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Droits de la personne en fin de vie: enjeu de démocratie



Le Huffington Post


28 Janvier 2012
 

France

 

Au rang des "questions de société" la légalisation de l'euthanasie ne manquera de faire irruption au cœur de la campagne électorale. D'autres approches respectueuses des droits de la personne en fin de vie se développent dans nos hôpitaux. Expression d'un attachement inconditionnel aux principes de la démocratie, cet engagement dans le soin témoigne dans ce contexte d'extrême vulnérabilité des valeurs de sollicitude et de solidarité. Il conviendrait de ne pas les bafouer au nom d'intérêts circonstanciés discutables.

L'hôpital est le lieu méconnu des combats démocratiques. Sur le terrain le moins exposé aux convoitises des prouesses médicales, là où l'incapacité de guérir équivaut trop souvent au désistement et à l'abandon sans proposer le moindre suivi digne, certains professionnels et militants associatifs ont décidé de reconquérir et de réhabiliter des espaces voués au soin. Dans le contexte de la fin de vie et même au terme de l'existence, ils interviennent au nom de principes considérés comme des obligations, afin de témoigner une présence, un soutien, une prévenance à celles et ceux qui bientôt ne seront plus. Cette revendication porte certainement le ferment d'un renouveau de la pensée médicale, ce qui explique avec quelle réticence on lui concède une reconnaissance dans les sanctuaires d'une médecine hospitalo-universitaire parfois détournée de son objet même au nom d'intérêts conjoncturels estimés davantage efficients, valorisants et économiquement rentables. Face aux plus hautes vulnérabilités de l'existence, au-delà de la simple négligence une telle posture est parfois interprétée et éprouvée comme un déni d'humanité.

La volonté exprimée par les personnes malades qui au terme de leur vie tiennent à être respectées, y compris dans leur liberté de décider, s'exprime aujourd'hui encore en des termes revendicatifs à la fois éthiques et politiques. Face à des pouvoirs ressentis comme arbitraires et démesurés, elles exigent une véritable sollicitude et souhaitent réhabiliter un certain équilibre qui procéderait notamment du droit de refuser des thérapeutiques estimées injustifiées, disproportionnées, parfois même perçues dans leur caractère inhumain. L'expertise dite profane de la personne malade doit être reconnue et intégrée aux objectifs du soin, dans la réciprocité d'un échange favorable à l'arbitrage d'une décision partagée. Le législateur semble en avoir tenu compte, tout comme il a su reconnaître les évolutions induites à la fois par la laïcisation et la médicalisation de la phase terminale de l'existence, assumant dans un tel domaine une mission particulièrement délicate pour laquelle ses compétences pouvaient toutefois faire débat.

Si près de 80 % des personnes meurent aujourd'hui dans le cadre d'une institution plutôt qu'au domicile, c'est essentiellement parce que le recours aux techniques de suppléance en fin de vie semble avoir la capacité de différer l'irrémédiable -- la mort ne relèverait plus dès lors que de la décision d'une limitation ou d'un arrêt de traitement. La mort "médicalisée" ou "institutionnalisée" se substituerait ainsi aux représentations traditionnelles de l'acceptation d'une fatalité. Avec pour conséquences de donner l'impression ou l'illusion que le temps de la mort se décrète dès lors qu'il peut être mis fin dans le cadre d'un arbitrage collégial à des périodes transitoires, intermédiaires, perçues dans la précarité d'une existence qui est maintenue sur une plus ou moins longue durée entre vie et survie.

Le soin doit être cependant envisagé dans ses possibilités comme dans ses limites, notamment lorsque ses excès menacent l'intégrité de la personne, mettent en cause son autonomie, affectent sa faculté d'affirmer des orientations qu'elle estime pour elle préférables, parfois même opposées à ce que l'on pourrait espérer pour elle. Comment appréhender et même négocier ces instants où les choix deviennent cruciaux ?

La mort ne survient donc plus en son temps -- au terme de la vie -- mais quand les recours thérapeutiques sont épuisés, que le maintien d'un traitement s'avère injustifié ou alors que la personne accablée d'un équivoque et douloureux surcroît de vie choisit d'y renoncer. Les repères, les figures ou les représentations du mourir se sont profondément transformés, bouleversant nos mentalités et nos attitudes face à la mort. On meurt désormais autrement et ailleurs. Assisté de soignants, accompagné de quelques fidèles ou seul. À l'hôpital, en institutions, souvent en des lieux relégués à l'écart de la cité. En dehors de l'espace privé où l'on a vécu, dans un contexte où la technicité entrave parfois les derniers actes de vivant.
En fait, dépourvue d'une place reconnue dans notre espace social, la mort surgit impromptue et violente au moindre indice de vulnérabilité exprimé dans sa consistance physiologique, incitant au renoncement par défaillance de la vie davantage que par extinction de la vie. Le temps à vivre se négocie au regard du temps venu pour mourir, lorsque les événements justifient de consentir à la mort par épuisement des ultimes ressources de vie. La mort ne marque plus le terme naturel d'une existence et ce temps de transition, de passage, accompagné au sein d'une communauté humaine qui se reconstitue et se renforce pourtant dans ce moment de rupture mais également de transmission.

Les réflexions développées dans nos hôpitaux à propos des conditions du mourir contribuent depuis près de trente ans à la restitution d'une dimension profonde des soins, aujourd'hui encore atténuée voire révoquée par une technicité abusive. Ce dont il est question lorsqu'est évoquée l'inhumanité de certains traitements obstinés ou même la déshumanisation de la relation de soin éprouvée, à un moment donné, comme l'insurmontable souffrance à laquelle mettre fin quelle qu'en soit la méthode.

Alors que dans les années 1980 l'obsession de "la mort dans la dignité" semblait devoir imposer une législation autorisant l'assistance médicalisée à la mort par la dépénalisation de l'euthanasie, en quelques années les professionnels de santé ont su instaurer un ensemble de dispositifs qui, de la lutte contre la douleur aux soins palliatifs et à l'accueil en chambres mortuaires, sollicitent d'autres mentalités et des approches différentes qui contestent les indignités et les manquements tolérés jusqu'alors. Penser la fin de vie et mieux en intégrer l'accompagnement dans les activités des services hospitaliers, c'est accepter d'interroger le sens des pratiques et parfois même leur justification. Il s'agit là, également, de réinvestir un soin compris dans la continuité d'un parcours qui unit plus qu'on ne le pense dans une attention partagée la personne malade, ses proches et une équipe soignante. Un soin compris comme un engagement qui trouve des formes d'expression souvent rares lorsqu'il consiste à se rendre disponible à l'autre dans sa vérité, son attente et parfois même ses choix ultimes.
Le champ des pratiques hospitalières les plus exposées et les plus éprouvantes constitue certainement le lieu privilégier où enraciner une réflexion éthique et politique. De manière récurrente et parfois excessive l'actualité en atteste. Elle ne peut cependant s'édifier que sur la base du débat démocratique argumenté et contradictoire, soucieux de la personne plus vulnérable et dépendante dans la proximité de sa mort. Les principes de respect, de justice et de sollicitude doivent être compris comme une exigence de responsabilité à son égard.

Mourir en société peut exprimer la revendication d'une mort accompagnée avec humanité, digne, insoumise aux seules considérations biomédicales ou de gestion sociale des fins de vie. Il s'agit désormais de renouveler la pensée que justifie ce domaine si sensible qui touche aux fondements de la société -- elle ne saurait se limiter à la reconnaissance des conditions de la mort médicalement assistée, à la dépénalisation ou à la légalisation de l'euthanasie revendiquée d'un point de vue dit philosophique comme "la dernière liberté".

Les choix nécessaires apparaissent délicats, complexes, tant la délibération s'avère difficile dans un contexte où culminent -- dans nos pays économiquement développés -- tant de paradoxes et d'attentes contradictoires. La mort actuelle est révélatrice de nos attitudes face à la vie, la médicalisation de l'existence semble ne plus solliciter que des considérations où prédominerait l'approche scientifique au détriment de toute autre requête ne serait-ce qu'anthropologique.

Le temps de fin de vie doit toutefois être considéré comme un parcours dans l'existence qu'aucun obstacle ne saurait entraver jusqu'à son terme. Cette période s'avère d'autant plus respectable qu'elle est limitée et toujours singulière.

C'est donc en termes de responsabilités de vie, assumées de vivant à vivant, que devraient être envisagée nos approches humaine et politique des situations de fin de vie, tenant compte d'un devoir de retenue, de décence et de dignité à l'égard des personnes plus vulnérables que d'autres du fait de leur exposition à l'imminence d'une mort.


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