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Les Avantages et les Contraintes d'une Retraite à 70 ans
By Michaëla Bobasch, Le Monde
May 14, 2004
À 65 ans, Hélène a repris un poste de responsabilité dans une PME. Ninon est toujours antiquaire à 79 ans. Michel, chercheur, envisage de poursuivre sa carrière aux Etats-Unis, plutôt que de prendre sa retraite à la fin de l'année. Que ce soit par nécessité ou par passion de leur métier, ces trois seniors sont à coup sûr les précurseurs de la retraite à la carte.
Dans un ouvrage intitulé La Retraite à 70 ans ? (Belin, 158 p., 15 € ), Robert Rochefort, directeur du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc), montre que les Français sont les champions des carrières courtes grâce à une entrée tardive dans la vie professionnelle (longues études) et à une sortie précoce (préretraites et encouragements au départ anticipé). Ils restent néanmoins productifs, au prix d'un stress important encore accentué par les 35
heures.
Plusieurs facteurs concourent à l'allongement de la carrière au-delà de 60 ans et même de 65 ans. Tout d'abord, la nécessité de financer les retraites. D'ici à 2010, la proportion des plus de 55 ans sur le marché du travail (31 % actuellement) augmentera de 40 %. Selon Robert Rochefort, ce processus est inéluctable ; ni l'entrée plus précoce des jeunes en entreprise, ni l'augmentation du flux migratoire ne sauraient y remédier. Ensuite, la pénurie de main-d'œuvre qui s'annonce dans certains métiers, en raison de l'effet cumulatif de départs massifs à la retraite et de besoins d'emplois supplémentaires. Sont concernés les secteurs de la santé, des services à domicile, de la vente, du bâtiment.
Enfin, de nombreux seniors ont de bonnes raisons de prolonger leur carrière, parce qu'ils se sont remariés et ont encore des enfants adolescents, dont ils doivent financer les études; ou inversement, parce qu'ils divorcent au début de leur retraite : chez les sexagénaires, la progression est de 25 % pour les femmes, et de près de 40 % pour les hommes. Ces nouveaux ménages choisissent l'union libre, pratiquent la double résidence et veulent disposer d'un revenu suffisant pour faire face à ces dépenses. Le conjoint délaissé, qui doit se contenter de sa pension personnelle, n'a lui aussi d'autre alternative que de travailler pour échapper à
l'appauvrissement.
Or comment poursuivre sa carrière quand les entreprises incitent au départ les salariés les plus âgés ? Paradoxalement, ce sont les PDG seniors eux-mêmes qui poussent à la roue, ce que Robert Rochefort qualifie de "degré primaire de l'idéologie jeuniste". Pourtant, selon les travaux de Serge Volkoff et d'Anne-Françoise Molinié au Centre d'étude de l'emploi, l'usure physique et psychologique des salariés est moins liée à l'âge qu'aux conditions de travail.
Ainsi, Hélène, cantonnée à un poste subalterne dans l'entreprise qu'elle a dû quitter, a-t-elle pu valoriser ailleurs son expérience. Une enquête du ministère du travail montre que la conscience professionnelle et les compétences des seniors sont reconnues respectivement par 42 % et 67 % des
employeurs.
UN SYSTÈME DE RÉEMBAUCHE
L'intérim recrute déjà des seniors. La récente loi sur les retraites a assoupli les conditions dans lesquelles on pouvait entreprendre une nouvelle carrière. Elle prévoit le retour dans la même entreprise à l'issue d'un délai de carence de six mois. On peut aussi continuer de travailler en percevant sa pension, à condition que le montant cumulé de celle-ci et de la nouvelle rémunération ne dépasse pas le dernier salaire. Cependant, le cumul emploi-retraite ne peut accroître le pouvoir d'achat d'un senior qui a une modeste pension, car il ne lui permet pas d'augmenter le montant de celle-ci par des cotisations supplémentaires. Il conviendrait de corriger cette inégalité pour qu'un retraité travailleur qui n'aurait pas toutes ses annuités puisse cotiser et améliorer sa future
retraite.
Autre solution, la retraite progressive. Le salarié continue à travailler à temps partiel au-delà de l'âge réglementaire, moyennant quelques avantages : choix de ses horaires, crédit d'impôts. La formule, pratiquée aux Pays-Bas, évite la dépression due à la rupture brutale, courante chez les cadres. En Finlande, le taux d'emploi des 55-64 ans est remonté de 10 % grâce à un plan quinquennal : campagne de sensibilisation, formation de l'encadrement au "management attentif à l'âge" (bilan de compétences, adaptation des postes de travail), "bonus" pour toute année supplémentaire effectuée. En 2005, tout salarié prolongeant son activité au-delà de 68 ans verra sa pension majorée de 24 %.
L'emploi des seniors se heurte cependant à un obstacle : leur salaire élevé. "Cet argument ne peut être nié, mais il s'amenuise avec le temps, parce que les quinquagénaires qui ont connu le chômage acceptent d'occuper des postes de travail avec une baisse de leur rémunération de 15 % à 30 %", constate Robert Rochefort. Hélène confirme : elle fait bénéficier sa nouvelle entreprise de compétences de haut niveau... pour à peine la moitié de son ancien
salaire.
L'observation de certaines expériences étrangères est à cet égard édifiante. Au Japon, il existe un système de réembauche des jeunes retraités, à un salaire inférieur au précédent. Et il n'est pas rare que l'on incite à des départs anticipés, immédiatement suivis de ce type de réemploi. Faute de garde-fou réglementaire, l'allongement des carrières pourrait bien donner lieu à une exploitation des seniors, comparable à celle des jeunes qui accèdent à la vie active.
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