Petr Placák, poète et
historien, est une figure importante de la
dissidence et de l’underground tchèque
sous le régime communiste. Fils de
signataire de la Charte 77, il est
clarinettiste, dans les années 1980, de
l’emblématique groupe de rock The
Plastic People of the Universe, et auteur de
plusieurs textes publiés en samizdat.
Il dirige depuis le milieu des années
1990 la revue Babylon.
« Babylon est une revue sociale et
culturelle qui existe à Prague depuis
1992. Avec mes amis, nous nous en occupons
depuis 1995. Avant nous, la revue était
faite par des étudiants. Elle est
distribuée dans les écoles
supérieures, donc nous essayons de
faire un peu de diversion idéologique.
Cela veut dire que nous essayons de
démolir les idées
stéréotypées que produit
la machinerie éducative de l’Etat. Le
sous-titre de la revue est ‘bulletin
étudiant pour les seniors’ parce que
nous nous sommes rendu compte que les
étudiants prennent le journal pour le
donner à leurs grands-parents, ce qui
nous a supris et nous a paru très
mignon. Nous faisons ce journal comme nous
l’aimons, en nous moquant de la politique, du
milieu académique, et de la
société tchèque en
général. »
Babylon n’est pas pour autant un journal
humoristique, qu’il s’agisse du contenu,
plutôt littéraire, ou des
contributeurs, qui sont parfois des plumes
reconnues du monde culturel tchèque,
souvent issues de la dissidence
tchèque, même si Petr
Placák s’en défend :
« Nous nous consacrons beaucoup
à la littérature, et à la
culture en général, de l’Europe
centrale ; nous nous intéressons
beaucoup à la Pologne, puis à la
Slovaquie et la Hongrie. Nous écrivons
aussi beaucoup sur la Russie, l’Espagne et la
France. C’est parce que la composition de la
rédaction est dominée par des
hispanisants, des romanisants et des
russisants. Cela ne ressort d’aucune intention
particulière, mais reflète ce
que les membres de la rédaction ont
étudié ou ce à quoi ils
s’intéressent. C’est moi qui suis
lié à la dissidence parce que je
suis le plus vieux et j’ai un peu vécu
l’époque précédente. Mais
mes collègues étaient encore
à l’école primaire à
l’époque du communisme. Mais il est
vrai que certains enfants de dissidents
écrivent dans Babylon, comme Honza
Machonin, fils du célèbre
traducteur Sergej Machonin. »
Petr Placák oublie de mentionner
néanmoins les contributions
régulières de Petruška
Šustrová, ancienne signataire et
porte-parole de la Charte 77, ou encore,
jusqu’à son décès
l’année dernière, celles du
philosophe Zdeněk Vašíček. Le dernier
numéro est d’ailleurs consacré
à une autre grande figure de la
dissidence tchèque,
décédé en novembre
dernier, Ivan Martin Jirous, tout aussi connu
sous le surnom Magor, soit le dingue ou le
barjo.
« Tout le dernier numéro est
dédié à Magor, parce
qu’il était d’une part aussi
monarchiste, mais il était surtout le
gourou de l’underground qui nous a un peu
rassemblés. Il était un ami.
Puis lorsque tout le numéro
était prêt à être
imprimé, Havel est mort, et donc nous
avons ajouté, au dernier moment,
quelques lignes sur Havel. »
Jirous monarchiste ? Il était
effectivement un manifestant actif de la
traditionelle marche pour la Monarchie
organisée par Petr Placák et les
membres de la rédaction de Babylon.
« Chaque année, la
rédaction de Babylon organise une
marche pour la Monarchie. Ses origines
remontent à l’époque du
communisme. Nous avions réfléchi
à ce qui pourrait être de plus
distant et plus étranger pour les
communistes, donc ce qui pourrait le plus les
agacer ou les excéder. Nous avons
pensé au royaume de Bohême, et
nous avons écrit une sorte de manifeste
où nous avons déclaré la
renaissance du royaume de Bohême. Nous
menons donc ces marches chaque année
à l’Epiphanie. Nous défilons,
avec de la musique et des drapeaux, de la
place Venceslas jusqu’au château et nous
lisons une déclaration qui proclame que
le château est à nous. Mais nous
ne sommes pas arrogants et nous disons que
nous le prêtons gratuitement pour
l’année qui vient. Une fois, un groupe
français a joué avec nous. D’un
seul coup ils se sont rendu compte que
j’étais monarchiste et ils ont
refusé de continuer à
défiler. Nous avons beaucoup
rigolé. C’étaient de jeunes gens
d’une vingtaine d’années, plus ou moins
des punks, et ils étaient
sérieusement républicains.
Finalement, ils ont écrit sur leur
tambours ‘nous sommes républicains’ et
ils ont été capables de
continuer. »
La rédaction de Babylon ne manque donc
pas d’humour et de dérision, et c’est
dans la même atmosphère que se
préparent les numéros du
périodique. Petr Placák :
« C’est assez sauvage ou anarchique. Les
conférences de rédaction ont
lieu le plus souvent dans une taverne. Nous
avons d’ailleurs notre propre taverne, qui est
une sorte de baraque en bois sur l’île
de Libeň, dans le nord de Prague, qui
resssemble au Far-West au siècle
passé. C’est un lieu formidable, encore
négligé par les promoteurs, en
espérant que cela dure encore quelques
années. C’est donc là que se
tiennent nos conférences de
rédaction, où nous parlons de
tout… sauf de Babylon. A la place nous nous
disputons au sujet de la politique ou de la
culture. Le numéro est
préparé peu de temps avant de
partir pour l’imprimerie et je suis toujours
à bout de nerfs pour
récupérer les textes à
temps et tout se fait au dernier moment.
»
La revue Babylon est disponible gratuitement
sur divers sites universitaires de la capitale
tchèque, et les anciens numéros
sont téléchargeables sur le site
du journal, www.ibabylon.cz. Revue mensuelle,
Babylon est actuellement obligé de
ralentir son rythme de publication pour passer
sans doute à un statut de trismestriel,
faute de financement. Le prochain
numéro qui va paraître ce
mois-ci, proposera de s’intéresser,
entre autre, aux évènements qui
ont eu lieu en Russie ces derniers mois, ou
encore à l’auteur français
Louis-Ferdinand Céline.