De nombreux patients atteints de la maladie d'Alzheimer souffrent de
troubles du comportement, pouvant aller jusqu'à de l'agressivité ou des
cris. Face à ces problèmes, les soignants ont longtemps eu recours à
des neuroleptiques. Mais aujourd'hui, on sait que dans ce cadre, ces médicaments
sont inefficaces et dangereux. D'autres prises en charge sont possibles.
En France, les malades Alzheimer sont 6 fois plus exposés aux
neuroleptiques que la population du même âge, et jusqu'à 9 fois plus
pour les malades en établissements. Il existe pourtant des alternatives
efficaces aux neuroleptiques pour prendre en charge les troubles du
comportement chez les personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer et des
pathologies apparentées. Ces techniques ne sont toutefois pas
suffisamment connues et enseignées auprès des personnels des maisons de
retraite, maisons médicalisées et des hôpitaux, qui continuent de
prescrire massivement et à tort ces médicaments.
Une
exposition aux neuroleptiques 6 fois plus élevée
Les troubles du comportement sont fréquents au cours de l'évolution de
la maladie d'Alzheimer. Ainsi, parmi les résidents en Établissement d'Hébergement
pour Personnes Âgées Dépendantes (EPHAD) ayant une maladie d'Alzheimer
ou une maladie apparentée, 80 % présentent à un moment donné un
trouble du comportement (25 % des troubles du comportement modérés et 10
% des troubles importants)1. Dans ce derniers cas, les patients se mettent
à pousser des cris, s'agitent, deviennent agressifs, déambulent dans les
couloirs des établissements… Face à cela, proches et soignants se
sentent souvent démunis. Le recours aux neuroleptiques, malgré l'absence
d'indication dans la prise en charge de ces troubles, est fréquent.
"L'exposition aux neuroleptiques chez les patients Alzheimer est 6
fois plus élevée que dans la population saine du même âge, atteignant
18 % contre 3 %, explique le Dr Armelle Desplanques, responsable de l'unité
Programmes Pilotes à la Haute Autorité de Santé (HAS)2. Or, la seule
indication des neuroleptiques est le traitement des psychoses".
Jusqu'en 2005 environ, on croyait en effet que les neuroleptiques
pouvaient constituer une réponse efficace à ces troubles. Mais depuis,
des études ont montré que ces molécules étaient inefficaces et
qu'elles exposaient les patients à des effets secondaires importants, supérieurs
aux bénéfices escomptés. "Les neuroleptiques sont une mauvais réponse
à une bonne question", résume Benoît Lavallart, gériatre chargé
de la Mission de pilotage du Plan Alzheimer3. Ils augmentent la mortalité
globale de 5 à 8 %, notamment à cause d'un plus grand risque d'accident
vasculaire et surtout la sédation, avec les conséquences qu'elle entraîne
: la fréquence des chutes multipliée par 8, les problèmes de
communication…
Quelles alternatives aux neuroleptiques ?
Les troubles du comportement perturbent les patients, mais également
leurs proches et les soignants. Soumis par ailleurs à un stress et une
surcharge de travail, ces derniers n'ont pas toujours la patience nécessaire
devant un refus de soins. "Il faut introduire un peu de souplesse et
leur montrer que de nouvelles techniques de soins et les approches
cognitivo-comportementales ont été validées d'un point de vue
scientifique", préconise le Dr Desplanques.
"Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer perdent souvent
leurs capacités d'adaptation et ont tendance à ressentir comme une
agression des choses banales", poursuit-elle. Et de prendre pour
exemple la toilette, un moment très souvent mal vécu par les patients et
les soignants. "Certains patients ne supportent pas l'eau. Or, on
peut tout à fait faire les toilettes sans eau, avec des serviettes
chaudes. On peut également modifier l'environnement et le rendre plus
apaisant, en atténuant la luminosité et en assourdissant le bruit. Et
pour les patients qui ne présentent pas de risque de fuguer ou de se
perdre, on peut tout à fait les laisser déambuler dans les
couloirs", assure la spécialiste. Même chose devant un refus de
soins : finis l'autoritarisme et les techniques de contention, "il
faut essayer de décaler les soins et prendre le temps de comprendre les réticences
du patient", poursuit-elle.
Ces nouvelles techniques de soins visant à prévenir et gérer les
troubles du comportement ont été développées en collaboration avec des
médecins et des associations de patients, et mises en place grâce au
Plan Alzheimer. Des études pilotes ont montré qu'une rapide formation
des soignants (6 h) permettait de réduire de 60 % le nombre de chutes.
Des techniques de réhabilitation ont également été développées pour
préserver l'autonomie des patients en travaillant sur les capacités
restantes et en fixant avec les proches les objectifs à atteindre. Résultat
: les patients sont beaucoup plus autonomes et les familles beaucoup moins
frustrées.
Réduire à 5 % la prescription de neuroleptiques
La Haute Autorité de Santé (HAS) a développé un programme destiné aux
professionnels pour réduire les troubles associés aux neuroleptiques
chez les patients Alzheimer4. Après avoir analysé les conditions de
prescription de ces médicaments, l'organisme a mis au point différents
outils d'amélioration : des recommandations de bonnes pratiques
professionnelles, mais aussi des indicateurs à même de juger de l'impact
des actions engagées pour résoudre ce problème de santé publique.
Parmi ces outils d'évaluation, le programme Alerte et Maîtrise de
l'Iatrogénie - AMI5 repose en particulier sur le repérage des patients
sous neuroleptiques, ce qui constitue un indicateur d'alerte, et sur le
nombre de prescriptions confirmées, qui témoigne de la maîtrise de la
prescription."L'idée est d'inciter les professionnels de santé à réviser
leurs prescriptions et de s'assurer qu'elles sont appropriées".
Au niveau national, le taux de prescription chronique des neuroleptiques
chez les patients Alzheimer reste très élevé, à 16,1 % en 2008. Un
taux en baisse par rapport à 2007 (16,9 %), qui pour le Dr Desplanques,
constitue une "tendance encourageante" qu'il convient de
confirmer et d'accentuer dans les années à venir ; Un impératif si l'on
veut atteindre l'objectif ambitieux de 5 % que s'est fixé la HAS (contre
2,9 % pour la population générale âgée).
1 - Plan Alzheimer (site du
ministère de la Santé).
2 - Interview du Dr Armelle Desplanques.
3 - Quelle est la problématique des neuroleptiques dans la maladie
d'Alzheimer ?, Dr Benoît Lavallart, Chargé de mission Alzheimer (accessible
en ligne).
4 - Dossier de presse de la HAS - Limiter la prescription de
neuroleptiques dans la maladie d'Alzheimer (accessible
en ligne)
5 - Programme AMI_Alzheimer (téléchargeable
sur le site de la HAS).