La fin de vie
s'est invitée dans la campagne,
après que François Hollande a
dévoilé son projet d'autoriser
l'aide médicale assistée
à mourir. Une proposition
défendue par Marisol Touraine, la
"Madame Social" du candidat socialiste. Une
idée "dangereuse" pour Jean Leonetti,
père de la loi du même nom.
François
Hollande propose que "toute personne majeure
en phase avancée ou terminale d'une
maladie incurable [...] puisse demander,
dans des conditions précises et
strictes, à bénéficier
d'une assistance médicalisée
pour terminer sa vie dans la
dignité". Mais il dit aussi qu'il
n'est "pas favorable" à
"l'euthanasie". On a un peu de mal à
comprendre...
Marisol Touraine: Nous ne
parlons pas d'"euthanasie" parce que ce mot
donne lieu à des interprétations
très différentes. Dans le sens
commun, il renvoie à un droit sans
limites, le droit au suicide assisté.
Ce n'est pas du tout ce que nous
prônons. Nous proposons l'ouverture d'un
nouveau droit, une aide médicale
à mourir dans la dignité, avec
un encadrement strict dont les conditions
devront être définies dans le
cadre de la préparation d'un projet de
loi, lors d'un débat collectif. Tout
cela est cohérent: nous avions
déjà déposé il y a
trois ans une proposition de loi qui allait
dans ce sens. C'est Nicolas Sarkozy qui se
contredit aujourd'hui, en qualifiant notre
proposition de "dangereuse" alors que
lui-même, en 2007, disait: "On ne peut
pas rester les bras ballants devant la
souffrance de l'un de nos compatriotes qui
appelle à ce que ça se termine."
J'ajoute que plus de 90% des Français y
sont favorables. Cela mériterait un
débat apaisé.
Jean Leonetti: La
proposition de François Hollande est
floue alors que la définition de
l'euthanasie est claire: il s'agit de donner
la mort à un malade qui le
réclame pour abréger ses
souffrances. En phase terminale d'une maladie,
la loi actuelle, lorsqu'elle est
appliquée, est suffisante et permet
d'accompagner et de soulager le malade. Le
médecin peut et doit utiliser pour cela
tous les médicaments
nécessaires, même s'ils peuvent
avoir pour effet secondaire de hâter la
mort car, en fin de vie, la qualité
prime sur la durée de la vie. Le
médecin ne donne pas
délibérément la mort.
Changer la loi, c'est
dépénaliser l'euthanasie.
M. T.: Quelle hypocrisie! On
administre à des personnes en fin de
vie des sédatifs qui, donnés en
grande quantité, ont pour effet
secondaire de tuer; d'autres patients meurent
en souffrance ou isolés après
l'arrêt du traitement, lorsqu'ils ne
sont plus alimentés ni hydratés.
La loi qui porte votre nom a marqué une
avancée très significative, et
il faut évidemment tout faire pour que
les soins palliatifs se développent.
Mais cette loi ne recouvre pas l'ensemble des
situations auxquelles sont confrontés
les malades, leurs familles, les
médecins. On estime à environ
8000 le nombre de personnes qui ne trouvent
pas de réponses avec la
législation actuelle. Parmi elles,
certaines sont amenées à
souffrir excessivement ou estiment qu'on leur
impose de vivre dans des conditions qu'elles
ne jugent plus dignes. 2000 soignants ont
reconnu avoir "en conscience aidé
médicalement des patients à
mourir". On a besoin d'un cadre légal.
J. L.: Lorsque les soins
palliatifs sont correctement mis en place,
conformément à la loi, ces
situations que vous décrivez deviennent
exceptionnelles. Cela ne correspond pas
à 8000 personnes. Il y a, en revanche,
une situation à laquelle la loi ne
répond pas: lorsqu'un malade n'est pas
en phase terminale et demande à ce
qu'on l'aide à mettre fin à sa
vie parce qu'elle ne lui paraît plus
digne d'être vécue: c'est le
suicide assisté. Toutes les affaires
médiatiques de ces dernières
années entrent dans cette
catégorie. Faut-il changer la loi pour
ces cas? Je ne pense pas, car il est
impossible de dire à qui on accorde ce
"droit" et à qui on ne l'accorde pas.
Comment refuser la mort à quelqu'un qui
se sait atteint de la maladie d'Alzheimer et
qui n'a pas envie de vivre dans ces
conditions, et l'autoriser à celui qui
est atteint d'une tumeur
cérébrale?
M. T.: Mais parce que,
justement, il n'est pas en phase
avancée ou terminale! Je trouve votre
exemple scandaleux! Un malade ne va pas
arriver à l'hôpital en disant:
"Tuez-moi", comme si on était au
supermarché! Nous proposons une aide
à mourir, parce que nous reconnaissons
à chacun, homme ou femme, la
liberté de choisir jusqu'au bout la
manière dont il veut réaliser sa
vie.
Cette aide pourrait survenir en
"phase avancée", dites-vous, mais
celle-ci est beaucoup plus difficile à
déterminer que la "phase terminale".
Qui va décider si le patient est
entré dans cette
étape-là?
M. T.: Il appartiendra aux
professionnels d'évaluer le stade de la
maladie. Le temps d'évolution des
différentes pathologies n'est pas le
même!
J. L.: Ce qui est scandaleux,
hypocrite et surtout irresponsable, c'est de
faire croire que tout est si simple. C'est
dans le terme "avancé" que le
problème réside. Cela ne veut
rien dire et tout dire à la fois. Il
sera très difficile de dire non
à un malade atteint d'une maladie grave
qui réclame la mort, parce qu'il est
impossible d'évaluer la souffrance
psychique qu'il ressent; lui seul peut le
faire. Selon quels critères vais-je
concéder aux uns le droit à la
mort, et pas aux autres?
M. T.: Vous faites semblant
de ne pas comprendre. Il faut
évidemment que la maladie soit
incurable, et la souffrance insupportable. La
personne doit avoir exprimé son
consentement, celui-ci doit avoir
été réitéré
et vérifié par un collège
de médecins. Avec un contrôle a
posteriori. Il est évident que moins il
y aurait de gens à demander l'aide
assistée, mieux cela serait.
J. L.: Ce que vous
décrivez là et ce que le PS
propose, ce sont les lois néerlandaise
et belge qui autorisent l'euthanasie et le
suicide assisté sous certaines
conditions.
M. T.: Nous ne disons pas
qu'il faut changer la loi sur le modèle
de la Belgique! Notre proposition s'enracine
dans une certaine conception de la
liberté, de la dignité, et de
l'égalité, aussi : de nos jours,
des hommes et des femmes partent à
l'étranger pour être
soulagés, parce qu'ils ne trouvent pas
de réponse à leur demande en
France. D'autres n'ont pas les moyens de le
faire.
J. L.: La pratique des
mères porteuses est autorisée
ailleurs, et ce n'est pas pour autant qu'on
l'a légalisée en France. Nous
sommes face à un conflit de valeurs
entre, d'un côté, le respect
absolu de la vie humaine et, de l'autre, celui
de la liberté de l'individu. Deux
conceptions de la dignité s'affrontent
qui sont deux visions différentes de la
société: l'une, collective et
solidaire, qui dit: "C'est notre
volonté"; l'autre, individualiste, qui
dit: "C'est mon choix."
M. T.: Je ne crois pas du
tout que notre proposition oppose une valeur
à une autre. Comme s'il fallait choisir
entre la liberté et
l'égalité! Nous sommes dans
l'articulation entre la liberté
individuelle et la société, le
collectif, qui fixe des règles. Et
reconnaître l'homme en tant qu'homme,
c'est le reconnaître libre jusqu'au bout
de décider de sa vie.
Un Etat qui donne le droit de tuer,
n'est-ce pas symboliquement dangereux pour la
société?
M. T.: Nous n'en sommes plus
au temps du droit naturel d'Antigone.
D'où vient qu'il faudrait
reconnaître comme s'imposant à la
liberté individuelle et à la
volonté collective d'une
société un principe
transcendant?
J. L.: Robert Badinter est
favorable à la loi actuelle car il
pense que le droit à la vie est le
premier des droits de l'homme et que c'est
d'ailleurs le fondement de l'abolition de la
peine de mort. Il a raison. La question est en
fait de savoir pourquoi la loi qui condamne
l'acharnement thérapeutique et
prône le non-abandon et la
non-souffrance est si peu connue et si mal
appliquée.