Le discret enterrement de la réforme de la dépendance
Par Samuel Laurent, LeMonde.fr
5 Septembre 2011
France
Sans fleurs ni
couronnes. Après François Fillon, le 24 août, la
ministre des solidarités, Roselyne Bachelot, a confirmé
à la presse un nouveau report, qui sonne comme un abandon, de la
réforme de la dépendance. Il n'y aura "aucune mesure
financière supplémentaire" pour les personnes
âgées dépendantes dans le projet de loi de finances
2011, a déclaré la ministre dans Libération,
vendredi 2 septembre.
"Créer
des prestations nouvelles, c'était assez inconséquent"
compte tenu de "la crise financière mondiale que nous
rencontrons", a assuré la ministre. Tout en promettant : "Cette
réforme viendra, je le redis : elle n'est pas annulée,
elle est reportée." Officiellement, un nouveau rendez-vous sera
proposé au printemps.
UN
CHANTIER SANS CESSE REPORTÉ
Mais
la date, à quelques semaines de l'échéance
présidentielle, ne laisse que peu d'illusions aux professionnels
du secteur : sans cesse reportée depuis 2007, la réforme
de la dépendance, qui devait être l'un des grands
chantiers du quinquennat, n'aura pas lieu.
Le
8 février 2011 encore, alors qu'il lançait le "grand
débat national" sur la question, Nicolas Sarkozy avait pourtant
promis : "Ce débat je l'ai souhaité, je l'ai voulu
malgré (...) les mises en garde de ceux, si nombreux, qui le
trouvaient trop risqué au regard des enjeux et des
échéances électorales. Une fois de plus, il aurait
donc fallu attendre… Mais attendre quoi ? (...) L'ampleur de ce
défi nous la mesurons tous, nous savons tous quelle est sa
gravité, l'urgence qu'il y a à nous donner les moyens d'y
répondre." La crise et les nécessités de la
rigueur ont mis fin à ce volontarisme.
La
réforme était souhaitée depuis plusieurs
années par les professionnels de santé pour pallier un
manque. On comptait en effet, en 2009, 1,117 million de personnes de
plus de 60 ans qui touchaient l'allocation personnalisée
d'autonomie (APA), un chiffre en hausse constante depuis la
création de cette aide, en 2005. Quant au coût de la prise
en charge de la dépendance, il a atteint, en 2010, 22 milliards
d'euros, selon le premier ministre.
"METTRE
EN PLACE LE 'CINQUIÈME RISQUE' EN 2009"
La
prise en charge de la dépendance était l'une des mesures
phares du programme de M. Sarkozy en 2007. "Je créerai une
cinquième branche de la sécurité sociale pour
consacrer suffisamment de moyens à la perte d'autonomie",
promettait le candidat. Il assurait par ailleurs souhaiter que "le
droit à la prise en charge de la dépendance devienne
opposable au bout de cinq ans pour qu'enfin l'effort de la nation en
faveur des personnes âgées soit à la hauteur des
enjeux".
Dès
son élection, Nicolas Sarkozy revient sur cette promesse,
assurant le 9 juin 2007 : "Je veux que la France soit un modèle
dans la prise en charge de toutes les personnes dépendantes." Il
répète son engagement à la rentrée 2007 :
"Le dispositif de prise en charge du risque de dépendance, le
'cinquième risque', sur lequel je me suis engagé,
apportera des solutions générales pour l'ensemble des
personnes en perte d'autonomie."
Fin
2007, une mission d'information sur l'APA est lancée à
l'Assemblée. Xavier Bertrand, alors ministre de la santé,
promet une loi issue de ses réflexions, avant
l'été 2008. Le chantier est vaste : faut-il financer la
dépendance par une nouvelle journée de solidarité
? Obliger à souscrire à une assurance dépendance
publique ou privée ? Prendre en compte le patrimoine des
bénéficiaires des aides ? Autant de questions rapidement…
repoussées.
En
février 2008, alors qu'il annonce une prime pour les
bénéficiaires du minimum vieillesse, Nicolas Sarkozy
évoque lui-même un report de la loi, réaffirmant
son "ambition de mettre en place le cinquième risque de
protection sociale en 2009". Le projet de loi est attendu pour
début 2009.
Mais
la crise financière de l'automne 2008 bouleverse les
priorités du quinquennat. Et le "cinquième pilier" est de
nouveau repoussé. Le ministre du travail, Brice Hortefeux,
à qui échoit ce chantier, annonce désormais un
texte à la rentrée 2009, voire à l'automne.
"CE
PROBLÈME SERA RÉSOLU DANS L'ANNÉE 2011"
Au
printemps, nouveau report : Valérie Létard,
secrétaire d'Etat à la solidarité, déclare
le 28 mai 2009 qu'elle espère "qu'un texte pourra être
présenté à l'ordre du jour du Parlement au premier
semestre 2010". Nicolas Sarkozy évoque le sujet en juin, lors du
Congrès de la mutualité française, mais de
façon vague, se contentant de souhaiter que "la prise en charge
de la dépendance des personnes âgées et des
personnes handicapées" soit "organisée autour d'un projet
individuel fondé sur la recherche d'une plus grande autonomie".
A
la rentrée, toujours pas de loi. Nicolas Sarkozy évoque
à nouveau le chantier de la dépendance lors de ses vœux
aux Français, le 31 décembre 2009. "En 2010, il va nous
falloir (...) relever le défi de la dépendance, qui sera
dans les décennies à venir l'un des problèmes les
plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées",
promet le chef de l'Etat.
Une
promesse qui ne se traduit que par peu de concret jusqu'à
l'été. L'exécutif a lancé la réforme
des retraites, qui doit être votée à l'automne
2010. Et Nicolas Sarkozy promet, lors d'une interview le 12 juillet,
sur France 2 : "Nous organiserons le financement de la
dépendance (…) ce problème sera résolu dans
l'année 2011." La députée UMP Valérie
Rosso-Debord rend le lendemain son rapport sur les pistes de
financement de la réforme. Il n'aborde pas la création du
"cinquième risque", sinon pour faire le constat que la
création d'un nouvel organisme de solidarité semble
irréaliste en temps de crise.
Nicolas
Sarkozy n'en oublie pas moins de revenir sur la dépendance. Lors
d'une intervention télévisée à la fin de
mobilisation contre le projet de loi sur les retraites, le 15 octobre,
le chef de l'Etat assure à nouveau qu'il "souhaite la
création (...) d'un nouveau risque, d'une nouvelle branche de la
Sécurité sociale, le cinquième risque (..) Nous
prendrons les décisions à l'été 2011,
à la suite de ce grand débat".
"TRAITER
CE DOSSIER... NE SERAIT PAS RESPONSABLE"
Une
promesse répétée, le 10 février 2011, lors
de l'émission "Paroles de Français", sur TF1. Nicolas
Sarkozy assure une nouvelle fois : "C'est un engagement : après
avoir réformé les retraites et garanti le revenu des
retraités, je souhaite que nous réformions la
dépendance." Le chef de l'Etat annonce : "Nous allons organiser
une grande consultation qui va durer six mois", à l'issue de
laquelle "nous déciderons cet été de la
création d'une cinquième protection aux
côtés de la maladie, de la retraite, de la famille, des
accidents du travail, qui sont les branches traditionnelles de la
Sécurité sociale".
Mais
quelques jours plus tard, l'Elysée fait un discret rectificatif
auprès des journalistes spécialisés : le chef de
l'Etat aurait surtout voulu insister sur la mise en place de mesures
sur la dépendance, mais pas sur une nouvelle branche de la
Sécurité sociale. Cette piste, qui fut pourtant brandie
durant la campagne de 2007, n'est plus d'actualité face à
la crise des déficits.
La
consultation n'en a pas moins lieu, sous l'égide de Roselyne
Bachelot. Des débats sont organisés en France, qui
réunissent divers acteurs : départements, maisons de
retraite, professionnels de la santé... Cœur de la question, le
financement fait l'objet de plusieurs hypothèses : hausse de
CSG, hausse des cotisations, TVA sociale… Aucune ne fait consensus,
à quelques mois de l'échéance
présidentielle. La ministre annonce pourtant que les conclusions
de ces consultations seront rendues publiques en septembre.
Mais,
le 24 août, François Fillon sonne le glas de cette
hypothèse. Face à la nécessité de la
rigueur budgétaire, le chantier de la réforme est une
nouvelle fois repoussé, cette fois à début 2012.
"Traiter ce dossier dans le contexte économique et financier que
nous connaissons aujourd'hui, dans l'urgence, ne serait pas
responsable", assure le premier ministre. Un enterrement discret pour
une promesse de campagne qui n'aura jamais vu le jour.
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