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Giuliana Sgrena Raconte sa Libération
Le Monde
6 Mars 2005
"Ma vérité", sous ce titre qui barre la Une du quotidien de gauche, Il Manifesto, Giuliana Sgrena révèle que ses ravisseurs l'ont accompagnée dans une zone de Bagdad en la prévenant "de ne pas se faire remarquer avec eux sinon les Américains pourraient intervenir" et ils étaient prêts à riposter.
Un hélicoptère a survolé les lieux puis ils l'ont laissée seule, les yeux couverts, en lui disant : "Sois tranquille, maintenant ils viendront te chercher dans dix minutes".
"Je suis restée dans ces conditions d'immobilité et de cécité. J'avais les yeux remplis de coton, couverts par les lunettes de soleil", poursuit-elle.
"Une voix amie m'est alors parvenue aux oreilles", ajoute-t-elle. "Giuliana, je suis Nicola, ne t'inquiète pas, tu es libre", lui a dit cette voix qui était celle de Nicola Calipari, l'agent des services secrets italiens, venu la chercher et qui devait mourir un peu plus tard dans ses bras frappé par des tirs américains.
"J'ai éprouvé du soulagement, non pas pour ce qui se passait et que je ne comprenais pas, mais pour les paroles de ce 'Nicola'. J'ai éprouvé finalement une consolation quasi physique, chaleureuse, que j'avais oubliée depuis longtemps".
Sur le trajet en voiture, Mme Sgrena raconte que le chauffeur "a communiqué deux fois à l'ambassade et en Italie" qu'ils étaient en route vers l'aéroport.
"Il manquait moins d'un kilomètre. A ce point, je me rappelle seulement du feu, une pluie de feu et de projectiles s'est abattue sur nous", poursuit-elle.
"Le chauffeur a crié 'Nous sommes italiens, nous sommes italiens'. Nicola Calipari s'est jeté sur moi pour me protéger, et aussitôt, je répète aussitôt, j'ai senti sa dernière respiration alors qu'il mourrait contre moi", ajoute Giuliana Sgrena.
"Je dois avoir éprouvé une douleur physique... Mes pensées sont allées aussitôt à mes ravisseurs qui m'avaient dit de faire attention 'parce que ce sont les Américains qui ne veulent pas que tu retournes', des paroles que j'avais jugées superflues et idéologiques", assure-t-elle, ajoutant : "Le reste, je ne peux pas encore le raconter".
Si vendredi a été "le jour le plus dramatique de (sa) vie", le mois qu'elle a passé en captivité "a probablement changé pour toujours (son) existence", souligne la journaliste avant de raconter sa détention.
"Les premiers jours, je n'ai pas versé une seule larme. J'étais simplement furieuse. Je disais en face à mes ravisseurs : 'mais comment, vous m'enlevez moi qui suis contre la guerre ?!' Ce à quoi ils répondaient : "Oui, parce que tu vas parler avec les gens. Nous n'enlèverons jamais un journaliste qui reste enfermé dans son hôtel. Et puis le fait que tu dises être contre la guerre pourrait être une couverture".
"Ce fut un mois d'alternance entre espérances fortes et moments de grande dépression", poursuit Giuliana Sgrena.
Quelques jours après son enlèvement ses ravisseurs lui ont laissé voir la télévision et elle a alors vu son portrait géant accroché sur la façade du Capitole, la mairie de Rome. Mais, tout de suite après, est arrivée la revendication du Jihad qui annonçait mon exécution. "J'étais terrorisée", se rappelle-t-elle.
Mme Sgrena indique par ailleurs que deux de ses ravisseurs, dont une femme wahhabite qui s'occupait d'elle, avaient "l'aspect de soldats". Un autre était un tiffoso de l'équipe de football de la Roma et de son joueur vedette Francesco Totti.
La journaliste italienne affirme enfin avoir perdu ses certitudes. "Je soutenais qu'il fallait aller et raconter cette guerre sale. Et je me retrouvais face à une alternative : soit rester à l'hôtel à attendre, soit finir séquestrée par la faute de mon travail".
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