terrain de dispute a été l'intervention sur le mécanismes des retraites d'ancienneté, une particularité italienne que l'on appelle ici les baby pensions. Né durant les années 1960, ce système prévoyait que les travailleurs ayant cotisé trente-cinq ans, aussi bien dans le privé que dans le public, pouvaient prendre leur pleine retraite quel que soit leur âge. Mais la jungle des bonus et autres normes engendrait des phénomènes paradoxaux comme, par exemple, dans la fonction publique, des jeunes retraités de 35 ans, partis après dix-neuf ans, six mois et un jour de travail. 

Ce mécanisme des baby pensions a été corrigé en douceur et échelonné sur plusieurs années. La crainte de départs de masse pour profiter de ces normes généreuses n'a pas eu lieu. En l'absence d'autres mesures de soutien social, comme les formations ou même tout simplement des allocations-chômage, ce départ anticipé servait surtout à restructurer le monde du travail. Il ne s'agissait pas d'une catégorie forte, comme on voulait la présenter, mais, au contraire, d'une catégorie faible, celle des quinquagénaires que l'on voulait pousser dehors. 

Si, comme le laissent présager les sondages, la coalition de centre droit revient aux affaires à l'issue des élections législatives de mai, Silvio Berlusconi devra rouvrir le dossier délicat des retraites avec lequel il s'est déjà brûlé les doigts en 1994. Toutes les tentatives qui ont été faites, ces dernières années, pour anticiper la révision de la réforme des retraites ont échoué. La verifica se fera à l'échéance prévue, soit au cours du second semestre 2001. De sérieuses turbulences sont à prévoir. Même si les syndicats se défendent d'en faire une bataille idéologique.


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