Il est infatigable. A 80 ans, le professeur Etienne-Emile Baulieu continue
de parcourir le monde, non pas comme un retraité en mal de voyages mais
toujours dans ses habits de médecin-chercheur. En une semaine, début
juillet, il a enchaîné une conférence à Toronto sur "les aspects
biologiques et sociétaux du vieillissement", un congrès à Los
Angeles, une visite à l'Institut Scripps près de San Diego pour ses
nouvelles recherches sur les stéroïdes et une réunion à Mexico avec
les autorités sanitaires afin que les femmes mexicaines puissent bénéficier
du RU 486.
Depuis vingt ans, son nom est associé à ces deux initiales (celles du
laboratoire Roussel-Uclaf) et ces trois chiffres (numéro d'ordre de la
synthèse de la molécule), curieuse appellation scientifique pour désigner
la fameuse pilule abortive. Un tournant dans l'histoire de l'avortement.
Le fruit d'un travail d'équipe dont il présenta les premiers résultats
en 1982 devant l'Académie des sciences et qui lui vaudra, en 1989,
l'attribution du prestigieux prix Albert-Lasker de médecine, considéré
comme l'antichambre du prix Nobel.
Que de remous, que de controverses autour de cette pilule qui offre aux
femmes une alternative médicamenteuse aux méthodes instrumentales,
parfois traumatisantes, utilisées pour l'interruption volontaire de
grossesse. Les "pro-life" et l'Eglise étaient vent debout
contre ce qu'ils nommaient la "pilule de la mort", qui allait prétendument
"banaliser" l'IVG. La polémique, le professeur Baulieu l'a
assumée au nom de la défense de "l'exercice de la liberté
personnelle" face au "problème humain immémorial de
l'avortement".
La surmédiatisation aussi. Il n'oubliera jamais sa prise de parole devant
250 000 personnes réunies par les mouvements féministes à Washington.
"Je n'ai pas peur du public. Les reproches qu'on a pu me faire sont
souvent sous-tendus par l'envie." Quant à la reconnaissance,
"ma foi, c'est toujours agréable". Professeur au Collège de
France, membre de l'Institut, ancien président de l'Académie des
sciences, les titres n'ont pas manqué. Et les engagements non plus. En
faveur des femmes - soutien de la légalisation de la pilule et plus récemment
de l'allongement de la durée légale de l'IVG - et de la recherche, en
s'associant en 2004 au mouvement de colère du collectif Sauvons la
recherche.
Incapable de rester à son bureau, il préfère s'asseoir à côté de son
interlocuteur et tenter inlassablement de vulgariser ses travaux. "On
ne se rend pas compte à quel point les scientifiques sont isolés à
cause du vocabulaire ; les gens s'intéressent peu à la mécanique de la
découverte." Avec le RU, il a créé un "anti-hormone" qui
s'oppose à l'action de la progestérone. Au sein de l'hôpital du
Kremlin-Bicêtre, dans les locaux de l'unité 33 de l'Inserm, qu'il a
longtemps dirigée, le professeur Baulieu a gardé son bureau, son antre,
un joyeux capharnaüm envahi de livres, de photos, d'objets venus de
toutes les régions du monde et d'oeuvres d'art dont celle offerte par son
amie défunte Niki de Saint Phalle.
"Nous sommes dans le seul bâtiment au monde portant le nom de Gregory
Pincus, dit-il fièrement. C'était le pape des hormones, l'inventeur de
la pilule contraceptive mais personne ne le sait." C'est après sa
rencontre avec Gregory Pincus, dans les années 1960 à New York, qu'il a
fait le choix de travailler sur les hormones sexuelles "parce que c'était
sociétal". La mise au point du RU 486 a constitué "une sorte
d'aboutissement". Tout convergeait : ses longs travaux sur les
hormones stéroïdes et leurs récepteurs, sa formation de médecin et
l'intérêt qu'il porte à la condition féminine.
Cette conviction que "chacun a une responsabilité sur la société",
il l'a acquise très jeune. En 1943, à 16 ans, Etienne Blum devient Emile
Baulieu, résistant et communiste. "J'avais besoin d'un père. Un
parti, c'est structurant", analyse-t-il. Son père, médecin, est
mort alors qu'il avait 3 ans. La politique, il l'abandonnera. Par déception.
Profonde. Et parce que, finalement, la science et la médecine lui
permettraient d'être "dans la société d'une autre façon".
Avec le RU 486, il avait trouvé "sa bonne cause". Il est,
dit-il, un "type qui veut faire des choses". Il n'hésitera pas,
très tôt dans sa carrière, à traverser l'Atlantique et à être l'un
des premiers universitaires à collaborer, malgré les critiques de ses
pairs, avec l'industrie pharmaceutique en tant que consultant. Pas pour
l'argent - "Je n'ai jamais gagné les moindres royalties sur le RU
486 et j'ai une âme de fonctionnaire" - mais pour la recherche
fondamentale, "le top pour moi". C'est sa découverte de la sécrétion
de la DHEA (déhydroépiandrostérone, une hormone stéroïde produite par
la glande surrénale), en 1960, qui lui ouvre les portes des Etats-Unis.
Sa rencontre avec Pincus le pousse finalement à choisir d'autres
horizons. Bien des années plus tard, le combat en faveur du RU 486 achevé,
le professeur Baulieu reprend ses travaux sur la DHEA, lance une vaste étude
baptisée "DHEâge", persuadé que cette hormone naturelle
pourrait donner naissance à une nouvelle pilule, cette fois "de
jouvence". Les résultats ne sont pas à la hauteur des promesses et
l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
tempère l'engouement. Mais ce fut un sacré coup médiatique.
"Demain est plus intéressant que le passé", pourrait être sa
devise. Il fourmille de projets. Longévité, cerveau, stéroïdes sont
ses trois mots-clés du moment. Il passe beaucoup de temps à "mendier"
des financements au nom du "lobbying pour les futurs malades" et
parce qu'il trouve un peu court que les programmes gouvernementaux sur le
vieillissement "se résument aux maisons de retraite et aux soins".
Persuadé que l'allongement de la vie est "LE phénomène de l'humanité",
il vient de créer une fondation nommée Vivre longtemps pour lancer des
recherches sur la perte de la mémoire, et il a aussi créé une start-up,
Mapreg, pour développer des médicaments innovants pour les traumatismes
de la moelle épinière et du cerveau et les accidents vasculaires cérébraux.
"Même l'armée américaine s'y intéresse", se réjouit-il.
Sans compter le symposium sur le vieillissement qui se tiendra en décembre
à l'Institut de France. "Je compte sur un mouvement d'opinion pour
modifier la conception selon laquelle le bonheur, c'est la retraite à 60
ans."
Un tantinet narcissique, il se plaît à raconter : "Des années après
ma retraite, j'ai été invité à travailler aux Etats-Unis." Alors
qu'ici, en France, il est catalogué comme "plus en activité".
Il voudrait contribuer à ce que l'allongement de la vie se conjugue avec
"bonne santé". Il en est un saisissant exemple. "Oui",
il prend de la DHEA, mais n'ira pas jusqu'à dire que c'est grâce à elle
qu'il est en forme. Juste qu'il considère qu'elle est "très
sous-employée" et qu'un jour, "la vérité finira par sortir".
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