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Pour un référendum sur les retraites

 By Daniel Cohen, Le Monde

 

 June 4, 2003

La retraite était autrefois l'antichambre de la mort. On arrêtait de travailler à soixante-cinq ans, pour mourir à soixante-dix.

Elle est devenue aujourd'hui une deuxième vie, celle qui venge de la dureté du travail et de la peur de ne pas en avoir.

L'erreur qui est souvent faite est de se représenter le problème comme un conflit entre générations alors qu'il est bien davantage un problème partagé.

La France doit certes affronter une rupture démographique sans précédent, mais cette rupture marque un nouveau plateau, pas une tendance nouvelle. Dans cent ans comme dans cinquante, les termes du choix seront les mêmes : quelle part de la richesse revient aux actifs et quelle part revient aux retraités, dans un monde où il y aura autant des uns que des autres ?

Pourquoi, si le débat est en apparence si simple, le dossier des retraites est-il explosif ?

Il y a deux premières raisons, qui tiennent aux dérives habituelles de la droite d'un côté, de la gauche de l'autre.

La première dérive est celle qui veut faire croire que le choix est fondamentalement un choix personnel : il faut laisser à chacun le soin d'"internaliser", comme disent les économistes, les contraintes financières en arbitrant soi-même, par l'épargne, entre revenu courant et revenu différé. La retraite par capitalisation, quels que soient ses enjeux macroéconomiques, correspond à ce versant du raisonnement. L'autre dérive vient de ceux qui réclament un choix collectif, mais nient ses tenants budgétaires en arguant qu'il suffit de prendre "l'argent où il est" pour financer ce qui doit l'être. Or la plupart des gens raisonnables s'entendent pour reconnaître que les retraites relèvent, pour l'essentiel, à la fois d'un choix collectif et d'un arbitrage financier. Le gouvernement ayant fait son propre ménage idéologique en abandonnant le débat sur la capitalisation, et les deux principaux syndicats, CFDT et CGT, ayant paru prêts à définir ensemble les paramètres financiers du débat, pourquoi le débat a-t-il trébuché ?

Cela tient à deux nouvelles erreurs, l'une de tactique politique, l'autre de fond, qui viennent toutes deux d'une mauvaise compréhension des enjeux et des effets de la réforme Balladur de 1993.

En ne réformant que le privé, la réforme Balladur laissait un formidable chantier, la réforme du secteur public. Selon le Conseil d'orientation des retraites (le COR), la fonction publique d'Etat et la fonction publique territoriale et hospitalière compteront pour la moitié des déficits à venir. La réforme des retraites comportait donc une priorité : aligner la durée de cotisation du public sur celle du privé. L'opinion publique y était favorable à 70 % selon les sondages (cités par Xavier Gaullier dans Le Temps des retraites, La République des Idées, Seuil). Poussé peut-être au crime par ses propres troupes, ou peut-être simplement par panache, le gouvernement a voulu aller plus loin et annoncer également le passage à 42 ans de cotisations pour tous. Ce faisant, il a d'une part chargé la barque des fonctionnaires à qui quatre ans et demi de cotisations additionnelles ont été demandés, et de plus, et peut-être surtout, il a rouvert le débat explosif sur la réforme Balladur elle-même.

Le rapport du Conseil d'orientation des retraites était pourtant on ne plus explicite, écrivant en gras que "des réformes de grande ampleur ont été engagées, dont les effets sont aujourd'hui mal identifiés". En introduisant une nouvelle base pour le calcul des pensions et en indexant les retraites sur les prix et non plus sur les salaires, la réforme Balladur a inscrit une baisse significative du taux de remplacement (rapport entre première pension et dernier revenu d'activité) de 80 % en moyenne aujourd'hui à 65 % en 2040.

Malgré ses efforts pour expliquer que ses propres réformes ne faisaient pas baisser le taux de remplacement au-delà ce qui avait été déjà acté par le plan Balladur, le gouvernement n'a pas convaincu, moins du fait de la mauvaise foi de ses interlocuteurs que parce qu'il a tout simplement ouvert les yeux de l'opinion publique sur la réforme précédente. Il lui faut donc reprendre aujourd'hui le débat à la base, on ne sait s'il faut dire à cause de ou grâce à ses maladresses.

La difficulté politique de ce débat tient au fait qu'il faut faire admettre qu'il n'y a que trois paramètres au problème : la durée de cotisation, le niveau des cotisations et le niveau des retraites.

Le formidable travail pédagogique du COR permet de saisir les différents arbitrages qui existent entre ces instruments. Le premier d'entre eux correspond à ce qu'on pourrait appeler la diagonale du Medef, qui consiste à ne jouer que sur la durée de cotisations ou le niveau de retraites, mais en s'interdisant de jouer sur le niveau des cotisations. Le COR a estimé qu'il faudrait accroître de neuf ans la durée des cotisations pour préserver les retraites au niveau actuel, et de six ans pour financer la réforme Balladur. C'est ce dernier chiffre qui a été défendu récemment par Guillaume Sarkozy au nom du Medef. A défaut d'un tel allongement, et sans ressources additionnelles, les retraites baisseraient à 43 % du niveau moyen des salaires nets. Il n'est pas besoin d'être un grand politologue pour comprendre que ce n'est pas sur ce type d'arbitrage que les Français ont envie de se prononcer.

Le second type d'arbitrage correspond à la diagonale syndicale, qui consiste à ne pas toucher à la durée de cotisations. Le COR estime, par exemple, qu'il faudrait accroître de 15 points le taux des cotisations pour préserver les retraites au niveau actuel, c'est-à-dire réduire de près de 20 % les salaires nets des actifs. Les Français y sont-ils prêts ? Accepteraient-ils aujourd'hui, par exemple, de baisser leurs salaires d'un tel montant pour préserver le niveau actuel des retraites ?

FAUX RAISONNEMENTS

Dire que c'est demain et non aujourd'hui que le choix se posera n'est pas une bonne réponse, car demain sera l'aujourd'hui des nouveaux cotisants et le choix que l'on prend se fait en leur nom. Prétendre par ailleurs qu'il est possible de trouver une assiette plus large, celle de la CSG ou la TVA par exemple, n'est pas satisfaisant non plus : cela consisterait à mettre les inactifs à contribution de leur propre retraite. Rappelons que la CSG doit à 90 % environ aux revenus du travail et aux retraites et à 10 % seulement aux revenus du capital.

Pour que le débat ait véritablement lieu, il est essentiel de démasquer les faux raisonnements : que ce soit celui qui consiste à dire que les entreprises ne pourraient pas faire face à une hausse des cotisations ou que ce soit celui qui consiste à dire que les entreprises peuvent payer.

Le débat est libre et licite précisément parce que la hausse des cotisations ne grèverait pas les profits des entreprises, et ce justement, comme le rappelle à maintes reprises le COR, parce que ce sont toujours, au bout du compte, les salariés qui paient les hausses de cotisations. C'est pour cela qu'il est possible de donner aux Français le choix de leur destin, à condition d'en fixer clairement les enjeux.

C'est, toutefois, un débat qu'il est loisible d'enrichir en jouant sur tous les paramètres à la fois. Si l'on prend le point Balladur en référence, il faudrait accroître les cotisations de 9,5 points, soit une baisse des salaires nets de 11 %, pour financer une réforme qui ramènerait en 2040 les retraites à 64 % en moyenne des salaires nets. C'est un chiffre qui peut paraître plus raisonnable que le précédent en termes de baisse du salaire net, mais insatisfaisant en matière de retraites. C'est ici que la hausse de la durée des cotisations proposée par le plan Fillon doit être évaluée. Toujours selon le COR, la hausse à quarante-deux ans de la durée de cotisations pourrait limiter à 11 points, au lieu de 15, la hausse des cotisations nécessaire pour préserver le niveau actuel des retraites.

Le gouvernement avait initialement prévu de répartir les effets de sa réforme à moitié entre baisse du déficit et à moitié en hausse des retraites. Sous l'effet des mesures concédées à la CFDT, moins de 40 % des mesures annoncées serviront à réduire le déficit. Il est possible que l'opinion pousse à mettre la totalité de l'allongement de la durée de cotisation au service de la revalorisation des retraites.

On ne peut exclure pourtant que le plan Balladur ait représenté un meilleur compromis, agrémenté peut-être d'une réforme plus audacieuse de la décote/surcote. Tout comme on ne peut exclure par principe que la solution maximaliste, qui fait porter l'ajustement sur les seules cotisations, ne soit préférée par les Français.

Comment arbitrer ? Une méthode simple est de demander directement aux Français ce qu'ils en pensent, un référendum ayant par ailleurs l'avantage inestimable de donner de la crédibilité à la décision retenue. Le débat parlementaire permettrait de fixer les deux termes de l'alternative.

On pourrait ainsi offrir à l'opposition de définir l'un des termes, et à la majorité de définir l'autre, sous la tutelle du Conseil d'orientation des retraites, qui validerait la cohérence technique des scénarios retenus. La concurrence pour gagner le référendum obligerait chacun à vouloir se rapprocher du point favori d'une majorité de Français. On aurait, par exemple, une question formulée ainsi : voulez-vous quarante ans de cotisations avec tel niveau de retraites et tel niveau de cotisations, ou quarante-deux ans avec tels autres paramètres ? Une fois repoussées les tentations démagogiques, il n'y a aucune raison de refuser ce choix aux Français.


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