Début
2002, le Parlement belge a adopté une
série de « lois relatives
à la fin de vie » . En plus d’une
« loi sur les droits du patient »
– permettant notamment de refuser
l’acharnement thérapeutique – et d’une
autre sur les soins palliatifs,
députés et sénateurs ont
voté cette année-là la
loi sur l’euthanasie, en dépit de
l’opposition, réitérée,
de la Conférence des
évêques de Belgique notamment.
Comme le souligne le professeur Étienne
Montero, doyen de la faculté de droit
de Namur et président de l’Institut
européen de bioéthique, «
les législateurs avaient alors trois
objectifs majeurs en tête : sortir
l’euthanasie de la clandestinité,
garantir qu’un médecin la pratique, et
garantir le respect de la volonté du
patient » .
Au terme de plusieurs années de
débats, des balises avaient donc
été placées : un texte
n’ouvrant pas un « droit à
l’euthanasie » mais « un droit
à la demande d’euthanasie » et
une dépénalisation concernant un
geste pratiqué uniquement par un
médecin, après avis d’un
confrère indépendant, sur un
patient majeur ou mineur
émancipé, conscient, se trouvant
dans une situation médicale sans issue,
faite de « souffrances physiques ou
psychiques constantes, insupportables et
inapaisables », ou sur un patient
irréversiblement inconscient, mais
ayant rédigé une «
déclaration anticipée »
depuis moins de cinq ans.
La loi a mis également en place une
commission fédérale de
contrôle et d’évaluation
chargée de vérifier, sur la base
des déclarations obligatoires des
médecins, la conformité des
procédures suivies et, en cas
d’irrégularité, de demander des
précisions, voire de transmettre le
dossier à la justice.
80 % DES CAS
EN FLANDRE
Dix ans plus tard, les statistiques concernant
les déclarations qui sont parvenues
à la commission font état d’une
progression régulière du nombre
d’actes. Le cap des 1 000 cas annuels a
été franchi l’an dernier : 1 133
cas enregistrés, soit 1 % du total des
décès en Belgique en 2011.
Les déclarations,
rédigées en néerlandais
dans plus de 80 % des cas, montrent que
l’euthanasie est surtout pratiquée en
Flandre. Mais certaines zones d’ombre
subsistent : en dix ans, la commission de
contrôle n’a pas transmis un seul
dossier au parquet et elle précise,
dans ses rapports réguliers aux
chambres législatives, qu’elle «
n’a pas la possibilité d’évaluer
la proportion du nombre d’euthanasies
déclarées par rapport au nombre
d’euthanasies réellement
pratiquées » .
Le professeur Montero y voit la preuve que
l’euthanasie n’est pas sous contrôle :
« La commission n’est finalement qu’une
chambre d’enregistrement, dénonce-t-il.
Elle opère a posteriori, reste
tributaire de la déclaration des
médecins et interprète la loi de
manière très souple, notamment
pour évaluer la notion de“souffrances
psychiques”. »
Le professeur Marc Englert, rapporteur de la
commission, souligne pour sa part qu’aucune
déclaration n’a mis en évidence
des violations de la loi. Quant à la
possibilité d’euthanasies
illégales, il balaie l’argument :
« Je ne connais aucun médecin qui
oserait pratiquer une euthanasie sans le dire.
» Il rappelle leurs réticences.
« Cela reste un acte difficile ; les
médecins sont souvent
désemparés. Ils peuvent refuser
et font alors appel à des
confrères qui ont déjà
pratiqué l’acte. » Ceux-ci sont
plus nombreux en Flandre, dans les
unités de soins palliatifs de certains
grands services hospitaliers, dans un contexte
de prise en charge de la fin de vie.
RESPECT DE LA
VOLONTÉ DES PATIENTS
« Avec la législation actuelle,
le curseur n’est plus fixé sur le
respect de la vie mais sur “le respect de la
volonté des patients” qui souhaitent
évidemment mourir avec le moins de
souffrances possible. À partir de
là, chaque unité de soins
palliatifs a un peu sa philosophie »,
explique le docteur Isabelle de Bock, un des
quatre médecins de l’unité de
soins palliatifs des Cliniques de l’Europe,
à Bruxelles. Elle refuse pourtant de
pratiquer cet acte, auquel elle «
n’adhère pas » . « Mes
patients savent que je me refuse à
dépasser l’interdit du meurtre. Je
laisse donc l’euthanasie à mes
confrères, même s’il est
arrivé qu’on me reproche alors de ne
pas accompagner mes malades jusqu’au bout.
»
S’appuyant sur des enquêtes qui estiment
que seules 50 % des demandes d’euthanasie sont
accordées, certains médecins
demandent désormais à aller plus
loin, envisageant, par exemple, la prise en
charge de patients qui ne seraient pas en
phase terminale. Plusieurs propositions visant
à élargir le champ d’application
de la loi ont été
déposées au Parlement depuis
2002. Les trois dernières datent de
l’automne 2010 ; elles proposent
d’étendre la loi aux mineurs et aux
personnes devenues démentes ou
incapables de s’exprimer.
Une révision de la loi ne semble
toutefois pas à l’ordre du jour. Des
médecins participant à une
journée de réflexion
organisée par le Centre de
biomédecine de l’Université
catholique de Louvain ont
dénoncé une évolution
dangereuse : « Il y a toute une
génération,
éduquée à la performance,
qui angoisse à l’idée de devenir
un jour un poids pour ses proches et pour la
société », a aussi
déploré un
généraliste confronté
directement aux interrogations de ses
patients, s ’inquiétant d’une «
médiatisation qui présente
parfois l’euthanasie presque comme un droit
individuel, exigible auprès du corps
médical » .