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Démagogie pénale, mesures humanitaires 

Par Jean Bérard, Dedans dehors dossier 

France

Decembre 2005 

Des peines qui n'ont pas de sens pour des gens qui ne sont, pour la plupart, pas ou plus dangereux : le nombre de détenus âgés devrait suivre une rassurante pente descendante. Il n'en est rien. En France, le nombre de personnes incarcérées de plus de 60 ans a été multiplié par deux en dix ans. Au 1er juillet 2004, les prisons françaises en abritaient plus de 2000.

 La criminologue Hilde Tubex expose les raisons de cette croissance : "l'augmentation des longues peines", "la baisse de l'application de toutes sortes de libération anticipée", "la pression des opinions publiques" à la suite de grandes affaires constitue le terreau où se développe le vieillissement de la population pénitentiaire. Est-il possible d'inverser la tendance ? La dimension européenne du phénomène, et l'importation croissante de théories et de pratique pénales venues d'outre-Atlantique rendent Hilde Tubex pessimiste.

D'autant que, selon Cécile Brunet-Ludet, juge de l'application des peines, c'est au cour même de la justice que naît le problème : "dans l'émotion du procès, devant des actes très graves, et devant la douleur de la victime, il est très difficile de faire apparaître qu'une très longue peine infligée à une personne déjà âgée n'est pas toujours adaptée". Les peines de sûreté, explique-t-elle, sont le moyen par lequel une cour d'assises se rassure et croit rassurer la société. Qu'un aménagement de peine donne lieu, depuis 2000, à un débat contradictoire au cours duquel le procureur s'exprime, puis peut faire appel, n'y change pour l'heure rien. Et ce n'est pas la récente proposition de loi de Thierry Mariani, visant à placer les détenus de plus de 70 ans sous surveillance électronique, qui modifiera la situation.

 Le député a pris soin d'exclure de la mesure les criminels et les auteurs de certains délits, notamment sexuels.
Cette politique débouche pourtant, en fin de compte, sur des catastrophes. Des personnes incarcérées alors qu'elles sont grabataires, alors qu'elles sont gravement malades. Des personnes qui meurent en prison ou qui ne sortent que pour mourir. Des familles voient partir un proche et, six mois plus tard, revenir "un cercueil", témoigne la fille d'un vieil homme décédé au printemps dernier à l'hôpital de Fresnes. Et de poursuivre : "Comment faire le deuil d'une personne qu'on n'a pas pu voir ? Je resterai marquée au fer rouge."

C'est pour éviter ces situations tragiques qu'a été votée, en 2002, la loi sur la suspension de peine, qui rend possible la libération de personnes dont l'état est jugé incompatible avec la détention ou dont le pronostic vital est engagé. Cette "excellente loi", selon les mots de Marie-Suzanne Pierrard, permet régulièrement de faire sortir des grands malades. Elle est encore appliquée de façon inégale, et le repérage par les médecins et les personnels pénitentiaires des détenus devant en bénéficier demande encore à être amélioré. De même, comme l'explique Mme Pierrard, des "repères de jurisprudence" doivent être fixés qui permettent d'accorder des mesures de suspension à des malades dont le pronostic vital est engagé sans que leur mort soit certaine, et à des personnes dont l'état n'est pas compatible avec la détention sans qu'elles soient gravement malades.

L'aménagement en urgence des peines des personnes âgées est évidemment de la plus haute nécessité. A la douleur de la victime succède la compassion pour le vieillard. Mais une telle alternance ne saurait être au fondement d'une politique pénale. Le problème posé à la société par les crimes les plus graves est suffisamment sérieux pour ne pas être discuté exclusivement en maniant la peur et en stigmatisant la monstruosité présumée des coupables. Il mériterait que soit faite l'analyse des chiffres et des facteurs de la récidive. Si, comme les travaux d'Annie Kensey et de Pierre Tournier tendent à le montrer, l'octroi d'une libération conditionnelle fait chuter la probabilité de la récidive, la protection de la société même passe par la promotion de telles mesures. Le débat public ne devrait pas porter sur l'allongement sans fin des peines de sûreté, mais sur la manière dont la prise en charge, notamment psychiatrique, pourrait faire baisser encore le faible taux de récidive.

Faire en sorte que les prisons ne soient pas, pour les personnes âgées, des lieux où leur dignité s'abîme au fil de la dégradation de leur santé ou de la perte de leurs forces est à l'évidence une tâche indispensable. Permettre à ceux dont l'état de santé est très dégradé de sortir de prison sans condition est une mesure humanitaire qui ne pourra qu'être saluée. Le vieillissement de la population carcérale paraît parfois tristement inéluctable, à l'heure où le chef de l'Etat a de nouveau enfourché le cheval de bataille de l'insécurité et de la récidive. Il le sera tant que perdurera le vide insensé de la réflexion politique sur les longues peines, la dangerosité supposée de ceux à qui elles sont infligées et leur intérêt, in fine, pour la société.

Le vieillissement, effet de la démagogie pénale
L'allongement des peines engendre un vieillissement de la population carcérale à l'échelle de toute l'Europe. Le durcissement législatif, souvent consécutif à des affaires très médiatiques, se nourrit de la peur et de l'ignorance des données scientifiques sur les problèmes de récidive et de réinsertion. Une démagogie qui rend pessimiste Hilde Tubex, enseignante de criminologie à l'université de Bruxelles, sur les possibilités d'infléchissement de cette tendance.
l'aménagement de peines. insensées

Cécile Brunet-Ludet et Marie-Suzanne Pierrard sont juges de l'application des peines au tribunal de Créteil. En charge des détenus de l'hôpital de Fresnes, elles sont au cour des problèmes liés à la présence en prison de personnes âgées et malades. Elles passent ici en revue les difficultés engendrées par l'application de la loi sur la suspension de peine, et proposent des changements législatifs qui permettraient une meilleure prise en compte des cas d'urgence et, plus généralement, du vieillissement de la population carcérale.

"Je resterai marquée au fer rouge."
Nathalie R., fille d'un détenu décédé en juin 2003 à Fresnes (Val-de-Marne).
"Le 2 janvier 2003 à 16 heures, mon père, 75 ans, se présente à la maison d'arrêt de Mont-de-Marsan pour purger une courte peine d'incarcération. Vers 19 heures, quelqu'un frappe à notre porte. A notre grande surprise, c'est mon père. Il n'avait pas sa carte d'identité sur lui, alors ils l'ont mis dehors pour qu'il aille la chercher. Résultat : des heures de marche à pied dans la nuit et le froid."

"Ils ne vont pas sauter par-dessus les murs !"
La prison n'est pas adaptée à la vie et à la prise en charge des personnes âgées. Mais les lenteurs de l'application de la loi sur la suspension de peine et la difficulté à trouver des alternatives et des structures d'accueil adaptées entraînent bien souvent leur maintien en détention. Inutile pour la société et désastreux pour eux-mêmes comme pour leurs proches : tel est le diagnostic porté par le docteur Stéphane Guivarch qui exerce à la maison d'arrêt et au centre de détention de Caen (Calvados).

Témoignage "Faut-il être mort pour obtenir une suspension ?" 
Décision de la juridiction régionale de la libération conditionnelle de Douai. 5 avril 2004 :
Malgré l'état de santé, une suspension non opportune
"Attendu que les conclusions concordantes des experts mettent en évidence la gravité de l'état de santé de L.C. dont le pronostic vital est engagé au sens de l'article 720-1-1 du Code de procédure pénale ; que toutefois, il ressort de l'enquête diligentée auprès de l'amie susceptible d'accueillir L.C. que celle-ci, mère du codétenu de L.C. a certes pu correspondre avec lui depuis 1999 mais ne l'a rencontré qu'une seule fois en décembre 2003 à l'occasion d'une permission de sortir ; qu'elle exprime clairement auprès de la conseillère d'insertion et de probation le 6 août 2003 ses sentiments amoureux mais n'a à aucun moment évoqué les problèmes de santé graves affectant L.C. nécessitant en réalité un suivi médical rigoureux, non à H. [son lieu de résidence], mais à Lille, en services spécialisés ; que surtout elle n'est pas avisée des perspectives vitales de son ami. Que dans ces conditions, l'hébergement proposé n'est pas compatible avec la situation personnelle de L.C. qui connaîtra rapidement des difficultés majeures de tous ordres et peut au regard des éléments de personnalité se mettre en danger et mettre en danger autrui ; que nonobstant l'état de santé de L.C., il n'est pas opportun en l'état de lui accorder une mesure de suspension ou de libération conditionnelle."
La prison dégradante
Les personnes détenues sont plus souvent touchées par le handicap que le reste de la population. Le temps passé en détention accroît le nombre de difficultés et engendre des incapacités spécifiques dont la fréquence augmente avec l'âge. Telles sont les conclusions de l'enquête Handicaps Incapacités Dépendance (HID) réalisée en 2001 dans une trentaine d'établissements pénitentiaires et coordonnée par Aline Désesquelles, qui dirige la division des enquêtes et études démographiques à l'INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques).

Vieillir et mourir en prison
"En vingt ans, le nombre de détenus âgés de plus de 60 ans a été multiplié par cinq", constatait en 2000 le rapport de la commission d'enquête du Sénat (1). Quatre ans après, le vieillissement s'est amplifié avec ses conséquences dramatiques, sans que jamais les peines insensées qui en sont la cause ne soient remises en question. Se dirige-t-on, comme le craignaient les sages du palais du Luxembourg, vers une sinistre "prison-hospice" ? 
Le 24 mai 2004, lors de la réunion de la commission de surveillance de la maison d'arrêt de Dijon, l'aumônier de la prison fait part de son souhait de voir installés "des bancs dans les cours de promenade destinés notamment aux personnes âgées". Le directeur répond négativement à cette suggestion en avançant deux raisons. D'une part, "leur installation dans la cour très petite enlèverait de l'espace pour marcher". D'autre part, "compte tenu des motifs d'incarcération des personnes âgées, on constate que ces dernières ne sortent pas en promenade". Emue par cette situation, Mme le procureur général demande "s'il ne serait pas possible de rassembler les personnes âgées dans une cour de promenade ou de créer des horaires spécifiques à leur intention". A quoi le directeur répond que "les promenades s'effectuent par secteur de détention" et que "créer des horaires à la carte engendrerait des jalousies, d'autant que ces détenus sont mal perçus par leur congénères".

Des peines insensées
Cet instructif dialogue permet de pointer les problèmes essentiels liés à la détention des personnes âgées. Elles sont d'abord dans un état physique qui rend compliqué, si ce n'est impossible, l'accès à tout ce qui rend la vie en détention moins pénible : la promenade ici, faute de pouvoir s'asseoir. Elles font ensuite partie, pour une large part d'entre elles, d'un groupe de détenus à qui leurs codétenus rendent la vie particulièrement difficile : les délinquants sexuels. Ainsi, elles cumulent la faiblesse liée à leur âge avec le stigmate accolé à leur infraction. Enfin, il est très délicat, pour des raisons qui tiennent sans doute autant aux susceptibilités évoquées ici par le directeur qu'à l'organisation de la prison dans son ensemble, avec ses cellules, ses étages, et ses escaliers, d'aménager la prison pour en faire un séjour vivable pour les personnes âgées. Comme l'explique le docteur Stéphane Guivarch, qui exerce à la prison de Caen, "plus encore que des problèmes de santé particuliers, c'est la vie carcérale qui ne [leur] convient pas". Lorsque l'affaiblissement tourne en une situation de dépendance, l'inconfortable devient insupportable. Le docteur Laurence Laplace l'a exprimé avec force : "ne pas pouvoir se laver, manger correctement, devoir se déplacer à quatre pattes, ou être à la merci d'un autre détenu peu scrupuleux portent atteinte à la dignité de l'homme". Mais au nom de quoi de tels maintiens en détention sont-ils justifiés?

En matière de réinsertion, la vieillesse ruine l'intérêt supposé de la prison. "Si un séjour en détention peut avoir un sens, c'est bien pour préparer une autre vie à l'extérieur", explique Marie-Suzanne Pierrard, juge de l'application des peines au tribunal de Créteil. Ce que la prison offre de moins destructeur, le sport, l'enseignement, la formation professionnelle, n'a pas de sens pour une personne de 70 ans. Plus encore, , quel est l'intérêt d'une préparation à la sortie si la prison enferme jusqu'à l'approche de la mort ? Certains prétendent faire de la prison un lieu d'accueil moins inadapté aux personnes âgées, en y mettant des ascenseurs, en créant des accès aux douches qui ne nécessitent pas de franchir une marche, en aménageant les cellules pour y mettre des fauteuils roulants. Mais ce que masquent de tels cache-misère, c'est l'absence de signification d'une peine infligée à quelqu'un qui va vers la fin de sa vie.

Au fond chacun sait que les personnes âgées qui restent en prison ne doivent pas leur sort à l'espoir placé dans leur amendement mais dans la nécessité revendiquée de protéger la société. Pour la plupart, elles ont été condamnées pour des crimes, souvent à caractère sexuel (2), et les autorités ne manquent pas une occasion de manier auprès de l'opinion le spectre menaçant de la récidive. Pourtant, que montrent les recherches en la matière ? Annie Kensey, sociodémographe à la direction de l'administration pénitentiaire, a étudié le taux de récidive des personnes sorties de prison en 1982 après une condamnation à une peine de trois ans de prison ou plus (3). L'examen couvre une période de quinze ans. Parmi les personnes initialement condamnées pour un crime sexuel, 7% ont de nouveau eu affaire à la justice et, pour 2% d'entre elles, pour le même type d'infraction que celui pour lequel elles avaient été déjà été condamnés. Les personnes condamnées pour homicide volontaire ont le même taux de récidive, et 1% d'entre elles sont de nouveau condamnées pour la même infraction. Une autre étude, de la même chercheuse et de Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS, a observé sur cinq ans le parcours des personnes sorties de prison en 1997 (4). En 2002, aucune personne initialement condamnée pour homicide volontaire n'a de nouveau été condamnée à une peine de réclusion criminelle, contre 1% des personnes condamnées pour un crime sexuel. On aimerait savoir, parmi ces quelques récidivistes, quelle est la proportion de personnes ayant été libérées après 60 ou 70 ans. Il est possible, et même probable, que les chiffres soient encore plus bas. Les exceptions sont dramatiques, mais ne doivent pas être opposées à un fait incontestable : la plupart des criminels, notamment sexuels, ne récidivent pas. Prétendre que, pour la protection de la société, ils doivent tous purger des peines de plus en plus longues relève de la démagogie. 

(1) Sénat, Prisons, une humiliation pour la République, juin 2002.
(2) Au 1er juillet 2004, sur les 1406 hommes de plus de 60 ans en détention et condamnés, 905 l'avaient été pour viol et agression sexuelle, dont 828 sur mineur, et 163 pour meurtre ou assassinat.
(3) Annie Kensey, Longues peines, quinze ans après, Cahiers de démographie pénitentiaire, février 2004.
(4) Annie Kensey et Pierre Tournier, La récidive des sortants de prison, Cahiers de démographie pénitentiaire, mars 2004.


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