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Au 39 77, à l'écoute de la misère des anciens 

par Colette David, ouest-france.fr

France

Juin 16, 2008


Au 39 77, à l'écoute de la misère des anciens 

Violences physiques ou verbales, petites humiliations quotidiennes. Au 39 77, parviennent les appels au secours des personnes âgées maltraitées.

Une petite pièce aux murs placardés d'affiches. Les deux fenêtres ouvrent sur le joli jardin de l'hôpital Paul-Brousse, à Villejuif (au sud de Paris). Deux femmes et un homme - des psychologues cliniciens formés à l'entretien - sont rivés à leur téléphone. Sur leur table, un cahier et un ordinateur. Pour tenir la distance, des biscuits, des bonbons, une bouteille d'eau... C'est un après-midi au 39 77, la plate-forme d'écoute des maltraitances infligées aux personnes âgées et aux adultes handicapés (lire ci-dessous).

Sonnerie. Clémentine Binet décroche. Tout en écoutant, elle prend des notes, puis intervient : « Vous dites que votre mari vous tape ? Pourriez-vous changer de pièce, qu'on puisse parler ? Vous ne pouvez pas ?... » 

Nouvelle sonnerie. C'est Mathilde Nicolaï qui répond. Elle laisse parler puis, très calme : « Vous avez l'impression qu'elle n'est pas bien traitée, qu'on lui soutire de l'argent ? C'est inquiétant... »

Qui appelle le 39 77 ? 30 % des interlocuteurs sont les personnes âgées elles-mêmes. Le reste des appels provient de l'entourage (souvent les filles ou les belles-filles), loin devant les services sociaux et les voisins.

L'argent, la place dans la fratrie

Ce que l'on entend le plus, ce sont des histoires de famille qui tournent, beaucoup, autour de l'argent. C'est le vieux père, veuf - « À cet âge, on n'a plus besoin d'autant de place » - qu'on veut déménager en appartement ou en maison de retraite, afin de récupérer sa maison... C'est l'aînée qui a été « alertée » par son expert-comptable de mari : « Ta soeur te pique de l'argent. » La cadette s'occupe de la vieille mère et l'incite « à claquer tout son fric : fais-toi plaisir, va chez le coiffeur, au restaurant ! » L'aînée dit que l'argent file. Il faudrait peut-être placer la mère sous tutelle ?... Ce sont les enfants, inquiets des cadeaux offerts par leur père à une femme de ménage, à une nouvelle compagne...

Les abus manifestes, les vols, les spoliations existent. Les insultes, les bourrades et les coups aussi. Sans oublier le chantage : si la personne âgée n'est pas « gentille » ou « généreuse », on ne lui donnera plus ses cachets ; elle ne pourra plus voir ses amis, ses petits-enfants...

Ce qui est en jeu, souvent, c'est la place dans la fratrie, la jalousie, la cupidité, la revanche sournoise face à un parent aujourd'hui fragile, mais qui fut sévère, tyrannique. Et l'angoisse concernant son état mental : il perd la tête, il « fait » un Alzheimer ? « Cette incertitude peut être dévastatrice », analyse Sandra Sapio, la psychologue qui coordonne le travail de la cellule d'écoute. « Les enfants sont excédés, épuisés, paniqués. Ils deviennent agressifs. Ils houspillent : 'Tu deviens complètement gaga !', 'Mais enfin, je te l'ai déjà dit hier ! ', 'Fais un peu attention ! '. Quand le diagnostic est enfin posé et la maladie clairement déterminée, la plupart d'entre eux basculent de la souffrance à un apaisement relatif. »

« Ils lui ont mis des couches ! »

L'autre grand sujet évoqué au « 39 77 » concerne la situation des personnes âgées à l'hôpital, en maison de retraite, en foyer. Les appels disent l'humiliation de ces vieux qui n'étaient pas incontinents et qui le sont vite devenus parce qu'on leur a imposé des protections hygiéniques. Pourquoi on leur met des couches ? Parce que le personnel, peu nombreux, est débordé. « C'est la raison invoquée. En réalité, souvent, c'est moins un problème d'effectif que d'encadrement attentif et de bonne organisation dans le service », souligne Sandra Sapio.

Nombre de personnes âgées se plaignent du plateau-repas, des lunettes, ou de la télécommande télé laissés hors de portée. Du « gavage » à la cuillère pour aller plus vite. Des courses avec les fauteuils roulants qu'organisent des soignants dans les couloirs. Des réveils trop matinaux. Des gens qui entrent sans frapper. Des moqueries, voire du dégoût, quand se nouent des histoires d'amour. De l'impossibilité d'être seul ou à deux, agréablement. Des enfants qui ne viennent jamais. Des enfants qui viennent et veulent tout régenter en imposant leurs propres goûts et besoins.

Tout cela est déversé au 39 77. Parfois, une conversation suffit pour régler un problème, apaiser un doute. Parfois non : alors, les antennes départementales prennent le relais. « Ce qui me frappe depuis que je travaille ici, confie Guenaël Gouez, le troisième « écoutant », c'est l'isolement des personnes âgées. La perte de respect pour les anciens. Et la notion de famille, aujourd'hui réduite aux seuls parents et enfants. »


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