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Chaque vendredi soir, depuis cinquante-huit ans, Alistair Cooke lisait,
d'une voix élégante, sa "Lettre d'Amérique", sur les ondes de
Radio 4, relayée par le World Service de la BBC. Cette voix s'est tue,
l'autre semaine, lorsque le vétéran du journalisme mondial, malade, n'a
pu écrire sa 2 870e chronique d'outre-Atlantique.
Sur le conseil de son médecin, il a, mardi 2 mars, définitivement
fermé son micro, à l'âge de 95 ans. "Letter from America" était
le plus ancien programme de radio au monde. Né en 1908 dans une banlieue grise de Manchester, Alfred - rebaptisé
Alistair - Cooke avait découvert l'Amérique en 1932, et rejoint la BBC
comme critique de cinéma. Spécialiste des Etats-Unis, où il s'installe
avant la guerre, il inaugure en 1946 sa célèbre chronique. C'est l'époque
où la radio est reine. Semaine après semaine, Cooke devient le messager
de l'Amérique dans les foyers britanniques. On écoute en famille, dans
un silence religieux, cette voix anglaise d'un amoureux des Etats-Unis.
Treize minutes lumineuses, où passent l'humour et l'émotion, une langue
chatoyante, une diction parfaite, qui s'essoufflera un peu le grand âge
venu. Alistair Cooke était avant tout un conteur qui tenait la radio pour "l'art
du suspense". Les "speakers" d'avant-guerre le révulsaient
d'ennui, qui "lisaient leur sermon". "J'ai réalisé alors
que la radio attendait une nouvelle profession : celle d'écrire pour
parler." De l'Amérique, il a vécu les bonheurs et les drames. En
juin 1968, à Los Angeles, il eut le triste privilège d'assister, à
l'assassinat, à quelques mètres de lui, de Bob Kennedy : "J'entendis
quelqu'un crier "on a tué Kennedy" et une jeune fille ajouter
"non, pas une nouvelle fois !"." "ILS VOUS JETTERONT !" Réécouter certaines des "lettres" d'Alistair Cooke, c'est réveiller
la mémoire de l'Amérique et retrouver ses personnages, glorieux ou
futiles, de Roosevelt à Louis Armstrong, d'Eisenhower à Monica Lewinsky.
En 1974, celui qui fut aussi correspondant du Guardian pendant un quart de
siècle, animateur d'un show télévisé et écrivain à succès eut
l'honneur insigne de prendre la parole à la tribune du Congrès américain. A ses débuts, à New York, un aîné de la BBC lui avait conseillé : "Surtout, ne devenez pas trop populaire, car ils vous jetteront !" Cinquante-huit ans plus tard, c'est lui qui s'en va, en disant : "Au revoir, et merci." Copyright © 2004
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