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By Michaëla
Bobasch, Le Monde
"Alors, finalement, la vieillesse ce n'est pas un défaut !" Cette
réflexion d'Arnaud, 8 ans, ravit les organisateurs du prix Chronos littérature
de jeunesse. Créé par la Fondation nationale de gérontologie, il a pour
objectif d'amener les enfants à porter un regard positif sur les
personnes âgées. Le jury, composé de jeunes de 4 à 14 ans, distingue des ouvrages qui
mettent en scène des seniors. " A condition que ceux-ci ne soient
pas de simples images d'Epinal, mais de vrais protagonistes, moteurs de
l'action", précisent Jacqueline Gaussens et Geneviève
Arfeux-Vaucher, fondatrices du prix, deux gérontologues qui,
paradoxalement, travaillent avec les enfants. "Notre seul mot d'ordre,
c'est osez ! Osez parler du vieillissement." C'est ainsi que les héros des ouvrages couronnés sont des personnages
hauts en couleur, originaux et pleins de vie, comme cette vieille
clocharde qui s'intéresse à une adolescente fugueuse rencontrée dans un
hall de gare (Salle des pas perdus de Julia Billet) ou cette mamie
dragueuse dans Beurk ! Mamie est amoureuse ! de Jeremy Strong et Laurent
Audouin. Une trentaine de livres sélectionnés par un comité composé de médecins,
d'enseignants, de libraires et de bibliothécaires sont soumis à plus de
26 000 lecteurs répartis dans cinq jurys d'âges différents. Quatre ou
cinq titres concourent dans chaque catégorie. La plus nombreuse est celle
du cours élémentaire (8 213 inscrits), suivie des petits de maternelle-CP
(6 733), du cours moyen (6 064) et du collège (4 700). Une dernière
section regroupe lycéens et adultes ; la doyenne a 94 ans. Si certaines lectures passent par la médiation de l'enseignant, notamment
en maternelle et au cours préparatoire, les enfants, eux, votent
individuellement. D'ailleurs, il est rare que leur choix coïncide avec
celui des adultes. "Au départ, en 1996, il n'y avait que 220 élèves recrutés dans les
écoles de nos propres enfants. Puis le succès nous a encouragées à
aller plus loin. Notre meilleur ambassadeur, c'est le bouche-à-oreille ;
les enseignants qui changent de poste exportent le projet. Des élèves
sont restés jurés Chronos pendant toute leur scolarité", indiquent
les organisatrices. TRANSFORMER LES MENTALITÉS S'adresser à un très jeune public leur a semblé le meilleur moyen d'œuvrer
à la transformation des mentalités : "Lorsqu'ils racontent à leurs
parents les histoires lues en classe, lorsqu'ils leur montrent les livres,
lorsqu'ils posent des questions, ils introduisent dans la famille un débat
sur le vieillissement." Les ouvrages abordent en effet des sujets qui
viennent rarement sur le tapis familial, comme les secrets de famille, ou
carrément tabous, comme la mort, qui fascine les enfants. Certains auteurs emploient un ton très direct : "Mamie est morte, je
l'ai embrassée, elle était toute froide. On l'a mise dans une boîte et
on l'a enterrée." "Moi, mon grand-père, on l'a mis dans une boîte
et on l'a fait brûler" (Louis a perdu sa mamie de Clara Le Picard et
Julie Baschet.). Des enseignants ont refusé de présenter ce livre à
leurs élèves. D'autres romans avaient déjà suscité les réticences
des adultes, comme Otto de Toni Ungerer, qui abordait la Shoah par le
biais des pérégrinations d'un ours en peluche abandonné dans une
poubelle pendant la seconde guerre mondiale et retrouvé cinquante ans
plus tard chez un brocanteur. Des enseignants, au contraire, saisissent l'occasion de faire tomber les préventions.
"Pour aider l'enfant à grandir et à construire sa personnalité",
explique Francine Denizart, institutrice en maternelle. "Grandir
c'est vieillir. Il arrive toujours un moment où l'on devient trop âgé ;
des enfants de 12 ans ont dû renoncer à commencer le violon",
ajoute Jacqueline Gaussens. Les sagas permettent d'évoquer des événements historiques (la guerre
d'Algérie dans Les Yeux de Moktar de Michel Le Bourhis.) ou des sujets liés
à l'actualité, comme l'accouchement sous X (L'Absente de Claire Mazard.),
la maltraitance, dans Mamie en miettes de Florence Aubry (Editions du
Rouergue) : des enfants ont fait le lien avec la canicule de l'été 2003. Le concours a aussi le mérite de rendre les éditeurs moins frileux. Les
ouvrages multiplient les approches dans des genres littéraires différents
: épistolaire, théâtral, poétique, ou même fantastique, comme
L'Intruse de Gudule, qui fait pénétrer une fillette dans le passé de
son grand-père. Dans Civils de plomb de Georges-Olivier Châteaureynaud,
le héros héberge chez lui ses chers disparus sous forme de statues de
plomb, mais celles-ci ont conservé les habitudes, parfois gênantes, de
ceux qu'elles représentent.... Auteurs et illustrateurs suggèrent avec délicatesse l'importance du souvenir. "Mamie est peut-être maintenant une plante ou un animal",dit le jeune héros de Louis a perdu sa mamie ; "Un chat, ça serait mieux !", répond son camarade. "Celui qui meurt laisse tout son amour sur la terre pour ceux qui l'aiment. Mamie en a laissé beaucoup pour moi", conclut Louis. Les réactions des enfants recueillies en classe sont tout aussi émouvantes. Cindy, élève de CM2, explique que sa grand-mère a la maladie d'Alzheimer : "Maintenant, c'est moi qui lui raconte les souvenirs qu'elle me transmettait lorsque j'étais petite." Copyright © 2004
Global Action on Aging |