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France: Emilienne, atteinte d'Alzheimer, n'est pas revenue de sa Fugue d'après-dîner
Philippe Bernard, Le Monde
April 7, 2004
"Je vais me coucher", a simplement glissé Emilienne Dusautoir, 79 ans, avant de disparaître. Dans la salle à manger de la maison de retraite de Calais (Pas-de-Calais), le Château des Dunes, où le dîner venait de s'achever, personne n'a tiqué. La vieille dame, qui n'avait plus toute sa tête, était familière des petites fugues du soir sans conséquence. Depuis ce crépuscule du 22 janvier, personne ne l'a jamais revue.
Un pensionnaire âgé l'a bien aperçue, sortant de l'établissement, dont les portes ne sont jamais closes, et s'éloigner. Deux employés sont immédiatement partis à sa recherche, assure Nathalie Patte-Quintelier, directrice de l'établissement, et la police a été alertée sur le champ.
Une minute après l'appel, un message avec signalement a été diffusé et trois véhicules de patrouille se sont dirigés sur les lieux, affirme le commissaire adjoint de la ville, qui prend ses distances en précisant que "les rapports en font foi" mais qu'il ne peut pas être "derrière chaque fonctionnaire".
Car Patrick Dusautoir, le fils de la disparue, anéanti de douleur, dit avoir vécu tout autrement ce soir-là : entre 18 h 50, lorsqu'il a été informé de la disparition de sa mère, et 23 heures, dit-il, "aucun secours ne nous a été porté, alors que les premières heures de recherche sont cruciales après une disparition". "Il a fallu, explique-t-il, que mon épouse contacte par téléphone une de nos relations, un policier à la retraite, pour que des véhicules soient enfin dépêchés et nous assistent dans les recherches." Dans une lettre adressée à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, il raconte qu'avec une de ses sours, il a dû poursuivre lui-même les recherches dans une zone boisée, après le départ des policiers, vers 1 heure du matin. Il ne comprend pas, écrit-il, "la démesure existant entre les moyens, parfaitement justifiés, mis en ouvre lors d'une disparition d'enfant et ceux concernant une personne âgée". Le fils de la disparue n'a pas apprécié que le responsable policier lui glisse "Il n'y a pas que votre mère !", pas supporté qu'en émettant l'hypothèse d'une noyade, il lui précise qu'un corps peut ne remonter à la surface qu'au bout de trois semaines.
DE LONGS MOMENTS DE LUCIDITÉ
"Cette affaire a été traitée de façon exemplaire", répond-on à l'hôtel de police, en égrenant la liste des opérations de ratissage, avec chiens, CRS et hélicoptère, mises en ouvre en vain. "Je comprends la douleur de M. Dusautoir, je ferais comme lui pour ma mère, et cet échec me laisse un goût très amer,répond le commissaire adjoint. Nous l'avons même laissé codiriger une battue, mais, lorsqu'il a voulu nous faire suivre par une radiesthésiste, le procureur a refusé."
De fond en comble, le Château des Dunes a été fouillé, et les portes de la maison sont désormais fermées "parce que le personnel est en nombre insuffisant pour assurer la surveillance", indique Mme Patte-Quintelier. "Cette dame, dont l'état s'était aggravé, n'était plus forcément adaptée à notre structure. J'entends bien la souffrance de la famille. Ici, tout le monde est à cran."
Emilienne Dusautoir passait par de longs moments de lucidité qui avaient même conduit le juge d'instance à refuser sa mise sous tutelle, à l'été 2003. Par des phases d'incohérence et de désorientation totale aussi, comme lorsque son fils l'avait récupérée marchant sur une route en chemise de nuit à 6 heures du matin, à 1 km de la maison de retraite. Elle figurait sur une liste d'attente pour admission dans un établissement plus adapté, plus fermé. La réponse n'était pas venue, faute de place.
En attendant, on avait "changé ses médicaments" pour l'empêcher de faire des bêtises. Samedi 27 mars, sa chambre a été vidée par sa famille. Dans l'annuaire qui recense les établissements acceptant des malades souffrant d'Alzheimer, le Château des Dunes est très sérieusement répertorié, comme beaucoup d'autres, avec la mention : "admission possible sauf en cas d'agressivité et de fugue".
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