Ils ne squattent pas encore les cybercafés pour dézinguer leurs petit-fils à Counter-Strike, mais cela ne saurait tarder. 

Fatigués de se perdre dans les conversations familiales sur les dernières nouveautés high-tech, intrigués de voir la progéniture passer des nuits entières scotchée à un écran d'ordinateur, les seniors se mettent à l'informatique. Du moins, ils essaient. Et plébiscitent les stages d'initiation. Une chance : depuis un an, associations et municipalités les multiplient pour réduire la «fracture numérique» entre ceux qui naviguent sur Internet avec aisance, et les autres, encore nombreux.

«Il faut vraiment commencer par la base, dire "ça c'est la souris", "ça c'est le clavier". Ce sont des gens qui n'en ont jamais vu, trois quarts d'entre eux n'y connaissent rien et un quart s'y connaît mal», annonce Julien Ficheux, animateur multimédia à Paris, dans le XIe. Dans son espace multimédia, il voit passer «60 % à 65 % de vieux, et trois quarts de femmes. Beaucoup s'y mettent pour tisser d'autres relations avec leur famille. Parfois, ils ont un vieux PC qui leur a été donné par le fils ou la fille, et qu'ils ne veulent pas laisser moisir dans un coin. Parmi eux, les plus jeunes percutent plus vite. Pour d'autres, c'est vraiment du bourrage de crâne, cela ne marche pas du tout».

Parfois, c'est aussi physique. Avec les débutants que Paul, bénévole chez Emmaüs, a encadré, il faut commencer par un travail du corps. «Beaucoup tiennent la souris du bout des doigts et très loin du corps. Ensuite on s'occupe du clavier. Plus ils sont âgés, moins ils ont de souplesse dans les mains. Alors on fait des exercices spécifiques pour les entraîner à taper.» Malgré la patience des animateurs, beaucoup décrochent en route avant d'atteindre les objectifs simples qu'ils s'étaient fixés : envoyer des mails, trouver des renseignements pratiques sur Internet, visionner des photos numériques. Mais pas d'achats online ou de création de site. 

D'autres estiment avoir compris très vite les bases, sans accepter l'échec, comme «ce sous-officier qui ouvrait dix fichiers Excel à la fois sans en utiliser aucun», dont se souvient Paul. Restent les ambitieux, comme Jeanine, 65 ans. Elle vient d'acheter un portable et souhaite aller jusqu'à «réaliser des vidéos, aller sur des sites culturels, visiter des musées en ligne». Chez cette sexagénaire, la passion du numérique a pris il y a quatre ans, au cours d'un voyage, quand elle a vu «ce qu'on pouvait faire avec un appareil photo numérique. C'est magnifique quand on voit de vraies applications concrètes». Et télécharger de la musique ? «Télécharger ? Ça veut dire quoi ?»

Même pour les bases, cela prend du temps. Tous les mardis, dans l'Espace public numérique du IIIe arrondissement, elles sont six femmes à essayer de s'y mettre. Elles ont vu large : l'atelier d'initiation, organisé par la résidence pour personnes âgées et la Mairie de Paris, doit durer un an. «C'est juste pour pouvoir un peu parler avec mes gamins de tout ça, mais bon c'est long, on n'apprend pas vite», prévient Monique, 61 ans, qui s'évertue sans passion à dessiner des rectangles, des étoiles et des coeurs avec Word. 

Sa voisine, 75 ans, a sorti, en plus de ses lunettes gigantesques, une énorme loupe pour examiner l'écran. Elle vise une case à cocher avec sa flèche, la manque. Elle réessaye, mais échoue encore. Elle est fatiguée parce qu'elle vient de «passer une nuit entière sur le dernier Frédéric Mitterrand». Et puis, elle n'est «pas fascinée par tout ça». Ajoute : «J'aurais dû m'y mettre il y a dix ans, c'était plus simple.» 

Leur professeur, lui, sait bien ce qu'il leur faut pour les détendre : «La semaine prochaine, je les ferai un peu tchater sur MSN, elles aiment bien ça.» Avec les ordinateurs, ces six-là sont comme des adolescentes.