L'inéluctable retour des quinquas

Libération, 16 Octobre 2000

A celui qui espère jouir des 35 heures aujourd'hui et de la préretraite à 55 ans demain, halte au rêve ! Pour l'instant, l'illusion est totale. De tous les pays de l'OCDE, la France détient le plus faible taux d'emploi des 55-64 ans. Seuls 37,9% des hommes de cet âge travaillent encore. Mais économistes et démographes nous prédisent un autre avenir. En 2006, la génération du baby-boom aura l'âge d'aller à la pêche. L'arrivée de jeunes gens en nombre insuffisant sur le marché du travail ne pourra compenser ces départs massifs. Qui va alors faire tourner les services, turbiner les usines ? Qui va payer les retraites ? On connaît la chanson ; on veut moins voir la réalité : les salariés âgés vont être de plus en plus nombreux dans les entreprises. D'ici à 2015, la population des 50-64 ans va croître de 3,7 millions alors que celle des adultes plus ou moins jeunes (25-49 ans) va diminuer d'environ un million.

Le retour de la croissance, déjà, rend ces tensions palpables : le manque de main-d'œuvre se fait sentir dans certains secteurs. Des entreprises commencent timidement à faire appel à des plus de 50 ans (1). Depuis 1999, l'Europe a fait du maintien des salariés âgés sa priorité. Des pays comme la Finlande ou les Pays-Bas (lire page IV) ont mis en place des politiques actives ciblées sur les plus de 50 ans pour les retenir au travail, les former.

La France, elle, fait figure de dernière de la classe. Pour l'instant, le marché du travail continue de fonctionner à son habitude, ingurgitant les plus ou moins jeunes (mais pas les trop), rejetant les vieux. «Depuis vingt-cinq ans, pour résoudre les problèmes d'effectifs, patronat, syndicats et pouvoirs publics ont considéré que le plus simple était de faire partir les gens en préretraite», explique l'économiste Dominique Taddéi. Mais le système commence à s'essouffler. «On ne va pas vivre encore pendant des années sur le modèle de la préretraite et du chômage des quinquas, dit Serge Volkoff, spécialiste du vieillissement au travail. Pour des raisons financières, certes, mais aussi parce que ce modèle social n'est pas très sain. Une seule génération au travail, ça se paie dans bien des domaines : transmission des savoir-faire, mémoire des entreprises, composition des collectifs. Il vaut mieux garder de la diversité dans les entreprises.»

Autres conséquences «fâcheuses» des préretraites, selon la sociologue Anne-Marie Guillemard (1) : «Ce système a renforcé les stéréotypes sur les salariés âgés (démotivés, peu performants, etc.) et masqué le phénomène de vieillissement de la main-d'œuvre au sein des entreprises. Ces dernières ne se sont pas vues vieillir. Peu d'entre elles ont anticipé la gestion des âges.» 
Inverser la tendance exige pourtant temps et réflexion : il faut revoir les conditions et l'organisation du travail (lire interview ci-contre), adapter les postes, repenser les systèmes de formation. Plus les salariés se sont formés au long de leur carrière, plus ils restent longtemps en poste, démontrent les études.

Autre angle d'attaque : réaménager le temps de travail. Dans les années 80, les plus de 50 ans sont partis la mort dans l'âme en préretraite, s'estimant «plus bons à rien». Aujourd'hui, il faut faire le chemin inverse alors que la plupart des esprits se sont calés sur les fatidiques 55 ans. Afin d'éviter ce choix binaire brutal et douloureux travailler ou ne plus travailler, l'économiste Dominique Taddéi propose une méthode plus douce. Invité l'année dernière par Lionel Jospin à réfléchir sur l'avenir des retraites, il milite pour une retraite progressive, basée sur un temps partiel choisi. L'avantage serait de rendre possible une deuxième partie de carrière, celle qui commence après 50 ans.


(1) Libération du 19 juin 2000. 


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