La présidentielle vue
par «les vieilles»
Marianne 2
23 Avril 2012
France
Dimanche 22 avril
aux alentours de 21H, François Hollande
prononce son discours de grand vainqueur du 1er
tour de l'élection présidentielle.
Mais dans cet appartement de Montreuil où
la télévision n'est allumée
que pour la forme, personne ne l'écoute.
« Il fait un peu sortie d'enterrement avec
sa cravate noire », note Dominique.
Thérèse, quant à elle, a
carrément quitté la pièce :
depuis qu'elle a pris connaissance du score de sa
candidate Eva Joly (2,3%), elle est partie
préparer le dessert dans la cuisine. Son
amie n'est guère plus passionnée,
mais une phrase du candidat PS la tire
soudainement de son indifférence : une
évocation de « la jeunesse qui attend
qu'on lui donne toute sa place ». « Et
les vieux alors ? », s'exclame Dominique.
Inutile de compter sur l'usage d'une quelconque
novlangue politiquement correcte ; ici, on ne
parle ni de « séniors », ni de
« personnes âgées », mais
bien de « vieux ». Et surtout, de
« vieilles ». « Les boulots
précaires, c'est pour les femmes, les temps
partiels non-choisis, c'est pour les femmes.
Résultat : elles ont 40% de retraite en
moins », explique Thérèse,
fondatrice des « Babayagas ». C'est
sous ce nom, qui signifie « sorcière
» en russe, qu'est né un projet aux
accents utopistes : réunir sous un
même toit des femmes pour qu'elles puissent
« vivre et vieillir en solidarité et
citoyenneté ». Une sorte d'Auberge
espagnole des 3ème et 4ème
âges, dans une maison construite sur-mesures
pour répondre aux besoins de ses
habitantes. Les babayagas ne sont que des femmes,
très militantes, et lesbiennes pour une
grande partie d'entre elles ; pas des
tempéraments à aller terminer leurs
jours à l'état de tubes digestifs
dans une maison de retraite. « J'ai une amie
qui est atteinte de la maladie de Parkinson, mais
qui a absolument toute sa tête, raconte
Dominique. Elle a été
indépendante toute sa vie, et aujourd'hui,
elle partage sa chambre avec une centenaire sourde
avec qui elle ne peut pas communiquer. Elle a
perdu son autonomie. Et du coup, elle demande la
mort ». « C'est contre ça que
l'on veut lutter, enchaîne
Thérèse. Notre pari, c'est que
rester intelligents va nous laisser en bonne
santé ».
Thérèse constitue sans aucun doute
le meilleur argument de sa thèse : à
85 ans, elle en parait 15 de moins. Cette femme
à l'énergie débordante a
grandi avec « le Capital dans une main et
l'Evangile dans l'autre », et a
embrassé la cause féministe dans les
années 60. Avant de recevoir bouteilles de
Porto et biscuits apéritifs, la table du
salon de Thérèse a même servi
à pratiquer des avortements. C'est de son
esprit militant depuis toujours qu'a germé
l'idée de la maison des Babayagas en 1995.
Près de 20 ans plus tard, le projet est en
passe de voir le jour. « C'est malheureux,
mais ce qui a vraiment fait avancer les choses, ce
sont les 15 000 morts au moment de la canicule en
2003 », soupire-t-elle. A deux pas de la
mairie de Montreuil, un bâtiment de 26
appartements est encore sous les
échafaudages. Fin septembre, une quinzaine
de babayagas pourront venir s'y installer. Si les
logements sont indépendants les uns des
autres, deux grandes salles sont prévues au
rez-de-chaussée pour organiser des cours et
des conférences, mais aussi pour faire de
la gym et recevoir des massages, autant de petits
bonheurs dont les coûts seront
mutualités entre les résidentes.
En attendant, Thérèse et Dominique
posent un regard distant sur l'élection qui
se déroule sous leurs yeux. Pour elles qui
agissent au quotidien pour essayer d'inventer une
autre façon de vivre, de consommer et de
vieillir, les efforts de la classe politique
paraissent bien mous. « Entre les AMAP
(Association pour le Maintien de l'Agriculture
Paysanne), les SEL (Systèmes
d'échanges locaux), les militants de la
santé autrement, les solidarités
locales, etc., les gens sur le terrain sont
davantage prêts à changer que leurs
hommes politiques », affirme Dominique. Les
invités d'Elise Lucet et David Pujadas sur
le plateau de France 2 en prennent tous pour leur
grade. Gilbert Collard est qualifié
d'« opportuniste », Rachida Dati est
cordialement invitée à venir passer
15 jours à Montreuil, parmi les 133 ethnies
différentes qui y vivent. Jean-Marc Ayrault
trouve grâce pendant quelques secondes, pour
être « un très bon maire pour
Nantes », avant que Dominique ne
l'achève lui aussi pour sa défense
du projet d'aéroport à Notre-Dame
des Landes.
Mais ce qui les agace plus que tout, c'est le
cirque politique qui « clive les gens
» : « Chacun dit "je suis le plus
beau, je suis le plus fort", c'est un combat de
coqs, se désole Dominique. Comment
peuvent-ils affirmer que les Français sont
prêts à tourner la page de
l'ère Sarkozy quand il n'y a que deux ou
trois points d'écart entre les deux
candidats ? Ce sont des langages que j'ai du mal
à comprendre ». Si
Thérèse ira voter au second tour
pour ne pas que « l'autre passe »,
Dominique répond d'un évasif «
on verra ». Pour elles, la
réalité, c'est que « les
femmes et les vieux ont été
totalement occultés de cette campagne
». « Seuls 7% des plus de 60 ans sont
en perte d'autonomie, et à peine 15% des
plus de 80 ans », rappelle Dominique. Au nom
de tous les autres, les babayagas aimeraient qu'on
les aide à « offrir une autre image
de vieux, ni infantiles ni malades, ni branlants
ni cacochymes ».
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