En raison du poids démographique qu'il
constitue, l'électorat senior est
devenu un enjeu majeur de la vie politique
française. Quel candidat aujourd'hui
a-t-il le plus de chances de capter ce
"pactole électoral" ?
Alors que l'actualité des derniers
mois s'est plutôt braquée sur les
jeunes, qui, du "Printemps arabe" au mouvement
des "Indignés", se mobilisent sur
l'ensemble de la planète dans l'espoir
de construire un monde plus juste,
l'élection présidentielle qui
s'annonce se jouera surtout en fonction du
choix des plus de 60 ans, qui
représenteront plus du tiers des
électeurs. Ce sont ces treize à
quatorze million de Français, qui, in
fine, pourraient bien décider du nom du
prochain président de la
République.
LES SENIORS,
UN "MAMMOUTH" ÉLECTORAL
En 1960, les soixante ans et plus
représentaient 17 % de la population.
En 2007, 22 %. D'après Bernard Denni,
en 2012 cette proportion, en termes de vote,
dépassera le tiers du corps
électoral.
En effet, leur poids est plus important au
sein de la population électorale,
puisqu'ils sont presque tous inscrits sur les
listes électorales. En outre,
contrairement aux autres classes d'âge,
ils se déplacent massivement aux urnes.
Cela nous oblige, par conséquent,
à être particulièrement
attentifs à leurs intentions de vote.
Si le futur président de la
République ne peut pas l'emporter
seulement grâce au vote des seniors, il
ne peut par contre pas espérer la
victoire sans le soutien d'une partie
substantielle d'entre eux.
Avant de chercher à savoir qui semble
aujourd'hui être le mieux placé
pour obtenir les faveurs de cet
électorat, il s'agit de connaître
ses préférences traditionnelles
en termes de vote.
La prime au sortant de droite
L'adage selon lequel les plus de soixante ans
votent majoritairement à droite est
vérifié empiriquement. Ce vote
en faveur de la droite est d'ailleurs
très stable : au second tour de
l'élection présidentielle depuis
1965, il se situe autour de 60 %. La nette
préférence des seniors à
l'égard de Nicolas Sarkozy en 2007
n'était donc pas une rupture, mais au
contraire constituait une réelle
continuité dans la Ve
République. Plus qu'au second tour,
l'électorat senior est avant tout
décisif au premier tour de
l'élection présidentielle. Il
est l'arbitre incontournable des duels
fratricides au sein de la droite, permettant
à celui pour qui il se prononce
majoritairement d'accéder au second
tour. On objectera l'exception apparente de
1995, où Édouard Balladur
réalise un meilleur score que Jacques
Chirac auprès des seniors ; mais en
réalité cet
événement n'invalide pas la
règle selon laquelle les soixante ans
et plus choisissent toujours le candidat de
droite sortant, en responsabilité au
moment de l'élection : Giscard contre
Chirac en 1981, Chirac contre Barre en 1988 et
Balladur contre Chirac en 1995. Par exemple,
en 1988, 54 % des électeurs de droite
de plus de 63 ans votent pour Jacques Chirac
et 22 % pour Raymond Barre.
Cette prime au sortant s'explique par une
attitude "légitimiste" des seniors, qui
choisissent en majorité le candidat de
droite sortant ou qui a exercé les
responsabilités les plus prestigieuses
(comme pour Nicolas Sarkozy en 2007).
AVANTAGE
SARKOZY (ET HOLLANDE)
À partir de ce constat, on peut estimer
que Nicolas Sarkozy obtiendra le 22 avril une
grande partie des suffrages des seniors. Ses
deux principaux concurrents au sein de la
"droite" (au sens très large),
François Bayrou et Marine Le Pen,
occupent un positionnement que rejettent
traditionnellement, par "légitimisme",
les seniors : le centrisme de type
"troisième voie" pour le premier et
l'extrémisme pour la seconde.
Peu accoutumés au vote sanction, leur
vote "légitimiste" devrait a priori
largement bénéficier à
Nicolas Sarkozy. Mais François Hollande
devrait aussi capter une part importante de
cet électorat, désormais
gonflé par le papy-boom et où se
trouvent désormais de nombreux "jeunes
seniors", depuis toujours acquis à la
gauche. On mesure déjà
pleinement le phénomène dans les
élections locales où les
retraités de la fonction publique
remplacent les anciens maires du crû
dans nombre de communes rurales. De plus si
Hollande n'a jamais occupé de poste
ministériel, il jouit d'une
visibilité et d'une
notoriété, qu'il doit à
ses dix années passées à
la tête du Parti socialiste et, plus
encore, à sa nette victoire dans une
primaire à forte médiatisation
et participation. La prime au plus
expérimenté, et donc au plus
légitime, s'applique d'ailleurs
également à la gauche. Par
exemple, à l'élection
présidentielle de 2002, 59 % des
seniors de gauche votent pour Lionel Jospin
tandis qu'ils sont 29 % à le faire
parmi les 18-30 ans de gauche.
LE
THÈME CENTRAL DE LA "PROTECTION"
De fait, le panel " France 2012 ",
réalisé du 30 novembre au 5
décembre par l'institut Ipsos pour la
Fondapol [4], qui regroupe un
échantillon large (5 415 personnes),
place en tête du premier tour Nicolas
Sarkozy et François Hollande, avec
respectivement 36 % et 29 % des intentions de
vote. Par rapport au mois de novembre, on
observe une hausse des intentions de vote en
faveur de Nicolas Sarkozy, au détriment
de François Hollande. Cela s'explique
probablement par une actualité
internationale dense du côté du
chef de l'État (sommet de Bruxelles du
26 octobre 2011, sommet du G20 les 3 et 4
octobre), qui lui a permis de renforcer sa
stature internationale, et donc sa
légitimité en tant que
président de la République. Par
ailleurs, le thème de la " protection
des Français " est
particulièrement efficace auprès
d'une population ayant plus d'aversion au
risque… et dépendant plus
prosaïquement des transferts sociaux
(maladie et retraite) ; à coup
sûr, le candidat qui paraîtra le
meilleur garant du maintien de cette
redistribution en faveur des seniors marquera
un point décisif. Quant aux deux
principaux outsiders, François Bayrou
et Marine Le Pen, leur score chez les seniors
est inférieur à leur
résultat parmi l'ensemble des personnes
interrogées, avec respectivement 7 % et
13 %. Il faut cependant noter que les
données contenues dans le panel sont
antérieures à la percée
du président du Modem dans les
sondages.
Plus que toute autre élection
auparavant, l'élection
présidentielle de 2012 se jouera sur le
choix que feront les plus de soixante ans. Le
vainqueur célébrera-t-il pour
autant la "force de l'âge", comme jadis
François Mitterrand salua les "forces
de la jeunesse et du travail", sur lesquelles
s'était appuyée sa
première élection à la
magistrature suprême ?