L'amour au pays des vermeils
Ondine MILLOT, Liberation
France
26 septembre 2006
Sexualité. Dans les maisons de retraite, les relations amoureuses et sexuelles entre personnes âgées sont toujours taboues et parfois mal perçues. Tant par le personnel que par les familles.
La vieille dame sourit, recroquevillée sur son siège, son visage ridé penché sur le côté. «Ça ne fait pas longtemps qu'on est en ensemble... Deux ans. On est un jeune couple, en fait.» Assis à côté d'elle dans le salon aux murs pastel, un grand vieillard aux cheveux blancs. Il lui prend la main. Elle poursuit. «Depuis deux ans... Tout est différent. Tout est devenu léger.» Il acquiesce. «Avant, j'étais seul. Francine était seule. Maintenant, on se retrouve le matin et on ne se quitte plus de la journée.»
Francine et Christian habitent à la maison de retraite Hotelia, à Fréjus (Var). Parmi la centaine de résidents de cet établissement médicalisé, dont la majorité sont veufs ou célibataires, une petite dizaine de couples se sont formés ces dernières années. «Ce sont de belles histoires et pourtant, ce n'est jamais simple, résume Patrick Hureau, le directeur. Les couples se heurtent aux réticences du personnel soignant, qui trop souvent pense que l'amour et la sexualité n'ont pas leur place en maison de retraite. Et à l'opposition des familles, parfois encore plus violente.» Tabou de l'âge, réflexes de surprotection... «Les enfants ont du mal à accepter que leurs parents aient encore une vie sexuelle ou sentimentale à 80 ans, surtout s'ils ont remplacé un conjoint défunt par un nouveau partenaire, développe Béatrice Virette, la psychologue de l'établissement. Ils ont peur aussi que l'héritage leur échappe.»
«Résistances». En cet après-midi ensoleillé, les résidents d'Hotelia sont regroupés dans le hall pour la projection d'un film, suivie d'un débat. Le documentaire, Nos amours de vieillesse, donne la parole à plusieurs couples dans différents établissements pour personnes âgées, dont la résidence de Fréjus. La réalisatrice, Hélène Milano, raconte qu'elle s'est heurtée à «beaucoup de résistances» avant de trouver des endroits pour tourner. «On m'a raccroché au nez en me disant : ces choses-là, ça n'existe pas chez nous. Certaines institutions sont très méfiantes car il est arrivé que des familles portent plainte contre elles pour avoir laissé des relations se nouer.»
Gérard Ribes, psychiatre, responsable de l'unité «Psychologie de la santé et du vieillissement» à l'université de Lyon a fait le voyage à Fréjus pour participer au débat. «Pourquoi y aurait-il un monde des adultes où la sexualité serait autorisée, et un monde des âgés où elle serait interdite ?» , milite-t-il. Ce gérontologue invoque une étude américaine portant sur des hommes et femmes entre 80 et 102 ans. «Parmi eux, 63 % des hommes et 30 % des femmes avaient encore des rapports sexuels. Et 82 % des hommes et 64 % des femmes avaient des rapports de tendresse.» La sexualité, insiste-t-il, « ne s'arrête pas à un certain âge, ni à certaines pratiques génitales. C'est aussi les baisers, les caresses...»
Intimité. Dans le public, Christian et Francine se tiennent toujours la main, penchés l'un vers l'autre. «C'est sûr qu'on ne se chahute pas comme des jeunes de 20 ans, dit Christian. Mais la tendresse, ça oui.» L'établissement leur a proposé d'emménager ensemble, Christian et Francine ont préféré garder chacun leur chambre. «Je suis pour un peu de mystère dans un couple», dit Francine. A condition de bénéficier d'intimité lorsqu'ils se retrouvent. Ce qui n'est pas toujours évident lorsque l'on vit en collectivité. «Les soignants ne frappent pas toujours avant d'entrer, constate Patrick Hureau. Ou alors ils frappent, puis rentrent directement. On essaye de progresser là-dessus.»
A la maison de retraite La Roseraie, établissement public rattaché à l'hôpital de Houdan (Yvelines), une réflexion similaire est menée. «Préserver son intimité quand on n'a même pas de clef pour sa chambre, c'est loin d'être évident, reconnaît Françoise Auger, coordinatrice gérontologique. Les soignants ont tendance à laisser les portes grandes ouvertes, pour s'assurer que tout va bien lorsqu'ils passent dans le couloir.» Il y a quelques années, le personnel de La Roseraie s'était «divisé» au sujet d'un couple qui souhaitait partager une chambre. «Certains voulaient demander l'autorisation à leurs enfants, se souvient Marie-Jeanne Gros, directrice des soins. Alors qu'il s'agissait de personnes majeures et autonomes ! La question ne devrait même pas se poser.»
Là où la situation devient plus délicate, c'est lorsque l'histoire d'amour implique une ou deux personnes atteintes d'une maladie altérant ses capacités cognitives, type Alzheimer. «La difficulté est de s'assurer du libre consentement... Tout en gardant à l'esprit que la maladie n'empêche pas d'avoir droit à une vie affective et sexuelle» , explique Christian Möller, président de la Conférence nationale des directeurs d'Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). «Le problème est que les familles ont tendance à trop couver ces personnes, renchérit Claudy Jarry, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Combien de fois m'a-t-on dit : "Maman ne serait jamais allée avec ce monsieur si elle avait toute sa tête..." »
A priori. Pourtant, assure Claudine Badey-Rodriguez, psychologue dans une maison de retraite des Alpes-Maritimes, auteure de plusieurs ouvrages sur ces sujets (1), «ce n'est pas parce qu'une personne souffre d'une maladie type Alzheimer qu'elle n'a plus de désir et qu'elle subit forcément la relation». Chaque histoire est différente, insiste la psychologue, et les soignants comme les familles doivent lutter contre les a priori. Une «évolution» conditionnée à celle de la société dans son ensemble. «Le tabou est toujours fort. On accepte la sexualité des seniors fringants qu'on voit dans les pubs à la télé. Mais pas celle des personnes âgées, des corps altérés , regrette-t-elle . Le vieux monsieur qui a des envies, ça reste le vieux cochon.»
(1) Dont la Vie en maison de retraite , Albin Michel 2003.
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