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France: February
7, 2004
Plus d'une fois, dans sa petite chambre de la maison de retraite, elle y a
pensé. Cacher ses somnifères, dans la boîte à pilules, pour les avaler
tous d'un coup, et tout oublier. Institutrice à la retraite, très active
toute sa vie, Marie, à 70 ans, ne supportait plus de traîner sa
vieillesse comme une maladie "honteuse".
Parce qu'on lui interdisait de fumer, de sortir. Et d'aimer. Affaiblie par
des problèmes de santé, ses fils s'éloignant, elle avait choisi d'aller
en institution. Elle y avait rencontré "un amoureux", son
voisin de chambre. Ils avaient uni leurs solitudes. "Avec lui, je
discutais de tout, il me donnait de l'affection, sourit-elle, tristement.
Et puis, un jour, la directrice nous a vus faire un bisou. Ça ne lui a
pas plu. Alors elle m'a demandé de partir. C'était choquant de faire ça
à mon âge..." Ce qui l'a "sauvée" ? L'hôpital Valvert,
à Marseille, qui l'accueille en journée deux fois par semaine - le
premier en France à avoir créé un service de géronto-psychiatrie.
"Ils sont encore rares sur le territoire, à l'image du peu d'intérêt
que la société, qui hypervalorise l'image de la jeunesse, porte aux
personnes âgées", regrette le chef de service, René Arnaud-Castiglioni,
intervenant aux Journées nationales pour la prévention du suicide, qui
devaient s'achever vendredi 6 février, à Toulon (Var). Mais combien sont-elles, ces personnes âgées qui n'ont pas la force
d'aller jusqu'au bout ? 3 232 de plus de 65 ans, sur 10 837 cas en 2000.
Quand le suicide des jeunes bouleverse, indigne, celui de leurs aînés
suscite plus de fatalisme, alors que la France est l'un des pays européens
où les vieillards se suicident le plus. La pendaison, l'arme à feu ou la
noyade comme seules issues. Une mort radicale, après une première
tentative souvent fatale, tandis que, chez les jeunes garçons de 20 ans,
par exemple, on compte 22 tentatives pour un suicide "réussi". LE TUNNEL DE LA DÉPRESSION A l'origine, bien souvent : le tunnel de la dépression, du repli sur soi,
qui passe inaperçu. "D'abord parce que la dépression du sujet âgé
correspond au stéréotype que l'on se fait de la vieillesse",
explique le docteur Anne Delcour. Des idées de mort, une perte d'appétit,
des jambes qui se dérobent... On se dit : "Il a vécu sa vie, c'est
normal..." Et puis la dépression, souligne René Arnaud-Castiglioni,
"revêt des formes trompeuses qui font penser aux médecins non formés
à des maladies incurables, comme Alzheimer : troubles de mémoire, désorientation
; donc on laisse courir". D'autant que "la personne âgée déprimée
ne gêne personne tant qu'elle ne s'agite pas..." Marie résume, en
baissant les yeux : "Quand on devient vieux, on n'est pas considéré
comme une personne mais une quantité négligeable." Dans le service aux teintes pastel, il n'est pas rare que l'on voie arriver
des personnes laissées à l'abandon un an, deux ans, "sans que cela
émeuve personne". Tel cet homme de 80 ans, parfaitement valide, que
son fils a fait interner, un jour, parce qu'il s'était violemment disputé
avec son épouse. En discutant avec lui, les médecins se sont aperçus
qu'il ne sortait plus de sa salle à manger depuis trois ans, assis devant
la télévision, attendant que la chandelle s'éteigne, tout doucement. Comme ces deux sœurs qui vivaient cloîtrées, derrière leurs volets clos,
depuis la mort de leur mère et la fermeture des commerces de quartier.
Des "équivalents suicidaires" qui ont pu être soignés.
Aujourd'hui, il et elles sont revenus à la vie, sortent acheter le
pain... "C'est tout le drame du non-dépistage, insiste le docteur
Anne Delcour. Alors que la dépression est la seule maladie mentale que
l'on sache guérir. Et, chez les personnes âgées, on peut voir de réels
progrès." Des progrès suscités, en douceur, par des activités de resocialisation,
du théâtre, des séances de gym, d'esthétique ou des groupes de parole.
Ce matin, en hôpital de jour, on décortique ensemble les nouvelles de La
Provence, on discute de la grippe aviaire, du temps qu'il fera demain, on
parle de soi. "Nous travaillons beaucoup sur la revalorisation, la
renarcissisation, nous leur redonnons une existence à part entière",
sourit Danielle Almonacil, une infirmière. "JE NE SUIS PLUS RIEN" Car ces paroles reviennent comme un refrain : "Je suis une charge pour
mes enfants, j'ai peur de perdre la tête, je ne suis plus rien..."Jeanne,
80 ans, toute menue dans son gilet rose, a pleuré quand sa fille lui a
parlé de maison de retraite. "La vie est trop dure pour moi, en ce
moment...", souffle-t-elle. Assise à ses côtés, le docteur Delcour
la fait parler, lui fait exhumer des souvenirs heureux, du temps où elle
tenait un manège. La vieille dame s'anime, rit même. Quelques minutes
arrachées à l'angoisse, au temps qui grignote les forces, grâce à la
patience d'une équipe rodée qui travaille en lien avec les familles,
pour lesquelles rien n'est simple. Pas facile d'affronter la déchéance d'un parent âgé, de faire la part
des choses entre les stigmates de la vieillesse, parfois lourds à
supporter et très onéreux à prendre en charge, et la spirale dépressive,
entre le droit de son parent vieillissant à "choisir" sa fin de
vie, en quelque sorte, et la non-assistance à personne en danger. Le
suicide de la personne âgée pose question : est-il une sorte
d'euthanasie appliquée à soi-même, un choix légitime de finir dans la
dignité ou l'expression d'un non-choix, de l'enfermement dans une
souffrance, d'une impasse dont on ne peut sortir ? Le sujet est délicat.
Et mériterait, comme pour le suicide des adolescents, de sortir de
l'ombre dans laquelle il est confiné. Copyright © 2004
Global Action on Aging |