Espérance de vie, une croissance éternelle ?
Brigitte Perucca, Le Monde
16 décembre 2010
Monde
27 ans pour les hommes et 28 pour les femmes en 1750, 78 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes aujourd'hui, presqu'assurément centenaires demain… En deux siècles et demi, l'espérance de vie a progressé de façon tellement spectaculaire que l'Institut national des études démographiques (INED) s'interroge : "Peut-on espérer continuer sur cette voie encore longtemps ?"
Dans une étude publiée jeudi 16 décembre, les démographes Jacques Vallin et France Meslè, retracent les progrès accomplis grâce aux bonds en avant médicaux pour essayer de définir ce qui pourrait permettre de repousser encore les limites de la vie humaine.
La question taraude les scientifiques. De record en record, nombreux sont ceux qui ont essayé de trouver la limite. A la fin des années 1920, l'Américain Louis Dublin pronostiquait que l'espérance de vie des femmes ne pourrait jamais dépasser 64,7 ans. Le démographe ne savait pas que c'était un "seuil qu'avait déjà franchi l'Australie dès 1925"... En 1952, le démographe français Jean Bourgeois-Pichat estimait que l'espérance de vie plafonnerait à 78,2 ans. Sa prédiction est démentie, l'Islande ayant atteint ce niveau en 1975.
LA PROGRESSION PEUT-ELLE S'ARRÊTER ?
A la fin des années 1980, le biologiste James Fries assurait que l'espérance de vie n'excéderait pas 85 ans, une moyenne que les Japonaises ont dépassée depuis dès 2002… Cette même année, les travaux des chercheurs Jim Oeppen et James Vaupel publiés la revue Science, établissent que depuis 1841, l'espérance de vie a "imperturbablement" augmenté de trois mois par an. Un constat dont ils tirent la conclusion qu'"il n'y a aucune raison de penser que la progression de l'espérance de vie puisse s'arrêter avant longtemps". Pas si sûr ou, en tous cas, pas au même rythme.
Elargissant le spectre, en partant non plus de 1841 mais de 1750, et travaillant sur une base de données "enrichie", les démographes de l'INED remettent en question cette perspective. La progression, assurent-ils, n'a pas été aussi constante. Les vrais progrès en espérance de vie ont commencé en 1790, la courbe se divisant par la suite en "segments" qui correspondent chacun à des découvertes médicales et aux bénéfices qu'en a tirés la communauté humaine.
De 1790 à 1885, l'espérance de vie "décolle fermement". Cette "rupture" est à mettre au compte de la diffusion du premier vaccin. Il s'agit de "la vaccine de Jenner" qui permet un "recul significatif" de la variole et des décès nombreux qu'elle provoque chez les enfants.
"RÉVOLUTION CARDIOVASCULAIRE"
Dans ce même laps de temps, une meilleure circulation des denrées vient en partie à bout de la famine. En cette fin du XIXe siècle, la Norvège se situe souvent au tout premier rang. La progression est encore plus nette des années 1880 à 1960. En quatre-vingts ans, les hommes et les femmes gagnent quatre mois d'espérance de vie par an, un gain qu'il faut attribuer aux découvertes de Pasteur, qui se conjuguent avec d'autres progrès, comme celui de l'instruction obligatoire ou des transports qui favorisent leur diffusion, ou encore aux avancées en matière sociale, qui permettent aux personnes d'y avoir accès.
L'Australie détient le record de l'espérance de vie durant une bonne partie du XXe siècle. Des années 1960 à aujourd'hui, l'espérance de vie fait un nouveau bond, moins important cependant que pendant la période précédente, grâce, cette fois, "à la révolution cardiovasculaire".
L'accélération, importante entre 1960 et 1995, devient encore plus rapide entre 1995 et 2003. Dans les années 1970, l'Islande se hisse au tout premier rang des pays où l'on vit le plus longtemps, détrôné depuis le début des années 1980 par le Japon, qui, avec 86,4 ans pour les femmes, bat tous les records de longévité, les Nippones devançant les Hongkongaises (86,1) et les Françaises (84,5).
Côté masculin, c'est le Qatar qui remporte la palme, avec une espérance de vie de 81 ans, devant Hongkong (79,8 ans), l'Islande et la Suisse (79,7 ans). Un progrès dont est encore exclue une immense partie de la population humaine : en Afrique, l'espérance de vie à la naissance est de 55 ans et en Asie de 69,6 ans.
TOUT SE JOUERA "AU-DELÀ DE 80 ANS"
Et maintenant ? "La progression de l'espérance de vie a encore de beaux jours devant elle, mais rien ne permet d'affirmer qu'elle peut se poursuivre longtemps à son rythme actuel", estime l'INED. Après le combat contre les maladies infectieuses et celui contre les maladies cardiovasculaires, quel sera le prochain moteur qui permettra de repousser encore un peu plus les limites biologiques ?
L'histoire de l'évolution de l'espérance de vie indique que les progrès récents ont été obtenus principalement "grâce à une accélération de la baisse de la mortalité aux grands âges". D'où l'idée que tout se jouera désormais "au-delà de 80 ans".
"L'avancée ici pourrait tenir à l'attention grandissante portée aux personnes âgées dans le domaine de leur santé au quotidien" ou dans les thérapies géniques. A moins, rêvent les chercheurs de l'INED, que les hommes ne finissent pas dénicher la fontaine de Jouvence.
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