Très vieille et très chère France
Par Anne Chemin, Le Monde
19 janvier 2010
France
Lentement mais sûrement, le vieillissement de la France s'accentue : selon le bilan démographique de l'Insee publié mardi 19 janvier, la France comptait, en 2008, 5,5 millions de personnes âgées de plus de 75 ans contre seulement 4,3 millions, en l'an 2000.
Au fil des ans, ce vieillissement inéluctable a fini par modifier en profondeur les équilibres entre générations : la part des jeunes de moins de 20 ans ne cesse de baisser – depuis 2000, elle est passée de 25,8 % à 24,7 % –, tandis que celle des plus de 60 ans augmente régulièrement – depuis 2000, elle a grimpé de 20,4 % à 22,6 %.Cette petite révolution démographique est liée à l'augmentation de l'espérance de vie. Cette année encore, elle a progressé de deux mois : une petite fille née en 2009 peut désormais espérer vivre jusqu'à 84 ans et demi, un petit garçon jusqu'à 77,8 ans. En soixante ans, la longévité aura donc fait un bond spectaculaire : au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'espérance de vie atteignait à peine 64 ans pour les hommes, 69 ans pour les femmes…
Bouleversement démographique
La longévité des hommes est conforme à la moyenne européenne mais celle des femmes figure en revanche dans le peloton de tête du continent. "Leur espérance de vie est supérieure de deux ans à celle des femmes de l'Union européenne à 27 et d'un an à celle des femmes de l'ancienne Union européenne à 15, soulignent Anne Pla et Catherine Beaumel dans l'étude de l'Insee. Seules les Espagnoles ont une espérance de vie supérieure de quelques mois aux Françaises."
A cette étonnante longévité, s'ajoutent les effets du baby-boom. Les générations nombreuses de l'après-guerre, qui partent tout juste à la retraite, commenceront à atteindre le grand âge à la fin des années 2020 : le pic de la dépendance interviendra donc dans les décennies 2030-2050. "Le vieillissement est inéluctable au sens où il est inscrit dans la pyramide des âges actuelle", résumait Isabelle Robert-Bobée dans une étude publiée, en 2006, par
l'Insee.
Pour gérer ce bouleversement démographique, le gouvernement n'a guère le choix : il lui faut imaginer un nouveau système de prise en charge de la dépendance. "Elle représente un défi médical, organisationnel, financier et humain colossal, indiquait Nicolas Sarkozy aux partenaires sociaux le 15 janvier. Ce défi, nous devons le relever ensemble. 2010 sera l'année du cinquième risque social."
Xavier Darcos, le ministre du travail, et Nora Berra, la secrétaire d'Etat aux aînés, devraient présenter un projet de loi sur ce thème courant 2010.
Cette réforme exigera un effort financier important : selon la mission d'information du Sénat sur le cinquième risque, les dépenses publiques consacrées à la dépendance atteignaient, en 2008, 19 milliards d'euros, soit 1 point de PIB. "La France se place au niveau du Royaume-Uni et de l'Allemagne, soulignait-elle. Seuls les pays scandinaves consacrent, en Europe, un effort public plus important que la France en la matière."
Selon la mission, ce budget assumé à 60 % par l'assurance-maladie, à 20 % par les collectivités territoriales et à 15 % par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie devrait augmenter de 50 % à l'horizon 2025.
"Aborder la question taboue du patrimoine des
familles"
Il faudra donc construire des maisons de retraite, former des personnels médico-sociaux, mais aussi consolider le système de soins à domicile. Grâce aux progrès de la médecine, les personnes âgées restent en effet de plus en plus longtemps chez eux : en dix ans, l'âge moyen d'entrée en institution n'a cessé de reculer, passant de 77,5 à 80 ans. Aujourd'hui, 90 % des octogénaires vivent à domicile, signe qu'ils jouissent encore d'une certaine
autonomie.
Comment financer cet effort financier ? Le gouvernement a d'ores et déjà exclu d'ajouter une cinquième branche de la Sécurité sociale aux quatre "risques" qui existent depuis la Libération : la maladie, les accidents du travail, la famille et la vieillesse. Il penche plutôt pour une architecture associant solidarité publique, mobilisation du patrimoine des familles et contribution
assurantielle.
Nora Berra, qui lancera, au printemps, des Etats généraux de la dépendance, sait ce dossier sensible. "La solidarité publique continuera à s'exprimer pour ceux qui sont dans le besoin, précise-t-elle. Mais il faudra également aborder la question taboue du patrimoine des familles et accepter un volet assurantiel qui reposera sur la responsabilité individuelle, même s'il sera réglementé par l'Etat."
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