Mourir de faim sur l’autel de la réduction de la dette publique
Par Michel Temman, Liberation
Japon
2 novembre 2007
«Mon ventre est vide. Je veux un bol de riz. Je n’ai pas mangé depuis vingt-cinq jours» : ainsi s’achevait, le 5 juin, le journal, révélé mi-octobre, de Hiroki Nishiyama, un homme de 52 ans, mort de faim cet été, à Kokura, une municipalité de Kitakyushu (1,4 million d’habitants), dans le sud-ouest du
Japon.
Quotas. Cet ancien chauffeur de taxi sans travail n’aura pas eu le temps, comme il le voulait, de chercher un nouvel emploi. Il est mort deux mois après qu’un des 142 fonctionnaires de la municipalité chargés des régimes de santé et de retraite, a décidé de ne plus lui verser l’aide publique de quelque 100 000 yens (650 euros) qu’il percevait depuis cinq mois. En fait, Hiroki Nishiyama a été la victime d’une politique de quotas : les avancements de ces fonctionnaires dépendent de leur zèle et de leur succès à éliminer des registres de pensions, chaque année, au moins 5 des 73 bénéficiaires dont chacun à la charge.
Réduit à la plus extrême misère et ne pouvant plus se procurer de quoi se nourrir, Hiroki Nishiyama est passé en deux mois de 68 à 54 kilos et en est mort. Dans le journal retrouvé le 10 juillet près de son corps, il avait écrit, le 25 mai : «Il est 3 heures du matin. Cet être humain n’a pas mangé depuis dix jours. Mais est toujours en vie. Je veux manger du riz. Je veux une boule de riz [vendue 60 centimes d’euro dans toute supérette nipponne, ndlr].» Dans un pays où les clochards se cachent dans les parcs pour mourir, et où l’aumône et la charité sont peu acceptées, Hiroki Nishiyama n’était pas non plus un sans-abri. Des clichés publiés par le New York Times ont dévoilé sa baraque exiguë aux murs en partie écroulés, restes de béton et de tôle rouillée, où le gaz et l’électricité avaient été coupés. Les photos montrent un taudis jouxtant des maisons traditionnelles. L’homme s’est éteint dans l’indifférence.
Contacté par téléphone, un responsable des relations publiques de la ville assurait ne pas être au courant de l’affaire. Un fonctionnaire de la division des pensions a fait la même réponse avant de préciser qu’il «ne connaissait pas le cas précis de cet homme mais qu’un appel de la municipalité les a informés de sa mort.» A Kitakyushu, ville où siègent de riches entreprises (comme le géant des toilettes high-tech Toto), c’est la troisième fois qu’un individu meurt de faim en trois ans. Erigée en «modèle»pour sa gestion des comptes publics, la ville ne manque pourtant pas de moyens. Elle a inauguré un aéroport bâti sur la mer en mars 2006.
Cette affaire n’aurait jamais défrayé la chronique si la victime n’avait pas relaté son agonie dans un journal. Symptomatique des lacunes du système nippon de protection sociale, elle n’a pas pour autant suscité de vrai débat. Depuis 2003, des préfectures et collectivités nippones sont prêtes à tout pour rogner sur les systèmes de santé et de retraite d’anciens actifs au chômage, de préretraités et cinquantenaires licenciés sur le tas ou tombés malades, et qui ne furent pas forcément de bons cotisants. En privant ainsi d’une ville à l’autre, des milliers d’individus de l’aide publique, les autorités japonaises espèrent réduire la dette abyssale de leur pays, l’Etat industrialisé le plus endetté du monde (160 % de son PIB selon l’OCDE). Plombée par de lourds déficits budgétaires, sa dette publique atteindra 4 600 milliards d’euros en mars
2008.
Inégalités. C’est un des paradoxes de la deuxième économie mondiale. «Le Japon abrite de nos jours 19,5 millions de pauvres et nouveaux pauvres», rappelle Toshiaki Tachibanaki, un sociologue qui analyse depuis vingt ans la montée des inégalités dans l’archipel. Coïncidence, le 29 novembre, Tokyo s’apprête à accueillir une conférence organisée avec la Banque mondiale, sobrement intitulée : «Réduction de la pauvreté et stratégies de développement dans les pays à faibles revenus».
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