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Dilemmes éthiques
autour de la survie des mourants
Un colloque à l'hôpital Cochin pose la question de
l'arrêt de l'alimentation en fin de vie.
Par Eric Favereau, Liberation
France
8 novembre 2005
Laisser mourir de faim et de soif une personne en fin de vie... L'image est terrible, chargée de tous les fantasmes. C'est pourtant une des questions centrales autour des derniers moments de la vie. Et des plus délicates d'un point de vue éthique. Exemple : lorsqu'il n'y a plus d'espoir et qu'on arrête tout traitement à un patient, doit-on aussi arrêter son alimentation et son hydratation ? Quand la personne en fin de vie n'est plus en état de se nourrir, faut-il lui poser une sonde et la nourrir artificiellement ? Des situations bien réelles qui se posent régulièrement aux équipes médicales. Mais elles restent taboues. D'où l'intérêt du colloque qui s'est tenu, en toute discrétion, la semaine dernière à l'hôpital de Cochin de Paris, à l'initiative du Centre d'éthique clinique.
Ambiguïté. «Notre propos est avant tout médical», a voulu expliquer au préalable la directrice du centre, Véronique Fournier. «Est-ce que le fait d'arrêter l'alimentation diminue fortement la survie ? Est-ce que la personne souffre d'une sensation de faim, de soif ? Mais aussi, est-ce que cette décision est tolérable pour les personnes qui la prennent, mais aussi pour celles qui vont accompagner la personne?» Et elle ajoute : «Notre but n'est pas de débattre si c'est bien ou pas bien, éthique ou pas éthique, mais de voir concrètement ce qui se passe, et comment cela se passe.» Une précision d'autant plus importante qu'aujourd'hui en France la plus grande ambiguïté demeure.
La loi sur la fin de vie, votée au printemps 2005, est restée volontairement floue : elle autorise l'arrêt des traitements à la demande du patient quand il est conscient, et après décision médicale si le patient n'est plus conscient. Mais elle ne dit pas clairement si l'alimentation artificielle et l'hydratation peuvent être considérées comme un traitement.
Pour ce colloque, des médecins sont alors venus. Pour faire état de la difficulté des situations. Comme Gilbert Desfosses, chef de service de soins palliatifs à l'hôpital des Diaconesses, à Paris. Nullement militant de l'euthanasie, il raconte la fin d'une patiente de 55 ans, atteinte d'une tumeur au cerveau. Cette femme arrive dans son service alors que plus aucun traitement n'est efficace. «On discute longuement avec elle. C'est une militante de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité. Elle est devenue hémiplégique, elle a des crises convulsives, elle perd peu à peu la parole, et il est convenu avec elle qu'on arrêtera nourriture et hydratation.» Puis il décrit : «A partir du mois de juillet, elle n'a plus que de la morphine. Le 8 juillet, on arrête l'alimentation, mais on continue un peu l'hydratation. Le 8 août, on arrête l'hydratation, on fait du nursing. Elle meurt le 26 août.» Silence. «Ce fut long, ajoute-t-il, très, très long.»
Puis il tente de comprendre : «L'arrêt de l'hydratation n'entraîne un décès rapide que s'il est total. Dans notre histoire, poursuit-il, nous avons eu un sentiment d'insatisfaction. C'était très compliqué. Parfois je me disais qu'on la soignait trop bien ; dès qu'elle avait du mal à respirer, on la désencombrait. A la fin, elle était inconsciente et il était très difficile d'évaluer les plaintes. Enfin, s'interroge-t-il, quel sens donner à ces quinze derniers jours ? D'ordinaire, on apprend en soins palliatifs à donner du sens à cette fin de vie. Là, reconnaît-il, il n'y en avait pas.» Puis il conclut : «Quant à l'éthique de collégialité le fait donc de toujours discuter entre nous et d'arriver à une position commune , là j'ai eu l'impression que cela nous a conduits à prendre des décisions trop prudentes, en tout cas jamais innovantes.»
Autres histoires, autres mystères. Le docteur Jean-Michel Lassaunière (Hôtel-Dieu de Paris) s'occupe surtout de malades cancéreux. «Avec le cancer, en fin de vie le patient souffre très souvent de cachexie (épuisement de toutes les fonctions, ndlr). Il n'a plus la moindre envie d'alimentation. Or, dans les pays méditerranéens, on s'acharne à nourrir les gens. C'est culturel. En France, les patients sont hydratés à 90 %, alors qu'en Grande-Bretagne seulement à 10 %. Il n'y a aucune raison médicale à ce décalage.» Et d'ajouter : «Les familles nous poussent à poursuivre l'alimentation ou l'hydratation. Ils nous disent "il doit avoir faim, il doit avoir soif", alors que, passé les 24 premières heures, il n'y a aucune sensation de manque.»
«En gériatrie, poursuit Agathe Raynaud, du service de nutrition de l'hôpital Charles-Foix à Ivry-sur-Seine, la question, c'est la pose ou non d'une sonde de gastrotomie, alors que la personne ne veut plus se nourrir. Très souvent, les familles et les équipes soignantes ne sont pas d'accord.» Un autre : «Ce qui est compliqué, c'est quand la personne ne peut plus donner son consentement. Aux Etats-Unis, dans le cas des malades inconscients, arrêter l'alimentation est légal, mais en France, malgré la dernière loi, les règles ne sont toujours pas claires.»
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