Kasaï occidental : des vieillards emprisonnés pour prétendue sorcellerie
Par Francis Kalonga, www.syfia-grands-lacs.info
27 Août 2009
République
Démocratique du Congo
"Ils disent que je suis sorcier, et que c’est moi qui suis responsable de l’accident de train qui a coûté la vie à mon neveu", confie Mingashanga Ngolo, 69 ans, condamné depuis 2005 par les autorités traditionnelles à passer le reste de ses jours dans la prison pour sorciers, au centre de Mushenge, une localité du territoire de Mweka, à environ 300 km au nord de Kananga, chef- lieu de la province du Kasaï Occidental.
Depuis 2006, 120 vieillards, femmes et hommes, sont incarcérés dans ce bâtiment où ils subissent des tortures physiques et morales perpétrées par la garde rapprochée du chef Nyimi, le roi du peuple Kuba qui a lui-même créé cette prison dans cette partie du pays. "Ils peuvent nous tuer ici, chaque jour ils ne cessent de nous répéter que nous sommes sorciers, et que nous devons travailler sans pitié", témoigne Shamakwete, l’une des plus anciennes détenues.
Avant d’être jeté en prison, le vieillard est mis à la disposition du village et chacun lui inflige une sanction au choix : gifle, coups et même
blessures. Ensuite, il part en prison sous prétexte de le protéger contre la colère du village, qui risquerait de le tuer, comme cela se faisait dans le temps, explique Minga, un membre de la famille royale.
Travail et chicotte
La vie dans le milieu carcéral est dure. Les contacts avec l’extérieur sont interdits aux vieillards dits sorciers. Selon les gardiens, eux-mêmes risquent d’être condamnés pour trahison en cas d’évasion d’un prisonnier. Ils devraient alors prendre la place de celui-ci. "Pas de visites. En cas de fuite, nous risquons notre propre vie", s’exclame un greffier près la prison de Mushenge, qui a requis l’anonymat. "La maison carcérale située en face du siège administratif de l’Etat est ceinturée depuis 2008 d’un enclos en pisées et en bambous de Chine.
C’’est une façon de limiter la curiosité des passants", affirme un témoin.
Les vieillards en détention perdent presque tous leurs droits, y compris aux soins de santé. ″Ils font semblant d’être malades, mais quand on prend le fouet, tout le monde est debout″, confie un gardien. Chacun doit, à chaque saison, cultiver un champ de maïs d’au moins un hectare. D’autres travaux sont aussi imposés, tels que fabriquer un à dix grands et luxueux tapis en raphia appelés dishanga, en langue locale kuba. Mboma, une prisonnière, en témoigne : ″aller au champ et fabriquer des tapis est obligatoire pour tout le monde, même quand on a des douleurs″, s’inquiète-t-elle. Les moins actifs s’exposent à la chicotte administrée par les gardes. Malheureusement pour eux, les vieillards prisonniers ne profitent pas de revenus de leurs travaux. Tapis et maïs sont remis aux cousins, oncles et autres proches de la famille régnante qui, au nom du roi Nyimi de Bakuba, en font ce qu’ils veulent : les vendre à Kananga, à Lubumbashi ou ailleurs, ou les donner en cadeau aux connaissances et amis, localement ou à l’étranger. ″Cela fait partie de leur peine, il n’y a pas à discuter″, ajoute le garde.
Loi du silence
Le combat pour le respect des droits des personnes du troisième âge que l’on accuse de sorcellerie dans cette partie de la province du Kasaï Occidental n’a pas encore commencé. Nombre des ressortissants du territoire de Mweka considèrent que les personnes extérieures qui tentent d’aborder la question de la prison des sorciers à Mushenge exagèrent. Bope Mingambengele, enseignant et chercheur dans divers établissements supérieurs et universitaires de la ville de Kananga, et qui est en même temps l’un des intellectuels issus de cette contrée, le confirme : ″Il ne faut pas dramatiser cette situation. C’est juste une sanction coutumière contre les membres de la communauté qui ont abusivement usé de la sorcellerie pour nuire. Les gens ne peuvent pas accepter que les vieillards censés protéger la communauté se mettent à la détruire. Il faut sanctionner les déviants.″
L’information sur l’incarcération des vieux dits sorciers à Mweka circule dès lors timidement. Ni les organisations de défense des droits de l’homme ni les structures n’en parlent à haute voix. Seuls quelques journalistes et commerçants curieux passés par Mushenge en discutent entre eux. Le même mutisme est observé du coté du gouvernement comme du parlement ouest-kasaïen. Les élus des circonscriptions du territoire de Mweka n’en ont jamais fait mention dans l’un de leurs rapports des vacances parlementaires.
De longues et discrètes démarches menées conjointement par des familles et quelques activistes des droits de l’homme permettent cependant d’envisager la libération prochaine de quelques-uns de ces
prisonniers.
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