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La sortie de prison, "deuxième et difficile naissance" des condamnés à de longues peines

 

Par Nathalie Guibert, Le Monde 

France

3 octobre 2005    

 L'homme s'est perdu sur le trajet. Le rendez-vous était fixé dans un restaurant près de la gare de Nancy. Il l'avait presque atteint quand il est reparti en sens inverse sans s'en rendre compte. Guidé par un téléphone portable, il a fini par trouver. Après avoir garé la voiture, il a attendu seul, qu'on vienne le chercher. Douze ans de réclusion criminelle lui ont fait perdre son autonomie.
 
Comme une quarantaine de condamnés à de longues peines tout juste libérés de prison, Jean, qui requiert l'anonymat comme tous ceux dans sa situation, est accompagné par une association conventionnée par l'administration pénitentiaire : l'Association pour l'aide aux personnes en voie de réinsertion.

L'Aperi a été fondée par Jacques Lerouge, ancien condamné à mort libéré en 1985, et Carol Saint-Guilain, travailleuse sociale. "Ces gens ne retourneront pas en prison parce qu'on les a accompagnés, des années avant, pendant, et après leur sortie. Il n'y a que comme cela que ça marche" , résume Jacques Lerouge. Celui-ci fait 130 000 km par an sur les routes pour accompagner les "vieux taulards" . Un travail éreintant.

"DÉÇU PAR LES GENS"

Pour un "longue peine" , sortir est une deuxième naissance. Des études ont montré que la prison fait davantage que punir : elle déresponsabilise les individus au point de les infantiliser complètement au bout de quelques années. Il leur faut tout réapprendre : marcher sous le ciel sans être pris de vertiges, se mêler à la foule sans paniquer, s'orienter dans l'espace devenu trop grand, dépenser de l'argent, se nourrir. C'est un choc brutal, et pour beaucoup, une chute. "Certains disent que la vraie peine commence en sortant" , souligne Carol Saint-Guilain.
"C'est comme si je venais de renaître" , confie Françoise, libre depuis six mois après presque dix ans de détention. "Il est aussi difficile de sortir de prison que d'y entrer", dit Stéphanie, incarcérée alors qu'elle était étudiante, sortie sept ans plus tard. "J'ai eu des vagues d'angoisse pendant un an." La jeune femme a ainsi passé une semaine sans sortir à manger des pâtes. Elle se sentait en sécurité chez elle. "Entre mes quatre murs, avec mon pot de Ricorée, j'étais comme en cellule ."

Gérard, un ancien condamné à perpétuité, est entré en prison à 23 ans et en est sorti à 51 ans. Il en a aujourd'hui 63, et ne se remet pas. "Je pensais que j'allais trouver du boulot et une fille pour m'accompagner. Ça ne s'est pas passé comme ça." 

Dedans, "Gégé" fut bibliothécaire ; il a obtenu une maîtrise de philosophie. Dehors, il est entré en dépression et vit sous l'emprise de médicaments. "Ça a commencé au bout de même pas un an." Il avait trouvé un emploi de VRP, mais un accident de voiture l'a laissé invalide. Puis le papier de la caisse d'assurance-maladie lui signifiant qu'il avait atteint l'âge de la retraite est arrivé au courrier. "Ça fait tout drôle. Déjà !" Originaire de Nancy, le retraité y croise ses amis d'avant. "Ils sont mariés, certains ont même des petits-enfants et moi, je n'ai rien fait de ma vie." Le temps a tout pris. "Et il ne faut pas croire qu'on n'a pas de remords" , ajoute Stéphanie.

La justice n'accorde de libération conditionnelle qu'à ceux qui possèdent logement et emploi. Pour la plupart des "longues peines", abîmées, seules ou tout simplement âgées, ces conditions sont inatteignables. L'association place d'abord ces personnes en contrat emploi-solidarité (CES). Pierre, pendant ses trente-cinq ans de détention, fut un caïd, violent et manipulateur. Dehors, il s'est trouvé mêlé à des "cas sociaux" employés comme lui en CES. "J'étais déçu par les gens. On n'avait rien à échanger. J'ai eu un problème avec quelqu'un. Et au départ, je voulais régler mes problèmes comme en prison, à coups de barre de fer." 

Les "longues peines" racontent tous les mêmes histoires. Celles de détenus qui, après vingt-cinq ans, ne se souviennent plus de la raison qui les a conduits en prison, ou de voisins de cellule qui ont basculé un jour dans la folie sous leur regard impuissant. L'association s'occupe d'un homme incarcéré depuis 1964, le "successeur" de Lucien Léger dans la liste des plus longues incarcérations. L'homme ne survit plus qu'avec des piqûres d'anxiolytiques. L'Aperi accompagne aussi un détenu convaincu d'être le fils de Jésus. Celui-là a passé huit ans avec un bandeau sur les yeux en cellule.

"Ils ne sont pas dangereux, mais ces condamnés à perpét', ces enfants-zombies, qui va leur faire une prise en charge ?" s'emporte Jacques Lerouge. Les "vieux taulards" sont forcément les derniers servis pour trouver un logement social, et ils ont des besoins spécifiques, fait remarquer Carol Saint-Guilain. " Dans les cas que nous avons, la justice a atteint ses limites : on est dans la destruction " , ajoute Jacques Lerouge. "Alors, quand le parquet s'oppose à la libération conditionnelle, je réponds : si vous entendez donner un sens à la prison, il faut qu'il sorte. Ou bien il faut créer une maison de retraite pénitentiaire." 

L'Aperi travaille depuis quatre ans à l'ouverture d'un lieu d'accueil innovant dans les Vosges : un endroit conçu "pour les plus cassés" , comme un "sas" entre la prison et la société. Seuls deux projets de ce type sont dans les cartons, l'autre étant porté par la Croix-Rouge. "Pour nous, la difficulté n'est plus de sortir des gens sans risque. Le travail à mener se situe dans la société, souligne Carol Saint-Guilain. Il faut faire comprendre qu'à partir du moment où l'on a fait sa peine, on a sa place."


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