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«Jamais Je N'aurais Pensé Quitter la Côte-d'Ivoire, Jamais»


By Judith Rueff, Liberation

November 23, 2004 




«Ce paradis, je veux l'oublier.» Claude a 62 ans, dont 25 en Côte d'Ivoire. Une semaine après son rapatriement par les soldats français de Licorne, elle dit qu'elle est partie «une main devant, une main derrière». Devant, il lui reste son sac à main, ses papiers, quelques francs CFA attrapés dans la fuite, et une maison dans le sud de la France. Derrière, elle a laissé sa ferme de trois cents hectares, ses amis ivoiriens et le pays où elle comptait finir ses jours. Comme plus de sept mille Français, elle a quitté la Côte d'Ivoire en vêtements d'été pour ne plus y revenir. «Jamais je n'aurais pensé partir un jour, jamais», dit-elle d'une voix douce où perce plus d'étonnement que de rancour.

Claude et son fils Gérard, 30 ans, le répètent: ils n'ont «rien vu venir». Un mois avant l'attaque ivoirienne contre une position de l'armée française et la destruction de l'aviation gouvernementale par les forces françaises qui s'en est suivi, elle a pourtant été violemment prise à partie et menacée avec une hache par un groupe de jeunes très remontés contre «les Blancs». «Mais on se sentait complètement intégrés à la société ivoirienne, tâche d'expliquer Gérard, notre entreprise compte 70 salariés et fait vivre des centaines de personnes, nous avons la double nationalité, nous avons été baptisés comme fils d'un village voisin...» Les émeutes anti-françaises du début 2003? «C'était bon pour la capitale, nous, on était tranquilles dans notre petit coin.»

Le dimanche 7 novembre à 9 heures, au lendemain des représailles françaises, un coup de fil d'un employé ivoirien donne l'alarme. Encadrés par les miliciens «patriotes», quelques centaines d'habitants se dirigent vers la ferme. Gérard: «La radio les avait rendus furieux, à coups de chants patriotiques et d'incitations à casser du Blanc. On leur expliquait qu'il fallait qu'ils arrêtent les chars français, qu'ils prennent des Blancs en otages. Pour eux, la France a déclaré la guerre. Si on se met à la place de l'Ivoirien moyen, les Français leur tirent dessus, il faut se venger.» Claude et Gérard s'enfuient, emmenant avec eux les enfants de leurs employés de maison, des Burkinabés qui risquent eux aussi de faire les frais de la vindicte nationaliste. Ils passent trois jours en brousse, ravitaillés par les plus fidèles de leurs salariés, accrochés à leur portable, avant d'être récupérés par les soldats français.

«Ils ont tout pillé, raconte Claude, ils ont volé les poules, les cochons, les moutons, emporté tout ce qu'ils pouvaient. On a vu un instituteur au volant d'un de nos camions en train de se servir. Ils ont saccagé la maison, cassé les vitres et les ordinateurs. Ce qu'ils ne pouvaient pas emporter, ils l'ont détruit sans pitié; c'est ce vandalisme gratuit qui m'a le plus blessée. En Côte d'Ivoire, la xénophobie n'existait pas mais depuis deux ans, on a martelé aux gens que tout était de la faute des Français et de Chirac, alors une minorité, ceux qui n'ont pas de travail, y ont cru.»

Faute d'assurance fonctionnant par temps de guerre, l'exploitation agricole ne pourra redémarrer. La famille compte vendre au plus vite ce qu'il en reste et tourner la page ivoirienne. «Je ne veux pas y retourner pour dormir avec un pistolet sous mon oreiller, c'est malsain» dit Gérard, qui a passé la moitié de sa vie en Côte-d'Ivoire mais ne veut plus se demander lesquels de ses ouvriers figurent parmi les pillards. «Maintenant que c'est parti, le sentiment antifrançais risque de durer des années», lâche-t-il.

Persuadés qu'ils étaient à l'abri du racisme, les fermiers blancs ont regardé monter la haine. Les vexations et le racket systématique contre les immigrés africains, Maliens et Burkinabés. Le classement des Ivoiriens, entre ceux du sud, reconnus comme tels, et ceux du nord, traités d'étrangers. Une politique de préférence nationale qui impose la paiement d'une taxe pour l'embauche d'un salarié étranger. Puis sont venus les remarques: «Vous les Blancs, vous aimez l'argent», les insultes aux passages des militaires français. Gérard pense que l'intervention dans son ancienne colonie entre les rebelles et le président Gbagbo a été «l'erreur» de la France. Qu'il aurait mieux valu laisser les Ivoiriens régler leurs comptes, même sanglants. Comme la plupart des quinze mille Français de Côte d'Ivoire, il déteste Gbagbo. Mais si certains espèrent la chute du président ivoirien pour rentrer, Gérard et Claude ont décidé que, pour eux, c'était «terminé». Claude: «Je n'ai pas de haine et j'espère ne pas en avoir.» Gérard: «On devient raciste.» Il vient de s'inscrire à l'ANPE. Il cherche du travail en France, en Tunisie, au Maroc ou au Sénégal.

 

 

 

 


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