Jeunisme : la difficulté d’être vieux à Kinshasa
Par Kilosho
Barthélemy, AgoraVox
République
Démocratique du Congo
3
octobre 2006
Les appellations telles que "papa" ou "maman“, considérées
comme une forme de politesse envers les personnes âgées rencontrées en
cours de route, sont de plus en plus mal interprétées, dans une ville où
tout le monde voudrait rester éternellement jeune.
A
Kinshasa, la capitale de la RD Congo, appeler un passant tonton ou tantine
vaut mieux que papa ou maman. Ces formules de politesse sont souvent
utilisées pour interpeller un passant dont le nom vous est inconnu, pour
rendre service aussi à quelqu’un que l’on ne connaît pas, pour
s’adresser à l’aîné de la famille ou pour demander un service.
Souvent,
ces mots sont entendus, dans les lieux publics comme les transports
publics, où on s’adresse aux aînés pour céder le chemin pendant la
descente ou la montée des bus.
Dans
la ville de Kinshasa, peuplée de plus de six millions d’habitants et où
les transports publics constituent un casse-tête pour deux tiers
d’habitants de la ville, la majorité de la population utilise ce moyen
de transport pour se rendre au travail ou à l’école, et il n’est pas
toujours facile de se tailler un passage pour monter ou descendre du bus.
Il
faut parfois dire tonton ou tantine pour demander un passage à son aîné
de sexe masculin ou féminin. C’est un peu classe. Si vous osez appeler
votre aîné papa ou maman, non seulement vous risquez de ne pas avoir de
passage pour monter ou descendre et vous rendre à temps au lieu de votre
travail ou à votre école, mais aussi vous risquez de manquer votre
rendez-vous et d’être injurié.
Les
personnes âgées aiment être appelées tonton ou tantine, c’est-à-dire
Monsieur ou Madame plutôt que papa ou maman qui renvoie à celui ou à
celle qui vous a mis au monde, alors que vous ne vous connaissez pas.
"On n’appelle papa ou maman, dit-on, que celui ou celle qui t’a
mis au monde ; si je ne t’ai pas mis au monde, je ne suis pas ton papa
ou ta maman". En d’autres termes, appeler quelqu’un papa ou maman
signifie établir des limites pour certaines choses.
Parfois
vieillir est plus lié à la situation sociale qu’à l’âge d’un
individu. Il n’est pas rare de constater qu’un homme de trente ans est
appelé papa ou vieux, et qu’un Homme de cinquante-cinq, voire soixante
ans, est appelé tonton.
Vieillir
à Kinshasa est plus fonction des biens dont on dispose que de l’âge.
Alors tout le monde refuse de vieillir, ou plutôt refuse d’être appelé
papa ou maman.
A
Kinshasa, les personnes âgées ne vieillissent pas et ne doivent pas
vieillir, et tout leur est permis : elles peuvent s’offrir tout ce
qu’elles veulent puisqu’elles en ont les moyens et la possibilité.
Alors, les gens refusent ces appellations qui sous-entendent pauvreté,
marginalisation, et préfèrent tonton ou tantine, une forme de considération
dans la société kinoise.
Dans
une ville où tout le monde refuse de vieillir, et où les apparences
constituent des modèles pour beaucoup de kinois, on oublie parfois que
vieillir est un honneur et une chance, quand l’espérance de vie atteint
difficilement quarante ans.
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