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Canicule : Cinq à Neuf Mois de Vie Perdus
Martine Perez, Le Figaro
Le 13 octobre 2004
Photo AFP
Ce travail, qui apporte des données nouvelles sur cette catastrophe, devrait être publié au mois de décembre dans les comptes rendus de l'Académie des sciences.
«Les épidémiologistes désignent par «effet de moisson» le fait qu'un événement sanitaire ponctuel important, comme un pic de pollution ou une vague de chaleur, concentre sur quelques jours la mortalité qui était prévisible un peu plus tard, à court ou moyen terme, précise le professeur Valleron. Le bon sens fait reconnaître que bien entendu si les personnes mortes au cours de la canicule n'étaient pas mortes à ce moment-là, elles seraient mortes plus tard.» Toute la question est de déterminer quand.
Pour le savoir, le professeur Valleron et son équipe se sont penchés sur les données de mortalité provisoires fournies par l'Insee sur 260 communes françaises jusqu'en juin 2004. Après s'être assurés que les chiffres de mortalité pour les premiers mois de 2004 étaient superposables à ceux des années précédentes, les chercheurs ont constaté dans un premier temps que dans les mois suivant la canicule, septembre, octobre, novembre et décembre 2003, le taux de décès était similaire à celui observé lors des années précédentes pendant la même période. «En revanche, à partir de janvier 2004, on observe, mois après mois, une sous-mortalité, poursuit le chercheur. Au total, la sous-mortalité de janvier à juin 2004 est de 14 000 morts. On peut donc ainsi formuler l'hypothèse que les personnes décédées en août 2003 étaient des personnes fragiles, candidates à décéder au cours du premier semestre de l'année 2004.»
En juin 2004, la surmortalité d'août 2003 était complètement compensée par la sous-mortalité nette apparue au mois de janvier. En d'autres termes, la canicule aurait privé ses victimes de cinq à neuf mois de vie en moyenne.
Ce travail, qui confirme que les personnes décédées lors de la canicule avaient une espérance de vie a priori assez limitée, va dans le même sens que plusieurs autres études. Une publication récente de la Caisse nationale d'assurance-maladie avait révélé que la consommation médicale des personnes décédées à domicile en août 2003 était clairement supérieure à un groupe de témoins du même âge non décédés. D'autres travaux ont mis en évidence une consommation importante de médicaments pour celles décédées en institution.
«On peut observer deux faits, souligne Alain-Jacques Valleron, le premier, est qu'en effet, la surmortalité observée en août 2003 a été tout à fait exceptionnelle - ce qui a été répété maintes fois depuis le premier rapport sur le sujet. Mais on objective aussi que de telles surmortalités sont rencontrées couramment les mois d'hiver (certaines fois de manière plus importante encore) en relation avec des épidémies de grippe et touchant prioritairement les mêmes personnes fragiles, de grand âge, avec de multiples pathologies. Il est prévisible que ces surmortalités de l'hiver jusqu'ici bien acceptées, et en tout cas n'ayant jamais fait l'objet d'émotion publique, seront un jour dénoncées comme partiellement évitables.»
La canicule d'août 2003 est certes une catastrophe inédite dans l'histoire de la France, mais des vagues de chaleur avaient déjà frappé notre pays, de moindre ampleur, en tout cas pour celles répertoriées. L'augmentation de la mortalité en juin et juillet 1976 avait été appréhendée avec une sorte de fatalité, qui a contribué à jeter aux oubliettes cet événement, sans qu'en soit faite l'analyse nécessaire à la mise en place ultérieure d'un modèle national de prévention. Les 6 000 morts de l'été 1976 n'ont d'ailleurs été recensés avec précision que tout récemment.
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