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Le bonheur des sexagénaires, au risque de l'"inéquité"

 

Par Anne Chemin, Le Monde

 

29 Novembre 2008

 

France

 

Les sexagénaires seraient-ils les bienheureux de notre société ? Une étude récemment publiée par l'Insee pourrait le laisser croire : après avoir analysé les enquêtes Eurobaromètre depuis 1975, Cédric Afsa et Vincent Marcus constatent qu'en France, la courbe du bonheur atteint son zénith entre 65 et 70 ans. "Le sentiment de bien-être commence par décliner jusqu'à la quarantaine environ pour amorcer ensuite une nette remontée conduisant à son apogée au cours de la soixantaine", résument-ils. 


Cette courbe ne semble pas affectée par le contexte historique : elle adopte la même allure pour toutes les classes d'âge, qu'elles aient grandi pendant les trente glorieuses ou lors de la crise pétrolière des années 1970. "Il ne semble pas y avoir d'effet de génération marqué", constate l'Insee. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le bien-être semble en outre peu influencé par la situation conjugale ou le niveau de revenus, comme si l'âge suffisait à garantir une certaine sérénité face aux vicissitudes de la vie.


Quelques jours plus tard, le Conseil des prélèvements obligatoires, présidé par Philippe Séguin, constatait, lui aussi, que les générations les plus âgées jouissaient d'un statut - objectivement cette fois - favorable. "Le niveau de patrimoine des plus de 50 ans excède de plus de 50 % le patrimoine moyen, leur revenu disponible net excède de plus de 15 % le revenu moyen", constatait le rapport.


En novembre, le portrait social de l'Insee arrivait aux mêmes conclusions : grâce aux revenus du patrimoine, le niveau de vie moyen des retraités est aujourd'hui proche de celui des actifs.


L'aisance des personnes âgées est renforcée par le système des prélèvements obligatoires français. "Ils opèrent un transfert instantané en faveur des plus de 60 ans", constate le Conseil. Ce phénomène s'explique par deux raisons : les prélèvements sur la consommation avantagent les plus de 65 ans, qui achètent souvent des produits faiblement taxés, comme les médicaments ou les livres ; et le taux d'imposition sur le revenu est moins élevé dans cette classe d'âge, notamment en raison de la faiblesse de la CSG sur les pensions de retraite.


Le financement de la Sécurité sociale, lui aussi, pèse moins sur les personnes âgées que sur leur descendance : selon le Conseil, les plus de 65 ans bénéficient largement des prestations vieillesse et maladie alors qu'ils contribuent peu à la CRDS, qui permet de rembourser la dette sociale. Ils sont également les grands bénéficiaires du système de retraite par répartition : les premières générations ont eu droit à un "repas gratuit" en accédant aux pensions alors qu'elles avaient cotisé tardivement, mais, surtout, elles ont contribué moins lourdement que leurs enfants.


Ce déséquilibre est en partie compensé par l'entraide familiale, qui permet de donner un coup de main aux générations montantes : beaucoup de personnes âgées aident leurs enfants devenus étudiants ou effectuent des donations. "Cependant, ces transmissions de patrimoine ne représentent chaque année qu'un peu plus de 1 % du patrimoine total et entre 10 % et 15 % des revenus des ménages, note le Conseil. De plus, ces transferts intrafamiliaux conduisent à accentuer les inégalités de patrimoine au sein même d'une génération et maintiennent, voire aggravent les inégalités."


Ces quelques chiffres semblent dessiner, pour les plus de 65 ans, un paysage suffisamment enviable pour que le Conseil des prélèvements obligatoires évoque la possibilité d'un "sentiment d'"inéquité" intergénérationnelle". "Au total, l'analyse des systèmes de retraite, de Sécurité sociale comme des transferts opérés par les prélèvements obligatoires mettent en évidence un transfert public en faveur des plus de 65 ans", constate le rapport. Mais ces moyennes masquent des situations contrastées : certains retraités - les plus âgés et les femmes - sont aujourd'hui en situation difficile.


Les différences de niveaux de vie sont en effet plus marquées chez les retraités qu'au sein des générations en âge de travailler : alors que le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres dépasse à peine 3 chez les actifs occupés, il atteint 3,25 chez les retraités, où l'échelle de revenus est plus ample. Selon le portrait social de l'Insee, les 10 % des retraités les plus modestes ont ainsi un niveau de vie inférieur à 888 euros par mois, ce qui les place à peine au-dessus du seuil de pauvreté (880 euros).


Ces difficultés se sont atténuées au cours des vingt dernières années mais elles touchent encore beaucoup de femmes. Carrières professionnelles incomplètes liées à la naissance des enfants, travail à temps partiel, persistance des inégalités salariales : selon la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, le montant moyen des retraites féminines était, en 2004, de 38 % inférieur à celles des hommes. Ces inégalités se réduisent peu à peu mais elles restent marquées. "Pour les générations actuellement actives, le temps de travail sur l'ensemble de la carrière est 1,7 fois plus élevé pour les hommes que pour les femmes", regrette la délégation.
 


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