Pour rompre avec l'isolement, faire face
à la hausse des loyers ou éviter
la maison de retraite, des seniors optent pour
la colocation, une nouvelle forme d'habitat
promise à un bel avenir pour cette
classe d'âge, mais qui reste encore
marginale en France.
Illustré par le film de
Stéphane Robelin, "Et si on vivait tous
ensemble'", qui sort mercredi et met en
scène une bande de
septuagénaires décidant
d'habiter sous un même toit, ce mode de
vie a déjà séduit une
poignée de personnes âgées
dans l'Hexagone.
A Nanterre, ils sont cinq à partager
une grande maison de 250 m2, avec sept
chambres et deux salles de bain: un homme et
quatre femmes. Yves Dumas, 64 ans, l'a
achetée pour réaliser ce projet
de vie commune. "Je n'avais pas envie de
rester seul", raconte-t-il.
Quinze mois après
l'emménagement, les colocataires, qui
ont surmonté "des débuts un peu
difficiles", apprécient
d'évoluer dans une "maison vivante", et
reconnaissent que le secret d'une colocation
réussie passe par un peu de diplomatie
et de concessions. "Il faut s'habituer
à ne pas parler fort dans le
séjour ou à
téléphoner dans des espaces
privés", souligne Charlette, 75 ans.
Ils se sont rencontrés via
l'association "cocon 3S", créée
en 2003 après la canicule par
Christiane Baumelle, une psycho-sociologue
aujourd'hui à la retraite.
"J'ai été sidérée
de voir autant de personnes seules dont
personne ne se souciait", raconte-t-elle.
Alors que le concept existait
déjà au Benelux ou en Allemagne,
lorsque son projet de colocation pour seniors
voit le jour, elle a le sentiment d'être
une "zombie" en France.
"Tout est parti du sentiment que dans un
groupe se crée naturellement de la
solidarité", explique-t-elle.
Sept "cocons" regroupant une trentaine de
personnes existent désormais en France,
et une douzaine "sont en gestation".
Ce mode de vie est une réponse "aux
petites retraites", explique Christiane
Baumelle, car il permet de diviser les
coûts d'habitation, mais reste avant
tout "un remède pour toutes les
personnes âgées qui ont du mal
à dormir parce qu'elles sont seules".
Jean-Marie Jarnac, 68 ans, qui partage une
maison avec deux femmes retraitées
près de Lourdes, assure qu'avant cette
cohabitation, la "solitude ne (lui) pesait pas
du tout".
"Je la vois plutôt comme une
alternative à la maison de retraite",
affirme-t-il.
Si dans la maison de Nanterre, les
colocataires ont chacun "leurs
étagères dans le frigo", chez
lui "on partage tout: le loyer, la nourriture,
les frais d'entretien". "On a même un
compte commun !", raconte M. Jarnac.
Malgré ces différences, les
colocataires mettent tous en avant
l'indispensable "respect" des autres ou "des
valeurs de vie commune".
Pour Pierre Lelal, fondateur en 2009 du site
internet "colocation 40 ans et plus",
"beaucoup de seniors ont envie de vivre
à plusieurs et entrent en relation sur
internet, mais peu franchissent encore le pas,
car il n'est pas si évident,
après 60 ans, de quitter son domicile".
Pourtant, il reste convaincu qu'il s'agit
d'"une solution d'avenir", notamment dans un
contexte de crise économique, avec des
risques de paupérisation.
C'est aussi le sentiment du sociologue Serge
Guérin, spécialiste des
questions liées au vieillissement de la
société. "Aujourd'hui, la
cohabitation des seniors reste en France un
phénomène relativement exotique,
très minoritaire", dit-il.
Mais, estime-t-il, entre les deux logiques
privilégiées jusqu'ici, qui sont
le maintien à domicile ou bien dans des
maisons de retraite
hypermédicalisées, "toutes les
bonnes solutions intermédiaires
émergeant ont toutes les chances de se
développer".