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Malgré la paix, l'aide se fait toujours attendre
Medecins sans frontieres, MSF
Soudan
10 octobre 2005
Reportage à Akuem, où la paix n'a pas marqué une amélioration des conditions sanitaire pour la population. L'été a été marqué par une crise nutritionnelle, et le retour sans assistance des personnes déplacées dans leurs villages d'origine déstabilise un peu plus une région en équilibre déjà précaire.
Pour la première fois depuis de nombreux mois, une cinquantaine d'enfants sont présents dans le centre nutritionnel thérapeutique MSF d'Akuem, dans la province du Bahr el Ghazal au sud du Soudan. Au pic de la crise nutritionnelle entre juin et fin août, les taux de malnutrition étaient deux fois supérieurs aux seuils d'urgence, le centre affichait complet avec 250 enfants sévèrement malnourris. Au total, ce sont plus de 2.100 enfants de moins de 5 ans qui ont bénéficié d'une prise en charge nutritionnelle, dans le centre thérapeutique, le supplémentaire et 3 centres ambulatoires.
Et pour prévenir une dégradation de la situation, MSF a mené une opération de blanket feeding, des distributions ciblées de rations de nourriture aux enfants de moins de 5 ans. Mi-août, les équipes ont réalisé deux distributions pour 15.000 enfants chacune.
Nybol Bol, assise sur une natte, berce ses jumeaux d'un an, Ngor et Achang. Elle a marché 14 heures pour les amener, en août, à Akuem où ils ont été admis dans le centre MSF pour malnutrition sévère. Sans des soins médicaux intensifs et de la nourriture spécialisés, il seraient très probablement morts. Aujourd'hui, comme les autres enfants du centre qui rient et jouent, ils sont hors de danger, tandis que leurs mères tissent des paniers colorés ou discutent à l'abri d'une bâche.
Cette crise nutritionnelle est survenue dans le sillage de la signature des accords de paix qui ont mis fin à 21 ans de guerre civile. Akuem et tout le district d'Aweil Est, bastion de l'ex-mouvement rebelle du SPLM (Southern Peoples' Liberation Movement) a été particulièrement touché par ce conflit. Aujourd'hui, près de 30.000 personnes sont revenues dans la région. La réalité qu'elles doivent affronter est plutôt sombre : la fin de la guerre ne signifie en aucun cas la fin de la lutte pour survivre. Bien qu'accueillis par la population et aidés au mieux par leur famille, ces returnees n'ont presque reçu aucune aide alors que leur réinstallation a déstabilisé un peu plus une zone déjà largement appauvrie et meurtrie par la guerre.
Akual fait partie de ces milliers de personnes revenues dans la région depuis janvier 2005. Beaucoup avaient fui la guerre dans cette zone proche de la ligne de front, trouvant refuge au nord du pays ou dans des camps à l'extérieur du Soudan. D'autres, comme Akual, ont été enlevés et réduits en esclavage. "Je suis arrivée en mars, explique-t-elle. Je me sens chez moi ici. Je suis avec les miens et je ne serai plus jamais maltraitée." Mais la joie du retour est tempérée. La liberté nouvellement retrouvée qui marque la fin de la violence et de la fuite est certainement importante. Pourtant, explique-t-elle, assise devant sa modeste maison délabrée aux murs de boue, et simplement vêtue d'un haillon, "les seules réelles différences entre ici et le nord sont le manque de nourriture et les habitations plutôt misérables. Mais ici, c'est chez moi."
Malgré la paix et les généreuses promesses financières de la communauté internationale, la vie des habitants toujours plus nombreux reste précaire. MSF gère le seul hôpital accessible et gratuit à des centaines de kilomètres à la ronde dans une région sans route, sans école, ni infrastructure. "Le seul changement visible depuis la signature des accords de paix est que nous soignons plus de patients qu'auparavant, explique Claire Magone, chef de mission pour MSF au sud du Soudan. Rien qu'au mois d'août, nous avons mené 7.000 consultations. La crise nutritionnelle touche à sa fin aujourd'hui, mais, en termes médicaux, nous avons atteint la limite de nos capacités. Et malheureusement, rien n'indique aujourd'hui que plus d'aide va arriver."
Dut porte un tee-shirt en loques, imprimé aux slogans d'une lointaine campagne de vaccination. En quelques mots, il exprime ce fatalisme si commun dans cette région depuis la signature des accords de paix le 9 janvier. "Le 9 de chaque mois, nous espérons un changement", glisse-t-il dans un sourire désabusé. Si certains signes d'amélioration sont encourageants - comme l'augmentation du nombre de femmes qui viennent accoucher à l'hôpital - le retour de milliers de returnees dans les prochains mois, venant grossir la population du comté, suscite bien des inquiétudes. "Le début de la paix aurait dû marquer une nouvelle ère de développement à Akuem, conclut Claire Magone. Mais, malgré les énormes besoins qui, pour le moment, ne sont pas comblés, le seul événement notable ici, c'est l'absence de changement." Si rien ne change, Ngor et Achang n'auront peut être survécu que pour affronter une nouvelle année de
souffrance.
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