" D'ici 2050, sans immigration, la population européenne devrait se réduire d'un cinquième "

Par:  Arnaud Leparmentier
Le Monde Economie, 19 mars 2001

" Y a-t-il urgence démographique à réformer les retraites ?

– Si rien ne change, l'Allemagne comptera en 2050 autant de retraités que d'actifs. Le nombre des plus de 60 ans va bondir de 18 à 28 millions, et celui des 20-60 ans va se réduire de 46 à 30 millions. Cette évolution remet en cause le financement des retraites, mais aussi de l'assurance-maladie et de l'assurance-dépendance. L'enjeu est de mettre au monde de futurs cotisants pour payer les retraites de demain.

" Quelques chiffres frappants : pour avoir en 2050 un rapport entre jeunes et vieux égal à celui d'aujourd'hui, il faudrait faire venir 188 millions de jeunes immigrés. Ces derniers ont un taux de fécondité de 1,9 contre 1,3 pour les Allemands, mais ils vieillissent aussi et l'effet rajeunissant de l'immigration à long terme est faible. Deuxième solution, faire passer le nombre d'enfants par femme de 1,3 à 3,8. Même dans les pays en voie de développement, on ne dépasse pas 3. Troisième solution, relever l'âge de la retraite à 73 ans. Mais l'espérance de vie des hommes est actuellement de 74 ans. Ces solutions sont irréalisables seules, il faut donc les combiner.

– Ce vieillissement marque-t-il la fin de l'Etat-providence ?

– Le XXe siècle s'est dirigé, lentement mais sûrement, vers l'égalité sociale, qui était en fait l'objectif numéro un de notre Constitution. Le XXIe siècle va être marqué par le retour des inégalités. Pas parce que nos valeurs ont changé, mais à cause de l'évolution démographique. Le système de protection sociale, qui remonte à Bismarck, a fonctionné parce que la pyramide des âges avait une base large, les jeunes plus nombreux cotisant pour les malades et les vieux. Ce système a permis de ne plus avoir besoin d'enfants pour assurer sa sécurité, on était assuré par le système.

" Aujourd'hui, les gens ne font plus d'enfants. Certains affirment que le recul de la population est positif, par exemple pour l'environnement. Mais le recul commence par le bas de la pyramide et signifie moins de jeunes et moins de cotisants. Résultat, la sécurité n'existe plus, et le gouvernement exige des citoyens qu'ils s'assurent eux-mêmes, via les retraites privées. Le problème est que les riches vont pouvoir épargner pour leur retraite, tandis que les pauvres ne le pourront pas. 

Après les retraites, viendra l'énorme réforme de la santé, beaucoup plus douloureuse. Car si le Parlement peut décider de l'âge de la retraite, on ne peut pas décider à quel moment commencent les maladies dues à la vieillesse. Il faudra donc rationner les soins et augmenter la participation financière personnelle, pour ceux qui veulent profiter des progrès médicaux, ce qui accentuera le conflit entre pauvres et riches.

– Quels autres conflits risque de provoquer le vieillissement de la population?

– Un des conflits majeurs est bien sûr celui des générations. La création de retraites par capitalisation va impliquer une hausse du taux d'épargne et une baisse de la consommation de la population active, tandis que les retraités vont devoir accepter un recul de leur niveau de vie : les jeunes ne peuvent pas payer à la fois pour les vieux et pour leur propre retraite.

" Un autre conflit va opposer les familles à ceux qui n'ont pas d'enfants. Le système ne fonctionne que s'il y a des naissances, mais un tiers de la classe d'âge née après 1965 n'aura pas d'enfant. Des familles ont déposé plainte devant la cour constitutionnelle de Karlsruhe, estimant que l'assurance-dépendance obligatoire est illégale, parce qu'inégalitaire : elles estiment que ceux qui n'ont pas d'enfant ne remplissent pas leur devoir en ne mettant pas au monde de futurs cotisants. Car, dans le même temps, les familles qui élèvent les futurs cotisants vivent moins bien que les autres. Un ménage avec trois enfants gagnant 60 000 marks par an peut mettre de côté 5 000 marks par an. Un célibataire dispose de quatre fois plus.

– Comment inciter les Allemandes à avoir des enfants ?

– Avoir trois enfants et quitter le marché du travail pendant vingt ans, c'est renoncer à un million de marks de revenu. Si nous avions, comme en France, les enfants à l'école toute la journée, si l'on recréait les crèches qui existaient en Allemagne de l'Est, nous augmenterions peut-être le taux de fécondité de 0,2 ou 0,3 point, mais cela ne résoudrait pas le problème. Je ne crois pas aux effets durables d'une politique nataliste. Car beaucoup de femmes choisissent de ne pas avoir d'enfants pour des raisons autres que financières, c'est un problème de mentalité. Avoir un enfant, c'est se lier durablement, perdre de la mobilité sociale et réduire considérablement ses choix de vie. Aujourd'hui, les Allemands n'ont tout simplement ni besoin ni envie d'enfants.

" La forte natalité américaine s'explique aussi parce le système social est tellement mauvais qu'une partie de la population doit avoir des enfants pour se protéger.

– N'est-ce pas plutôt que les Allemands n'ont pas confiance dans l'avenir ?

– C'est ce que disent les Américains. Notre histoire n'incite pas à l'optimisme. Les jeunes ont encore un sentiment de culpabilité de ce qui s'est passé pendant la guerre, alors qu'ils n'étaient pas nés.

– Une solution est-elle de relever l'âge de la retraite ?

– Les Allemands partent en moyenne en retraite à 60 ans. Le gouvernement doit remettre les quinquagénaires, puis les sexagénaires au travail. Pour cela, il faut une implication des entreprises, qui ne peuvent pas dire qu'elles ne veulent que des jeunes.

– La solution est-elle de faire venir de la main-d'œuvre immigrée

– La pression démographique sera de toute manière très forte. D'ici 2050, sans immigration, la population européenne devrait se réduire d'un cinquième, celle de Turquie et d'Afrique du Nord progresser de moitié. La pression migratoire, légale ou non, sera donc énorme, mais ces candidats à l'immigration sont en général mal formés et constituent plutôt un poids qu'un atout pour la société.

" Le problème existe déjà en Allemagne. Le quart des enfants d'immigrés quittent l'école sans diplôme. Entre 20 et 25 ans, 3 % seulement d'entre eux fréquentent l'université contre 17,3 % chez les Allemands, tandis que le chômage des immigrés est deux fois plus élevé que celui des Allemands. Cette situation entraîne de grandes différences de revenu et va être une autre source de conflits. Dans les grandes villes, la majorité des moins de 40 ans sera en 2010 d'origine immigrée. Si cette nouvelle majorité continue d'être mal éduquée comme elle l'est, cela aura des conséquences désastreuses pour l'économie et la société, alors que le patronat se plaint déjà du manque de main-d'œuvre qualifiée. "


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